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Depuis l’accord entre le Maroc et Israël, la répression s’abat sur les activistes du Sahara occidental

De la torture à la surveillance en passant par l’assignation à résidence, les activistes disent être confrontés à une répression sans précédent ces dernières semaines
Manifestation pour réclamer l’indépendance du Sahara occidental (AFP/Illustration de Mohamad Elasaar/MEE)
Manifestation pour réclamer l’indépendance du Sahara occidental (AFP/Illustration de Mohamad Elasaar/MEE)

Les activistes Sahara occidental affirment faire face à une répression brutale dans le sillage de l’accord de normalisation du Maroc avec Israël.

La reconnaissance américaine de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental a, selon les activistes, enhardi les autorités accusées de commettre des abus contre les Sahraouis lambda et ceux qui s’opposent à cette décision.

Mahmoud Lemaadel, qui met régulièrement en lumière les atteintes aux droits dans la région, rapporte que, ces dernières semaines, un nombre sans précédent d’attaques ont été menées contre les activistes et ceux qui font campagne. 

« L’accord de normalisation et la reconnaissance par l’administration américaine de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental encourage le Maroc à perpétrer davantage d’atteintes aux droits de l’homme contre les Sahraouis », confie-t-il à Middle East Eye.

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« Depuis, le Maroc a lancé une campagne arbitraire visant les activistes des droits de l’homme mais aussi des citoyens qui n’ont rien à voir avec un quelconque activisme. »

Mahmoud Lemaadel explique que, depuis la reconnaissance américaine de la souveraineté du Maroc, des citoyens sont arrêtés dans la rue et interrogés sur ce qu’ils pensent du Maroc et le genre de vidéo qu’ils regardent.

« Tout le monde s’intéresse à ce qui se passe sur les lignes de front, alors le Maroc tente de couvrir et de dissimuler tout ce qui se passe sur les sites militaires. Les maisons de certains activistes sont sur surveillance constante et certains ont vu leur domicile perquisitionné par les forces marocaines », poursuit-il.

Répression constante

Ancienne colonie espagnole, le Sahara occidental a été revendiqué en 1957 par le Maroc, qui venait d’obtenir son indépendance deux ans plus tôt. Il disposerait d’importantes réserves de pétrole offshore et de ressources minérales. 

Mais sa population s’oppose résolument au contrôle marocain et, entre 1975 et 1991, le Front Polisario a combattu et mené une insurrection contre la présence de Rabat.

Selon le Front Polisario, la population du Sahara occidental comprend entre 350 000 et 500 000 personnes et réclame depuis longtemps le droit à un référendum sur l’indépendance, comme promis par les résolutions de l’ONU. 

Le Front Polisario accuse de façon répétée le Maroc d’exploiter les ressources naturelles de la région tandis que la moitié de sa population attend un référendum dans des camps et en exil.

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En décembre, le Maroc est devenu le quatrième pays arabe à établir des relations diplomatiques totales avec Israël, après les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan. 

Au même moment, l’ancien président américain Donald Trump et son gendre et conseiller Jared Kushner confirmaient que la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental était liée à l’accord de normalisation avec Israël.

Trump a assuré que cette décision visait à donner au peuple l’opportunité de vivre une vie meilleure et de renforcer les relations américaines avec le Maroc.

Selon l’activiste sahraoui Mohamed Elbaikam, cette décision a au contraire entraîné une répression « plus forte, plus intense et incessante ». 

« Elle vise à prévenir toute voix susceptible de déroger à cette nouvelle position américaine », explique-t-il à MEE.  

« La population du Sahara occidental fait l’objet d’un siège sécuritaire et militaire et de pressions sans précédent ces derniers temps, en particulier depuis que les pays du Golfe ont montré leur soutien à la proclamation de Trump. »

Elbaikam a également souligné les autres moyens de pression utilisés contre les activistes ces dernières semaines. « Les salaires des activistes pour les droits de l’homme ont été réduits ou gelés, les membres de leur famille sont souvent menacés et il y a eu plusieurs cas de téléphone piratés dont le contenu a été divulgué », énumère-t-il.

Manifestation en soutien au peuple au droit du peuple sahraoui à Malaga, en Espagne, le 28 novembre (AFP)
Manifestation en soutien au peuple au droit du peuple sahraoui à Malaga, en Espagne, le 28 novembre (AFP)

Nazha el-Khalidi, activiste et journaliste d’Équipe Media (agence de presse du Sahara occidental), estime que la décision de l’administration américaine aura sûrement des répercussions négatives sur la région, déjà déchirée par les conflits.

« Nous, le peuple sahraoui, ne voulons pas être le bouc émissaire d’une quelconque relation qui lie un État à un autre… le pont entre le Maroc et Israël a été construit sur le sang du peuple sahraoui », déclare-t-elle.

« La décision de Trump a donné le feu vert à plus de violences à l’égard du peuple sahraoui… Les autorités transforment même nos maisons en prisons. Juste après la proclamation de Trump, toutes les maisons d’activistes ont été mises sur surveillance constante. »

Malgré cette répression, Nazha el-Khalidi garde l’espoir qu’avec le nouveau président américain Joe Biden, la situation pourra s’améliorer. 

« Nous espérons toujours que l’administration Biden remédie à la décision américaine. »

Grève de la faim 

Mohamed Lemain Haddi, 41 ans, activiste sahraoui, est en grève de la faim depuis plus de 38 jours pour protester contre les conditions d’emprisonnement qui se détériorent et le manque d’accès aux soins. 

Il a été arrêté en 2010, avec de nombreux autres, après avoir participé à une manifestation. Il a été condamné à 25 ans de prison pour avoir formé le groupe Gdeim Izik, un camp de protestation.

Le militant est autorisé à parler à sa famille une fois par semaine pendant une minute, mais sa grève de la faim l’a considérablement affaibli.

Des combattants du Front Polisario dans le territoire désertique « libéré » contrôlé par leur groupe (Oscar Rickett/MEE)
Des combattants du Front Polisario dans le territoire désertique « libéré » contrôlé par leur groupe (Oscar Rickett/MEE)

Son frère, Ali Haddi, 34 ans, est préoccupé par son état de santé.

« On s’inquiète vraiment et on craint de perdre notre frère, qui purge une peine 25 ans à la prison de Tiflet et qui suit une grève de faim depuis longtemps », confie-t-il à MEE. « Nous demandons à la communauté internationale de faire pression sur le Maroc afin de sauver sa vie dès que possible. »

Sa mère appelle également la communauté internationale à mettre fin à son chagrin et à la peine de son fils ainsi que celle des autres activistes.

« Mon fils n’est pas un criminel qui doit être coupé du reste du monde, à l’isolement malgré son état de santé très critique », a-t-elle déclaré à la Fondation Nushatta, une organisation de jeunes qui se charge de la veille sur les droits de l’homme dans la région. 

« Il peut à peine parler et sa mère ne peut pas comprendre ce qu’il dit parce qu’il est tellement faible. Il s’évanouit sans cesse », indique Mahmoud Lemaadel. 

Selon lui, une fois détenu par les autorités, les activistes sont inculpés pour des motifs vagues ou inventés pour les garder derrière les barreaux.

La semaine dernière, l’activiste sahraoui Ghali Bouhla, 33 ans, a été enlevé par les forces marocaines dans la ville de Laâyoune, et inculpé pour possession de drogue.

La mère de Mohamed Haddi devant un poster réclamant la libération de son fils (Document fourni/MEE)
La mère de Mohamed Haddi devant un poster réclamant la libération de son fils (Document fourni/MEE)

Dans une vidéo qui a beaucoup circulé sur internet, on voit des policiers masqués pénétrer dans son domicile familial.

On entend sa mère crier désespérément qu’il n’y a qu’elle et sa fille à la maison et qu’elle ne peut pas les laisser entrer.

Traduction : « Une vidéo a été partagée sur plusieurs réseaux sociaux montrant la mère de Ghali affreusement choquée par la présence massive de policiers masqués tentant de perquisitionner sa maison. ‘’Pourquoi dois-je ouvrir la porte ? Ma fille et moi sommes seules à la maison’’, assure Oum Elfadi.

« Une proie facile pour le Maroc »

Autre exemple de cette répression brutale : Sultana Khya, 41 ans, a été assignée à résidence pendant 88 jours pour avoir participé à une manifestation sahraouie.

Sur des images choquantes partagées sur internet, on l’entend crier tandis qu’elle est traînée hors de sa maison par des forces de sécurité en uniforme. On voit des photos de son visage blessé, présentant des traces d’hématomes et d’un œil au beurre noir.

Selon la fondation Nushatta, elle a eu son œil crevé par les autorités en 2007 après avoir participé à une manifestation étudiante organisée par des Sahraouis à Marrakech. Depuis, elle a également été violemment battue.

Traduction : « Sultana Khya est le parfait exemple des représailles vengeresses contre les Sahraouis non armés au Sahara occidental occupé. Elle est assignée à résidence depuis plus de 87 jours. Sultana et sa famille sont soumis quotidiennement aux violences policières en raison de leur soutien à l’indépendance du Sahara occidental. »

Dans une déclaration à MEE, les organisations de défense des droits de l’homme ont exprimé leurs craintes concernant sa situation.

« Nous dénonçons vivement la violence que subissent Sultana et les autres Sahraouis aux mains des forces d’occupation marocaines, en représailles pour leur activisme et leur soutien à l’indépendance du Sahara occidental. Nous restons coincés ici et sommes devenus une proie facile pour le Maroc alors que la guerre est ouverte sur les fronts. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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