L’ONU invitée à prendre des mesures contre la France, accusée d’« enraciner l’islamophobie »
Une coalition d’organisations de la société civile a écrit au Conseil des droits de l’homme des Nations unies (CDH) pour lui demander d’ouvrir des procédures d’infraction officielles contre le gouvernement français, accusé d’enraciner l’islamophobie et la discrimination structurelle à l’encontre des musulmans.
À travers un document de 28 pages consulté par Middle East Eye, 36 organisations issues de 13 pays ont déposé une plainte auprès du CDH dans laquelle elles dénoncent « une violation manifeste d’un certain nombre de droits fondamentaux qui sont protégés par des lois ratifiées par Paris ».
D’après le document, les agissements et les politiques de la France à l’égard des communautés musulmanes vont à l’encontre des lois internationales et européennes, telles que la Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Parmi les signataires figurent l’EMISCO (European Muslim Initiative for Social Cohesion) établie à Strasbourg, la Muslim Association of Britain et le Council on American-Islamic Relations.
Les musulmans stigmatisés par Macron
La plainte présente tout d’abord une chronologie des discours du président français Emmanuel Macron qui stigmatisent spécifiquement les communautés musulmanes.
Dans un discours prononcé en 2019, peu après un attentat au cours duquel quatre policiers ont été tués, Macron a fait l’apologie d’une « société de vigilance » face à l’« hydre islamiste ». Il a appelé la population à signaler aux autorités les personnes exposées à un risque de « radicalisation », citant des facteurs tels que le fait de se laisser pousser la barbe ou celui de pratiquer régulièrement des prières rituelles.
La plainte mentionne également des propos formulés en février 2020, lorsque le président français a annoncé la mise en place d’un plan de lutte « contre le séparatisme » visant les communautés et organisations musulmanes. Parmi les mesures figuraient l’approbation des imams par l’État et une taxe indirecte prévue pour chaque musulman effectuant le pèlerinage islamique du hadj dans le but de financer les programmes de lutte contre la radicalisation.
Le document mentionne un discours très médiatisé prononcé dernièrement, en octobre, dans lequel Macron a décrit l’islam comme une religion qui traverse « une crise partout dans le monde » – des propos qui ont donné lieu à des protestations dans le monde entier et à un boycott des produits français par des citoyens de plusieurs pays musulmans.
Deux semaines après le discours de Macron, Samuel Paty, un enseignant de la banlieue parisienne, a été décapité près de son école après avoir montré des caricatures du prophète Mohammed lors d’un cours sur la liberté d’expression. L’assaillant, un réfugié tchétchène de 18 ans né en Russie, a été tué par la police française près du lieu de l’attaque.
La coalition accuse le gouvernement français d’avoir exploité la mort de Samuel Paty « à des fins racistes et islamophobes ».
Des attaques ciblées
Des domiciles de musulmans et des locaux d’organisations musulmanes ont notamment été perquisitionnés. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a déclaré que cette opération avait été lancée contre des personnes n’ayant pas forcément de lien « avec l’enquête [portant sur le meurtre de Paty] mais à qui [le gouvernement avait] envie de faire passer un message ».
La plainte fait spécifiquement référence à plusieurs exemples d’agression étatique contre des enfants musulmans.
Le document relève notamment l’introduction de cartes d’identité pour les enfants dans le but de surveiller les parents musulmans qui décident de faire l’école à la maison dans le contexte de la pandémie de coronavirus.
Il cite également une descente effectuée le 3 octobre dans une mosquée où des enfants apprenaient l’arabe. Les autorités ont compté les jeunes et les auraient classés selon qu’ils portaient ou non le foulard.
Le document mentionne en outre les procédures officielles entamées par l’État français pour dissoudre l’organisation caritative musulmane BarakaCity et le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), une association de défense des droits de l’homme, qui ont été publiquement désignées comme des structures « ennemies de la République ».
En ce qui concerne la publication de caricatures offensives du prophète de l’islam en France, la coalition accuse le gouvernement français de soutenir et de défendre ces publications. Une telle position « dépasse les limites permissibles d’un débat objectif » et « pourrait attiser les préjugés et compromettre la paix religieuse », affirme la coalition, qui reprend les observations de la Cour européenne des droits de l’homme sur les représentations du prophète Mohammed.
« Les musulmans du monde entier se sont unis derrière l’appel à demander des comptes au gouvernement français pour le soutien qu’il continue d’apporter aux publications diffamatoires à l’égard du Prophète (que la paix soit sur lui) », a déclaré Feroze Boda de la Muslims Lawyers Association, qui a déposé la plainte au nom du collectif.
« Nous espérons qu’ils s’uniront à nouveau autour de cette première mondiale, un effort véritablement collectif, qui élargit l’appel à la responsabilité et au changement positif pour inclure le démantèlement des politiques haineuses à l’égard des musulmans qui sont omniprésentes en France.
« En plus d’être contre-productives, ces politiques sont ouvertes aux abus et ont fait l’objet d’abus – tout en étant complètement déconnectées de la réalité. »
Le document conclut en accusant la France d’agir « de manière disproportionnée » et d’appliquer « déraisonnablement » des exceptions aux restrictions des libertés fondamentales afin de protéger la sécurité nationale.
D’après le document, il n’existe pas de recours efficace au sein du système juridique français pour mettre fin à l’islamophobie structurelle et une procédure d’infraction officielle contre le gouvernement est donc nécessaire.
« La France a connu des niveaux choquants d’islamophobie cautionnée par l’État au cours des derniers mois. Cela a précipité la fermeture de mosquées, d’écoles musulmanes, d’associations caritatives et d’organisations de la société civile musulmanes », a déclaré Muhammad Rabbani, directeur général de l’organisation britannique CAGE, qui a cosigné la plainte.
« En tant que signataire de l’ONU, la France ne peut pas être autorisée à enfreindre aussi ouvertement ses obligations internationales en matière de droits tout en arborant la devise “Liberté, Égalité, Fraternité” ».
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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