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Non, la reine Elizabeth II n’avait pas de liens avec le prophète Mohammed

Une historienne explique à Middle East Eye que les allégations concernant l’arbre généalogique de la reine sont « des suppositions et des conjectures »
La reine Elizabeth II assiste à une cérémonie de plantation d’arbres dans le bois du Jubilé de diamant dans sa propriété de Sandringham dans le Norfolk, Nord-Est de l’Angleterre, le 3 février 2012 (Reuters)

Rien ne prouve que la reine Elizabeth II était une descendante du prophète Mohammed ou de son clan hachémite dans la péninsule Arabique contrairement aux informations et publications sur les réseaux sociaux qui l’ont proclamé après le décès de la souveraine la semaine dernière, assurent à Middle East Eye une historienne et un éditeur britannique spécialisé dans la généalogie.

Cette théorie prétend que la lignée de la reine rejoint l’arbre généalogique du prophète à travers la princesse musulmane Zaida de Séville au XIe siècle, personnalité mystérieuse qui a vécu à Al-Andalus. 

Ces conclusions, partagées par les médias britanniques depuis 2018 et qui ont refait surface après la disparition de la reine, ont été attribuées à Burke’s Peerage, un éditeur britannique spécialisé dans la généalogie et faisant autorité au sujet des ancêtres de la famille royale depuis 1847.

« Malheureusement, nous n’avons pas d’informations généalogiques là-dessus. Nous n’étions pas la source originelle »

- Burke’s Peerage, éditeur

Les journaux citent Burke’s Peerage comme source de l’arbre généalogique qui relie la reine Elizabeth au prophète Mohammed à la suite d’un article d’un historien pour un journal marocain affirmant de telles conclusions.

Cependant, dans un email à Middle East Eye, Burke’s Peerage indique : « Malheureusement, nous n’avons pas d’informations généalogiques là-dessus. Nous n’étions pas la source originelle, même si cela a été répété de manière erronée au fil des ans. »

L’éditeur ajoute que Iain Moncreiffe, un officier britannique et généalogiste, semble être à l’origine de cette allégation.

« Il serait intéressant que les historiens et les chercheurs puissent examiner convenablement ce sujet », estime-t-il.

Les hachémites et Thatcher

Actuellement, il n’y a aucun élément sourcé, faisant autorité et officiel reliant les monarques britanniques au prophète de l’islam.

Malgré cela, une interview télévisée de l’ancien mufti d’Égypte, Ali Gomaa, a réémergé pour donner crédit à cette allégation.

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Ce dernier prétendait que le « grand-père » de la souveraine britannique était un musulman contraint de se convertir au christianisme « lors de l’Inquisition », avant son arrivée en Angleterre. Le grand-père de la reine Elizabeth II, le roi Georges V, a régné entre 1910 et 1936.

Il y a également un communiqué d’octobre 1986 signé par un groupe nommé Musulmans au palais de Buckingham et publié par United Press International (UPI), citant une lettre qui aurait été écrite par Harold Brooks-Baker, directeur de publication de Burke’s Peerage, à l’ancienne Première ministre Margaret Thatcher, lui annonçant que la reine avait des ancêtres musulmans.

« L’ascendance directe de la famille royale qui remonte au prophète Mohammed ne peut suffire à protéger pour toujours la famille royale des terroristes musulmans », dit cette lettre.

« Peu de Britanniques savent que le sang de Mohammed coule dans les veines de la reine. Cependant, tous les dirigeants religieux musulmans en sont fiers. »

Interrogé sur cette lettre, l’éditeur a répondu à MEE : « Malheureusement, nous ne sommes pas au courant de cela, nous n’en avons aucune trace, si tant est qu’elle n’ait jamais existé. Peut-être que ce sujet fera l’objet d’un examen d’une recherche historique pour fournir une réponse primaire. »

Zaida et le jeu d’échecs

La princesse musulmane Zaida, qui a vécu à Séville, est une personnalité importante dans le supposé arbre généalogique de la reine Elizabeth II qui la relierait au prophète Mohammed.

Zaida est présentée comme une réfugiée musulmane qui a fui Séville, s’est convertie au christianisme et s’est fait connaître sous le nom d’Isabelle. Certains pensent qu’il s’agit de la fille du dirigeant de Séville, Al Mutamid ibn Abbad, descendant supposé du clan hachémite. Elle est devenue maîtresse du roi Alphonse VI de Castille, l’ennemi juré de son père.

L’un des enfants de Zaida aurait épousé Richard de Conisburgh, comte de Cambridge, au XIVe siècle. Il serait un ancêtre de la reine Elizabeth II.

« Zaida est un personnage mystérieux puisque nous disposons surtout de spéculations et de légendes, et de moins de faits historiques que ce que nous souhaiterions »

- Patricia Grieve, université de Columbia

Cependant, Zaida reste une personnalité mystérieuse et son histoire est loin d’être limpide.

Patricia Grieve, professeure de sciences humaines à l’université de Columbia, explique qu’il y a énormément de spéculations sur la relation de Zaida et du roi Alphonse VI de Léon-Castille.

« Il y a énormément de suppositions et de conjectures ainsi que certaines légendes », prévient-t-elle.

« Une histoire raconte qu’Alphonse VI aurait “remporté” Zaida lors d’une partie d’échec contre al-Mutamid, son père, roi musulman de Séville. C’est une légende qui tente d’établir une équivalence entre les femmes et les terres et de justifier qu’Alphonse VI n’ait pas remporté de terres contre al-Mutamid, il avait remporté la fille », développe l’universitaire.

La relation de Zaida avec le roi Alphonse VI reste obscure et on ne sait pas si elle était sa maîtresse ou sa femme.

Grieve précise que si Zaida est bel et bien la personnalité qui s’est convertie au christianisme et a adopté le nom d’Isabelle, cela la relierait aux familles royales de l’Europe au-delà de l’Espagne.

« Zaida est un personnage mystérieux puisque nous disposons surtout de spéculations et de légendes et de moins de faits historiques que ce que nous souhaiterions », regrette-t-elle.

« Rien ne peut me surprendre en matière de liens de parenté, même distants dans le temps et très ténus, entre des personnes, y compris la reine Elizabeth II et le prophète Mohammed », conclut-elle.

Middle East Eye n’a pas retrouvé de trace de l’organisation Musulmans au palais de Buckingham. MEE a contacté le journal marocain, Al-Ousboue, pour confirmer ses conclusions, mais n’avait reçu aucune réponse au moment de la publication.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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