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Ramadan 2021 : le moment est venu pour les musulmans de s’unir contre l’islamophobie

Alors que les gouvernements européens continuent de réprimer et de traiter les musulmans comme des criminels, nous devons organiser une résistance collective plus large
Des musulmans prient dans une mosquée d’Utrecht, aux Pays-Bas, pendant le Ramadan 2019 (AFP)
Des musulmans prient dans une mosquée d’Utrecht, aux Pays-Bas, pendant le Ramadan 2019 (AFP)

Cela fait plus d’un an que la pandémie de COVID-19 a déferlé sur le monde. Dans toute l’Europe, nous avons vu les États se battre pour contrôler la crise après des années de privatisations et de désengagement dans les services de santé publique dont on a aujourd’hui tant besoin.

Nous avons été confrontés aux réalités de systèmes économiques édifiés pour les bénéfices de quelques-uns au détriment du plus grand nombre, et aux conséquences directes d’un État providence affaibli.

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Et pourtant, malgré tous les décès insensés, la pauvreté et le chômage à travers l’Europe, réprimer et traiter les musulmans en criminels restent le principal objectif de nos gouvernements.

Tandis que nous entrons dans le mois sacré du Ramadan, au cours duquel des millions de musulmans à travers le monde jeûnent, la théorie du complot raciste selon laquelle cela engendrera un pic de contaminations nous poursuit également.

Le récit islamophobe adopté par des groupes d’extrême droite et des personnalités publiques l’an dernier fait son retour, tandis que leur indignation face aux confinements « empêchant de fêter Noël » semble avoir disparu de la mémoire collective.

Une campagne électorale alimentée par la haine et la division

C’est assurément la rhétorique aux Pays-Bas. Bien que le taux de contaminations restent élevé, le pays a été le dernier de la région à commencer à vacciner les gens.

On pourrait penser que s’occuper de cela serait la priorité pour tous les dirigeants politiques. Au lieu de cela, quelques semaines après une campagne électorale nationale pour les législatives alimentée par la haine et la division, le discours public reste axé sur les musulmans comme un problème.

Le maire de Rotterdam Ahmed Aboutaleb a réagi à la prolongation du couvre-feu national, en place de 22 h à 4 h 30, en s’inquiétant du fait que cela coïncidait avec le Ramadan.

Il a déclaré que les musulmans voudraient rendre visite à leurs familles pendant cette période, suggérant qu’ils ne respecteraient pas les restrictions puisqu’ils rompent leur jeûne après le coucher du soleil.

Il est frappant de constater que les politiciens présentent les iftar comme des événements super contaminateurs, pendant que des membres de l’extrême droite se sont rassemblés en nombre ces derniers mois pour des manifestations et des rassemblements électoraux.

Il semble que le pays soit si raciste que même quand un musulman appuie un discours de droite, il est attaqué pour avoir simplement mentionné le mot tabou commençant par un M

De même, lorsque des églises dans des bastions de droite étaient bondées la semaine pascale, les suspects habituels étaient nulle part en vue.

Ces commentaires étant ceux d’une personnalité célébrée comme le premier maire musulman d’une grande ville néerlandaise, l’ironie n’est pas passée inaperçue. Mais il semble que le pays soit si raciste que même quand un musulman appuie un discours de droite, il est attaqué pour avoir simplement mentionné le mot tabou commençant par un M.

Aboutaleb s’est retrouvé critiqué par l’extrême droite pour avoir osé suggérer que le gouvernement néerlandais devrait prendre en compte les musulmans lors de la prise de décisions politiques.

Surveillance disproportionnée

Bien qu’il n’y ait pas eu de couvre-feu à la même époque l’année dernière, un confinement national battait son plein et l’impression que les musulmans seraient particulièrement surveillés était déjà forte. Les mosquées n’ont pas rouvert complètement, même lorsque les restrictions se sont assouplies l’année dernière. Cela n’est peut-être pas surprenant, étant donné que pendant la pandémie, la surveillance des musulmans par le gouvernement néerlandais n’a pas cessé. En fait, les mosquées se sont trouvées confrontées à une surveillance plus stricte de leurs finances et de leurs influences « étrangères ».

Le climat de haine s’est récemment tendu pendant la période électorale outrageusement raciste, antimigrants et islamophobe.

Le leader du PVV Geert Wilders s’adresse aux médias à La Haye, le 22 mars 2021 (AFP)
Le leader du PVV Geert Wilders s’adresse aux médias à La Haye, le 22 mars 2021 (AFP)

La danse a été menée par le soi-disant Forum pour la démocratie, dont la base colporte des théories conspirationnistes sur les groupes opprimés qui seraient la source des contaminations – quand ils ne nient pas purement et simplement la pandémie et s’opposent totalement aux restrictions.

Dans le même temps, le Parti pour la liberté (PVV), dirigé par Geert Wilders, qui appelle à interdire les mosquées, les corans et les écoles islamiques, a remporté 17 sièges lors des élections. Le parti réclame également à la création d’un ministère pour le « rapatriement » et la « désislamisation ».

Le problème, cependant, ne s’arrête pas aux frontières néerlandaises. L’année dernière, les musulmans du Royaume-Uni ont été confrontés à des attaques de propagande similaires de la part de groupes et d’individus d’extrême droite. 

Des vidéos ont circulé sur les réseaux sociaux montrant des personnes priant dans les mosquées, dans le but d’attiser la haine et les accusations selon lesquelles les musulmans et leurs institutions ne respectaient pas les règles du confinement.

Un clip de fidèles à Wembley Central Masjid présumés en train de prier malgré les restrictions, a circulé jusqu’à ce qu’on découvre que la mosquée était fermée depuis janvier.

Restreindre les libertés civiles

Malgré la rapidité avec laquelle certaines des accusations racistes contre les musulmans sont discréditées, le mal est déjà fait une fois que ces histoires parviennent au public via les réseaux sociaux.

Le début de la pandémie a été marqué par le hashtag #CoronaJihad, une tendance sur Twitter ; selon un rapport du magazine Time, environ 300 000 tweets de ce genre ont été potentiellement vus par des millions de personnes en quelques jours. 

Les flammes de la haine ont été allumées, et il y a une appétence dangereuse pour l’islamophobie à travers l’Europe.

La liste ne cesse de s’allonger : de l’interdiction de la burqa en Suisse à la guerre de la France contre les musulmans via les lois dites contre le séparatisme, jusqu’à un niveau alarmant d’attaques contre les musulmanes en Allemagne et une restrictions des libertés civiles en Autriche pour lutter soi-disant contre l’extrémisme.

Hélas, nous entrons dans le Ramadan avec encore plus d’incertitudes sur nos libertés. Mais la dernière chose que nous enseigne notre foi, c’est le désespoir.

Il ne faut pas oublier que l’infrastructure de la guerre contre le terrorisme – la surveillance, Prevent et autres politiques dites de lutte contre la radicalisation – s’est développée en Grande-Bretagne avant de s’exporter à travers l’Europe.

Cela nous met au Royaume-Uni en mesure d’apporter soutien et ressources aux communautés qui sont traitées en criminelles et réduites au silence dans les pays voisins. Cela renforcerait notre propre lutte nationale.

Cela peut sembler simple, mais il n’y a pas d’échappatoire aux conditions oppressives et répressives autres que de s’organiser pour résister. Nous avons un mois réservé à la réflexion spirituelle et au fait de se recentrer. Nous devrions l’utiliser pour nous unir, élaborer des stratégies et construire le vaste combat dont nous avons tant besoin.

Malia Bouattia est une militante, ancienne présidente du Syndicat national des étudiants britannique (National Union of Students), cofondatrice du réseau Students not Suspects/Educators not Informants et présentatrice-animatrice de « Women Like Us », un programme de la chaîne britannique British Muslim TV.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Malia Bouattia is an activist, the former president of the National Union of Students, co-founder of the Students not Suspects/Educators not Informants Network and presenter/panelist on British Muslim TV's Women Like Us.
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