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Un projet de base navale russe sur la côte soudanaise inquiète les États-Unis

La Russie considère depuis longtemps le Soudan comme une porte d’entrée pour extraire l’or de l’Afrique et accéder à une voie navigable stratégique
Des manifestants antigouvernementaux à Port-Soudan protestent contre un accord de paix signé entre le gouvernement et des groupes rebelles, le 17 octobre 2021 (AFP)
Des manifestants antigouvernementaux à Port-Soudan protestent contre un accord de paix signé entre le gouvernement et des groupes rebelles, le 17 octobre 2021 (AFP)
Par MEE

Les États-Unis ont réitéré leurs inquiétudes concernant un accord qui permettrait à la Russie de construire une base navale sur la côte soudanaise de la mer Rouge, donnant potentiellement au Kremlin l’accès une voie navigable stratégique à un moment de tensions accrues avec l’Occident à propos de la guerre en Ukraine.

Mardi, John Godfrey, l’ambassadeur des États-Unis au Soudan, a soulevé la question dans une interview au journal soudanais Al-Tayar, déclarant : « Si le gouvernement du Soudan décide de procéder à l’établissement de cette installation, ou de la renégocier, cela sera préjudiciable aux intérêts du Soudan. »

Le Soudan a signé l’accord permettant à Moscou de construire une base capable d’accueillir des navires à propulsion nucléaire, sous l’administration du président Omar el-Béchir, qui a été démis de ses fonctions en 2019.

Selon cet accord, la Russie doit louer le site pour 25 ans et pourrait prolonger l’accord de dix ans supplémentaires. Elle aurait accès aux eaux chaudes de la mer Rouge et au goulot d’étranglement du commerce international qu’est le détroit de Bab el-Mandeb (qui relie la mer Rouge au golfe d’Aden).

Les puissances mondiales convoitent depuis longtemps des bases sur la mer Rouge pour se projeter et protéger leurs intérêts commerciaux. Djibouti, au sud du Soudan, abrite des bases militaires chinoise, française, italienne et japonaise. En 2016, la Chine a ouvert son premier avant-poste militaire à l’étranger à Djibouti.

La région est aussi un terrain de jeu pour les États du Golfe. L’Arabie saoudite et l’Égypte ont déjà accès à la mer Rouge depuis leurs côtes. La Turquie, le Qatar et les Émirats arabes unis se disputent également l’influence dans la région.

La Turquie exploite une base d’entraînement pour les troupes somaliennes à Mogadiscio. En 2017, elle a signé un accord avec le Soudan pour la restauration de l’île de Suakin, une ancienne possession ottomane sur la côte de la mer Rouge.

Les Émirats arabes unis ont établi une base dans le port érythréen d’Assab en 2015. Ils ont utilisé l’installation comme point de lancement pour des attaques navales et aériennes contre les forces houthies alignées sur l’Iran au Yémen.

Pour ne pas être en reste, Téhéran a également réussi à se faire une place sur la mer Rouge, alarmant les États-Unis sur les menaces maritimes potentiellement posées par des drones chargés de bombes.

Les mercenaires de Wagner

Les inquiétudes de Washington au sujet de la Russie s’expriment au moment où des informations révèlent que le Kremlin se mobilise fortement pour extraire l’or du Soudan.

Selon des responsables américains, cela pourrait soutenir le trésor de guerre de la Russie alors qu’elle fait face à la chute des prix du pétrole et aux sanctions occidentales.

Si une base navale russe venait à être construite au Soudan, cela représenterait une avancée significative dans les relations bilatérales des deux pays.

Le groupe Wagner « s’enrichit au Soudan » grâce aux mines d’or et au gouvernement
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Jusqu’à présent, l’implication de la Russie au Soudan a été dirigée par le groupe Wagner, un réseau obscur, lié à Vladimir Poutine, de mercenaires qui auraient combattu dans des conflits allant de la Libye à la Syrie.

Selon le New York Times, le groupe a mené des opérations de trafic d’or au Soudan.

En avril, Middle East Eye s’est entretenu avec des témoins oculaires qui ont évoqué une série d’attaques présumées menées par des groupes armés russes dans une zone d’extraction d’or de la République centrafricaine. Ces attaques auraient fait des centaines de morts et forcé des milliers de personnes à fuir au-delà de la frontière vers le Soudan.

La Russie était un acteur majeur en Afrique pendant la guerre froide, mais son influence a diminué après l’effondrement de l’Union soviétique.

Une rencontre en 2017 à Sotchi entre Vladimir Poutine et le président de l’époque Omar el-Béchir a ouvert la voie à l’entrée de Moscou sur le continent, le président soudanais déchu promettant que son pays pourrait être la « clé de l’Afrique » de la Russie.

Le Kremlin a depuis étendu son influence à travers le continent. Des mercenaires Wagner auraient été déployés au Mozambique, en République centrafricaine et, plus récemment, au Mali, où ils ont comblé le vide de pouvoir laissé par le départ des troupes françaises. Wagner a été accusé d’avoir perpétré des atrocités contre des civils dans bon nombre de ces régions.

Résultat du rapprochement de la Russie avec les pays africains : lorsque les Nations unies ont organisé un vote, en mars, pour condamner l’invasion de l’Ukraine par la Russie, 24 pays africains se sont abstenus ou n’ont pas pris part au vote et 28 ont voté en faveur de la résolution.

On ne sait pas si le Kremlin sera en mesure de donner suite à ses projets de base navale au bord de la mer Rouge. La crise économique au Soudan s’est aggravée depuis que l’armée a renversé le gouvernement de transition du pays en octobre de l’année dernière.

Les États-Unis ont déjà gelé 700 millions de dollars d’aide économique. La Banque mondiale a suspendu les versements d’aides au Soudan. Le Fonds monétaire international (FMI) a également suspendu son programme de près de 50 milliards de dollars d’allègement de la dette du pays jusqu’au rétablissement du gouvernement dirigé par des civils.

Dans son interview, John Godfrey, l’ambassadeur des États-Unis, a averti le Soudan des conséquences s’il respectait son accord avec la Russie.

« Tous les pays ont le droit souverain de décider avec quels autres pays s’associer, mais ces choix ont bien sûr des conséquences. »

L’ambassadeur a ajouté que toute base de ce type sur la mer Rouge « conduirait à un isolement supplémentaire du Soudan à un moment où la plupart des Soudanais veulent se rapprocher de la communauté internationale ».

Traduit partiellement de l’anglais (original).

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