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Coupe du monde au Qatar : un lanceur d’alerte « réduit au silence » pendant la compétition

Ancien membre du comité d’organisation du Mondial, Abdullah Ibhais se voit empêcher de communiquer avec son épouse et refuser toute représentation dans les procédures d’appel, selon sa famille
Abdullah Ibhais a été condamné à une peine de prison en avril 2021 à la suite d’allégations de corruption et de détournement de fonds qu’il nie fermement (Twitter)
Abdullah Ibhais a été condamné à une peine de prison en avril 2021 à la suite d’allégations de corruption et de détournement de fonds qu’il nie fermement (Twitter)

La famille d’un lanceur d’alerte ayant fait partie du comité d’organisation de la Coupe du monde, aujourd’hui emprisonné, accuse les autorités qataries de tenter de le « réduire au silence » pour l’empêcher de parler des conditions rencontrées par les travailleurs immigrés à l’occasion du Mondial, selon des informations recueillies par Middle East Eye

Abdullah Ibhais, ancien directeur adjoint de la communication du comité suprême d’organisation de la Coupe du monde en charge des projets et du patrimoine, a été arrêté en novembre 2019 et condamné à une peine de prison en avril 2021 à la suite d’allégations de corruption et de détournement de fonds.

Des Qataris posent devant une installation consacrée à la Coupe du monde, à Doha, le 14 novembre 2022 (AFP/Andrej Isakovic)
Des Qataris posent devant une installation consacrée à la Coupe du monde, à Doha, le 14 novembre 2022 (AFP/Andrej Isakovic)

Abdullah Ibhais affirme depuis longtemps être victime de persécution pour avoir critiqué la gestion d’une grève de travailleurs immigrés au Qatar en août 2019. 

Lundi, sa famille a publié un communiqué condamnant le système judiciaire qatari, révélant que son dernier appel avait été rejeté lors d’une audience « surprise » la semaine dernière. 

La Cour de cassation du Qatar s’est réunie le 7 novembre pour statuer sur un recours déposé en février, sans délivrer au prévenu ou à ses représentants « une notification écrite ou verbale de quelque nature que ce soit », selon la famille.

«  Méfiance totale à l’égard du système judiciaire qatari »

« L’audience s’est tenue en l’absence d’Abdullah, l’accusé, et de son avocat, ainsi que de toute personne ou entité qui le représente », indique le communiqué. 

Le communiqué précise que la défense n’a pas été entendue par le juge de la cour d’appel, qui « s’est prononcé contre Abdullah en moins d’une minute ». 

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« Sur cette base, nous faisons part de notre méfiance totale à l’égard du système judiciaire qatari. Ces tribunaux, d’après notre expérience, ne délivrent rien de plus qu’une parodie de justice et mènent des simulacres de procès sans y apporter le minimum de justice requis. »

Par ailleurs, ajoute la famille, Abdullah Ibhais s’est vu refuser une visite de son épouse prévue le 2 novembre et a été placé à l’isolement par l’administration pénitentiaire, craignant qu’il ne lui « [fasse] passer » une lettre. 

Son épouse a également été menacée d’une interdiction totale d’appels et de visites « si des informations sur ses conditions de détention [parvenaient] aux médias ».

« Les autorités qataries et la FIFA sont entièrement responsables de sa sécurité, ainsi que de celle de ses enfants et de son épouse », soutient la famille. 

« Toutes les procédures judiciaires et les restrictions de l’administration pénitentiaire prouvent que leur seule préoccupation est de réduire Abdullah au silence à tout prix pendant la Coupe du monde et de le punir pour son refus de dissimuler les conditions extrêmes rencontrées par les travailleurs immigrés qui ont donné lieu à leur grève le 4 août 2019. »

Des aveux forcés

Dans une déclaration adressée lundi à MEE, un porte-parole du comité suprême d’organisation du Mondial indique qu’Abdullah Ibhais a été condamné à la suite d’allégations selon lesquelles un certain nombre d’anciens employés, dont il faisait partie, n’auraient pas mené un appel d’offres pour l’attribution d’un contrat de gestion des réseaux sociaux « conformément à la loi ». 

« Les allégations ultérieures à propos de la condamnation de M. Ibhais, selon lesquelles le comité aurait conspiré contre lui en raison de ses opinions sur les travailleurs immigrés, sont ridicules, diffamatoires et absolument fausses. La culture de travail du comité encourage le personnel à soulever des questions et des revendications, en particulier sur le sujet dont il est question », indique la déclaration. 

«  La FIFA fait une fois de plus preuve d’une loyauté sans faille envers quiconque se montre disposé à remplir ses coffres, indépendamment de sa conduite »

- Nicholas McGeehan, directeur de FairSquare

Le porte-parole n’a pas répondu spécifiquement aux questions de MEE sur les allégations de la famille concernant le système judiciaire et les autorités pénitentiaires du Qatar. Une demande de commentaires adressée à la FIFA est restée sans réponse au moment de la publication de cet article. 

« Cette affaire ne pointe pas seulement du doigt la partialité du système judiciaire du Qatar, elle constitue également une terrible mise en cause des méthodes de sa police et de ses procureurs », indique à MEE Nicholas McGeehan, directeur du groupe de défense des droits de l’homme FairSquare

« Le comité suprême semble avoir été l’organisation qui a mis Abdullah en danger en le dénonçant aux autorités avec des théories du complot bancales, tandis que la FIFA fait une fois de plus preuve d’une loyauté sans faille envers quiconque se montre disposé à remplir ses coffres, indépendamment de sa conduite. »

Lors d’une précédente audience en appel, le 15 décembre, les autorités qataries ont confirmé sa condamnation, réduisant néanmoins sa peine de cinq à trois ans d’emprisonnement. 

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Des organisations de défense des droits de l’homme ont accusé les autorités qataries de graves violations de son droit à un procès équitable, affirmant que les preuves retenues contre l’accusé avaient été obtenues à partir d’aveux sur lesquels il était ensuite revenu devant le tribunal. 

Abdullah Ibhais affirme que ses aveux lui ont été extorqués sous la contrainte par ses interrogateurs, qui lui ont indiqué qu’il encourait de graves accusations liées à la sécurité de l’État s’il ne reconnaissait pas les accusations de corruption et de détournement de fonds portées contre lui.

La semaine dernière, un nouveau rapport indiquait que des entreprises de construction cachaient des travailleurs immigrés au cours d’inspections officielles pour les empêcher de communiquer des plaintes auprès de la FIFA et des autorités qataries. 

Selon un représentant du gouvernement qatari interrogé par MEE, le pays a « remanié » son organisation du travail au cours des deux dernières décennies et constitue « un chef de file de la région dans le domaine du droit du travail ».

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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