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En Belgique, les agressions islamophobes inquiètent

Alors que les agressions contre des femmes voilées semblent se multiplier en Belgique, les associations mettent en cause la banalisation des propos islamophobes dans le discours public
Manifestation à Bruxelles contre « l’islamophobie et la haine », le 9 septembre 2018 (AFP)
Par Safa Bannani à Bruxelles

Le mardi 2 avril, une femme de confession musulmane portant le voile a été poignardée devant ses trois enfants à Anderlecht, une commune de l’agglomération bruxelloise, alors qu’elle sortait de chez elle. La victime a été emmenée à l’hôpital dans un état critique mais ses jours ne sont désormais plus en danger.

Le 24 mars, Nabila et sa sœur, deux musulmanes voilées, ont été victimes d’une agression islamophobe à Uccle, autre commune proche de la capitale belge, alors qu’elles allaient récupérer leurs enfants à l’école. Un chauffard les a copieusement insultées avant de renverser l’une d’elles à hauteur d’un passage piéton.  

Ces trois derniers mois, le Collectif contre l’islamophobie en Belgique (CCIB) a reçu les plaintes de cinq femmes musulmanes portant le voile, qui se sont dites victimes d’agressions islamophobes en région bruxelloise.

La première agression de ce genre remonte à juillet 2018, lorsque deux individus s’en sont pris à une jeune femme de 19 ans dans une ruelle d’Anderlues, à Charleroi. Les auteurs l’ont insultée et lui ont arraché son voile et ses vêtements, lui mettant la poitrine à nu.

« Depuis, s’est ensuivi un été sombre en matière d’agressions, on peut dresser une longue liste d’agressions contre des adolescentes et des femmes, majoritairement noires et musulmanes », alerte Mustapha Chairi, président du CCIB.

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« Des femmes nous rapportent des agressions telles que des crachats, des insultes, des bousculades et des coups », rapporte-t-il. « Souvent, ces femmes ne portent pas plainte, bien souvent par peur, par crainte de représailles ou à cause d’une perte de confiance dans les institutions. »

Cette multiplication des actes islamophobes constatée par le CCIB s’est intensifiée après l’attentat contre deux mosquées en Nouvelle-Zélande, qui a couté la vie à 50 fidèles musulmans le 15 mars 2019.

Selon le CCIB, un déferlement de cyber-haine s’est ensuivi sur les réseaux sociaux. « En 48 heures, nous avons reçu plus de 300 signalements, principalement des appels au meurtre de musulman-e-s et des apologies du terrorisme », rapporte Mustapha Chairi.

Le CCIB a remis un courrier au procureur du roi (ministère public) de Bruxelles sur le sujet, demandant une enquête ainsi que des mesures de sécurité pour protéger les lieux de culte et la mise en place d’une « cellule de veille islamophobie » pour signaler les propos haineux et les appels au meurtre contre les musulmans en Belgique.

« Banalisation des discours de haine »

Ihsane Haouch, Bruxelloise musulmane et voilée, est une citoyenne engagée. Co-fondatrice du collectif Les Cannelles, elle milite contre les stéréotypes envers les femmes issues de la diversité et pour une société plus inclusive et respectueuse des identités individuelles.

« Depuis le début de l’année 2019, les agressions contre les femmes musulmanes se multiplient », indique-t-elle.

« Ce qu’il faut pointer, c’est que ce sont dans chaque cas des hommes qui attaquent des femmes. Ainsi, elles sont d’abord et avant tout agressées en tant que femmes, ensuite c’est une autre partie de leur identité qui est attaquée, bien souvent l’identité musulmane. »  

La jeune femme épingle comme cause principale de ces agressions « la banalisation des discours de haine des politiques », qui sont « encouragés par des médias ».

D’après elle, « sous couvert de pseudo-débat sur le port du voile, on se permet d’attaquer le choix et la liberté des femmes. Sous couvert de pseudo-féminisme, on prive les femmes d’accès à une éducation et à un emploi, et ensuite, on va jusqu’à les poursuivre dans l’espace privé. »

La co-fondatrice du collectif ne mâche pas ses mots. « C’est un vrai acharnement, une chasse à la femme voilée qui rappelle des périodes sombres de l’histoire », s’inquiète-elle.

https://www.facebook.com/collectiflescannelles/videos/690606554691366/?__xts__[0]=68.ARA-HR4zpe6eHvfSU8cTw7Hi1sgNZlL8phmZ1nTJkM6

Un constat partagé par Mustapha Chairi : « La parole de la haine est libérée et nos responsables politiques sont de très mauvais exemples. Cette libération de la parole de la haine permet à des individus de passer à l’acte d’agression. »

Il constate lui aussi « une volonté institutionnelle d’exclure les femmes voilées de l’enseignement, du marché de l’emploi. On peut dire qu’il y a une nouvelle forme d’exclusion, que je qualifierais de sociétale, à savoir de l’espace public, du fait de cette violence exercée principalement contre les femmes. »

Pour lui, « cela confirme que l’islamophobie est bien intersectionnelle par sa dimension sexiste et par sa dimension religieuse ».

Peur

Ces récentes agressions à l’encontre de femmes voilées ont suscité un vent de panique chez les musulmanes belges. Ihasane Haouach craint le pire : « Certaines des femmes agressées n’osent plus sortir ou, en tout cas, enlèvent une partie de leur identité [en ôtant le voile], d’autres ont peur dans la rue et se méfient de tout ce qui bouge, un vrai climat de paranoïa s’installe », regrette-elle.

« Moi-même, hier, je marchais dans les rues d’Anderlecht en changeant de trottoir dès que je voyais un homme en cagoule », confie-t-elle à MEE. « Ainsi, on risque un véritable enfermement de la femme dans son foyer, conséquence qui est on ne peut plus contre-féministe. »

La co-fondatrice du collectif Les Cannelles déplore le « laxisme » de l’État belge et des institutions face aux agressions racistes ou xénophobes.

« Déjà, le CCIB doit se battre rien que pour faire reconnaître l’islamophobie comme une forme officielle de racisme. On nous dit de laisser couler, d’accepter, de calmer le jeu. Depuis quand est-ce à la victime de s’effacer ? », s’interroge-t-elle.

« Même des policiers découragent les victimes de porter plainte et de poursuivre en justice les agresseurs. À croire qu’agresser une femme est toujours considéré comme un droit de l’homme, non punissable et même encouragé. »  

En 2017, 72 dossiers pour des faits à caractère islamophobe ont été signalés au CCIB et ont permis à l’UNIA, service public de lutte contre la discrimination et pour l’égalité des chances en Belgique, de recenser 202 actes islamophobes pour la même année. Les chiffres pour l’année 2018 ne sont pas encore disponibles.

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