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Ruée vers l’or en Afrique : des mercenaires russes accusés d’avoir tué des centaines de personnes près de la frontière soudanaise

Selon le témoignages recueillis par MEE de survivants d’une offensive meurtrière, menée en mars en République centrafricaine, des milliers de personnes ont fui la région pour se réfugier au Soudan. Les survivants accusent le groupe Wagner
Un membre de l’unité de protection rapprochée du président de la République centrafricaine Faustin-Archange Touadéra, composée d’agents de sociétés de sécurité privées russes (AFP)
Un membre de l’unité de protection rapprochée du président de la République centrafricaine Faustin-Archange Touadéra, composée d’agents de sociétés de sécurité privées russes (AFP)
Par Mohammed Amin à UM DAFUQ, Soudan

Une récente série d’attaques présumées menées par des groupes armés russes dans une région aurifère de la République centrafricaine a fait des centaines de morts et poussé des milliers d’autres personnes à fuir vers le Soudan

Ces violences meurtrières, attribuées par des témoins oculaires aux mercenaires du groupe Wagner, dont le chef présumé Evgueni Prigojine est un proche allié du président russe Vladimir Poutine, sont une preuve supplémentaire des manœuvres géostratégiques et de la ruée vers l’or qui se déroulent dans cette partie de l’Afrique, où Moscou est opposé aux Nations unies et à la France.

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Au cours d’une série d’assauts qui ont eu lieu entre le 14 et le 18 mars, des groupes armés russes ont tué des civils originaires du Soudan, du Tchad, du Niger et de la Centrafrique, indiquent des survivants à Middle East Eye

Selon des témoins oculaires, les attaques se sont produites à 200 km à l’ouest de la frontière soudanaise et à 400 km à l’est de Bangui, capitale centrafricaine, dans le secteur d’Andaha.

Des milliers de personnes ont fui la région pour se réfugier au Soudan et les petits chercheurs d’or ont perdu des millions de dollars d’or et de biens au total. 

Selon des survivants interrogés par MEE, les assaillants appartenaient au groupe Wagner, largement soupçonné d’être présent au Soudan et en Centrafrique depuis plusieurs années. 

Alors que la guerre actuelle en Ukraine crée un besoin urgent de liquidités et de réserves d’or pour Moscou, les observateurs pensent que les forces russes ont pour objectif d’expulser les mineurs de la région afin de ramener ensuite l’or et les diamants en Russie par des voies de contrebande. Des combattants du groupe Wagner ont également été photographiés dans l’est de l’Ukraine. 

L’or en soutien au rouble

Le rouble russe s’est effondré après le début de l’invasion et les sanctions imposées par les puissances occidentales. Cependant, les mesures de contrôle des capitaux ont contribué à stabiliser la monnaie et certains observateurs pensent que les réserves d’or sont utilisées par le gouvernement russe pour soutenir le rouble.

Le vice-dirigeant de facto, le général Mohamed Hamdan Dagalo, communément appelé Hemetti, a passé une semaine en Russie fin février et début mars (AFP/Ashraf Shazly)
Le vice-dirigeant de facto, le général Mohamed Hamdan Dagalo, communément appelé Hemetti, a passé une semaine en Russie fin février et début mars (AFP/Ashraf Shazly)

Depuis le coup d’État du 25 octobre qui l’a porté au pouvoir, le gouvernement militaire soudanais cherche à renforcer et à développer les liens préexistants avec Moscou.

Le vice-dirigeant de facto, le général Mohamed Hamdan Dagalo, communément appelé Hemetti, a passé une semaine en Russie fin février et début mars, où il a défendu l’assaut de Poutine en Ukraine et s’est dit ouvert à l’établissement par Moscou d’une base navale sur la côte soudanaise de la mer Rouge. 

Lorsqu’Adam Zakaria, 35 ans, et vingt membres de sa famille ont quitté la région aurifère du Darfour en raison de l’insécurité qui régnait dans la région soudanaise pour aller chercher plus d’or en Centrafrique, il ne pensait pas qu’il finirait par perdre au moins six proches et la quasi-totalité de son argent.  

« La situation était très bonne depuis 2018 », explique Adam Zakaria à MEE, à Um Dafuq, premier point d’entrée au Soudan depuis la Centrafrique.

« Ce que nous avons vu était très brutal et sanglant. Ils ont utilisé des forces agressives et des armes contre les civils, notamment pour massacrer les commerçants et les mineurs et piller notre argent et l’or »

- Adam Zakaria, un survivant

« Nous avons commencé à acheter ou à louer des terres pour chercher de l’or. Nous avons empoché des milliers de dollars chaque mois en travaillant avec des citoyens centrafricains et des gens venus du Tchad et du Niger. Le secteur d’Andaha est très riche en or. Tous les mineurs étaient heureux. » 

D’après Adam Zakaria, plus d’une cinquantaine de Soudanais, dont six membres de sa famille, ont été tués par les forces russes lors de ces attaques. En guise de preuves, MEE a pu consulter des photos explicites d’un certain nombre de victimes tuées.

Selon Adam Zakaria, les Russes ont utilisé des armes lourdes, notamment des hélicoptères d’attaque, des chars et des véhicules tout-terrain armés. 

« Ce que nous avons vu était très brutal et sanglant. Ils ont utilisé des forces agressives et des armes contre les civils, notamment pour massacrer les commerçants et les mineurs et piller notre argent et l’or », raconte-t-il. 

« Expulser les mineurs »

Ce Soudanais pense que le goupe Wagner est à l’origine des attaques et ajoute que les entreprises russes « veulent expulser les mineurs traditionnels afin de pouvoir contrôler elles-mêmes les secteurs aurifères en Centrafrique, puis dans toute la région du Sahel ».

« Nous avons eu des centaines de victimes au cours de notre fuite de la région, lorsque les forces russes ont traqué les déplacés jusqu’à ce qu’ils soient proches de la frontière soudanaise », explique-t-il.

Un autre Soudanais victime de l’attaque, Zakaria Mohamed Abdallah, 30 ans, a également perdu des milliers de dollars et plusieurs kilogrammes d’or.  

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Interrogé par MEE, il explique que les mineurs collectent activement de l’or ainsi que des diamants dans le secteur de Silonka, à une quinzaine de kilomètres d’Andaha.

« C’était la scène la plus violente que j’ai vue de ma vie », confie-t-il. « Ils ont massacré tout le monde. J’ai vu au moins vingt corps abandonnés au hasard. Ils nous ont pillés alors que nous fuyions à moto pour traverser la frontière et atteindre Um Dafuq. »

« J’ai presque tout perdu, y compris l’argent que j’ai gagné et l’or que j’ai collecté au cours des derniers mois », affirme-t-il. 
 
Zakaria Mohamed Abdallah accuse les forces soudanaises d’avoir ouvert la porte à une présence russe dans la région. Il affirme également que l’armée soudanaise est postée à la frontière centrafricaine et que lui-même et les autres mineurs en fuite ont subi des mauvais traitements de leur part.

Selon Haroun Adam, une autre victime de l’offensive, des mercenaires russes ainsi que certains combattants des Banda, un peuple centrafricain, ont attaqué les chercheurs d’or à différents endroits dans le secteur d’Andaha et ses environs, tuant ainsi des dizaines de personnes originaires du Soudan et du Tchad qui y travaillaient.

Interrogé par MEE, il explique que le contrôle de l’exploitation aurifère fait l’objet d’un conflit à grande échelle entre la Seleka et les anti-balaka, deux groupes rebelles qui s’affrontent en Centrafrique depuis plusieurs années mais qui sont aujourd’hui entravés par les enquêtes sur leurs exactions et les demandes de procès. 

« Ils ont massacré tout le monde. J’ai vu au moins vingt corps abandonnés au hasard. Ils nous ont pillés alors que nous fuyions à moto pour traverser la frontière et atteindre Um Dafuq »

- Zakaria Mohamed Abdallah, une victime de l’attaque

Mais selon Haroun Adam, ce conflit se répercute sur l’ensemble de la région, dans la mesure où les forces russes soutiennent actuellement le gouvernement centrafricain du président Faustin-Archange Touadéra – qui dépend désormais presque entièrement de Moscou – et cherche à chasser les étrangers et les locaux de la région. 

Comme le rapporte Africa Confidential, les affrontements entre le groupe Wagner et la mission de l’ONU en Centrafrique, la MINUSCA, se sont aggravés dernièrement. Après l’arrestation de quatre soldats français à l’aéroport de Bangui sur fond de tensions avec la Russie et le départ de Mankeur Ndiaye, le chef de la MINUSCA, l’heure est au règlement de comptes. 

En mars dernier, Mankeur Ndiaye s’est rendu à Moscou pour se plaindre du groupe Wagner, mais n’a reçu aucune assurance. À son retour en Centrafrique, il a déclaré publiquement que le groupe militaire privé était un problème pour l’ONU ainsi que pour la France.

Le groupe Wagner et ses partisans ont réagi en organisant des manifestations contre la MINUSCA et en diffusant sur Internet des accusations selon lesquelles des employés de l’ONU se livraient à des activités de contrebande, des viols, un trafic d’enfants et toute une série d’autres crimes odieux. 

Concurrence, violence et désinformation

Moniem Madibo, un analyste local, explique à MEE que le conflit autour des ressources – en particulier l’or – dans la région s’est intensifié depuis 2017, lorsque l’ancien président soudanais Omar el-Béchir a autorisé les Russes à exploiter des ressources à la frontière entre le Soudan et la Centrafrique. 

« Les groupes armés russes se sont installés dans la région pour l’exploitation minière. Le gouvernement soudanais a permis aux Russes d’être présents dans le pays et le gouvernement centrafricain a également ouvert la porte aux Russes afin qu’ils aident Bangui dans sa lutte contre la milice rebelle de la Seleka », affirme-t-il.

Un camion du Groupe Wagner est stationné dans une base pillée des Forces armées centrafricaines à Bangassou, le 20 février 2021 (AFP)
Un camion du groupe Wagner est stationné dans une base pillée des Forces armées centrafricaines à Bangassou, le 20 février 2021 (AFP)

Moniem Madibo indique à MEE que la concurrence entre les Français et les Russes se poursuit et s’attend à ce qu’elle s’intensifie, dans la mesure où Moscou cherche à s’emparer de grandes quantités d’or dans le contexte de la guerre en Ukraine. 

« Les Russes étendent leur influence dans la région. De nombreux témoins oculaires confirment que la société Wagner expulse les mineurs et s’empare de tout le secteur », poursuit-il. 

Certains pensent que la Russie a confié au Groupe Wagner la promotion de ses intérêts stratégiques en Afrique.

« Il s’agit d’une expansion au rabais, avec une force de mercenaires qui s’allie à des régimes militaires corrompus, autocratiques et impopulaires et qui s’empare d’une part importante des richesses naturelles de ces pays en contrepartie de ses services de sécurité rendus à des dirigeants impopulaires », affirme à MEE Suleiman Baldo, militant pro-démocratique soudanais.

Même s’il constate que l’administration militaire soudanaise s’est rangée du côté de la Russie, il ajoute que Moscou n’est pas en mesure d’aider le Soudan en raison de la crise économique internationale actuelle et des sanctions imposées à la suite de l’invasion de l’Ukraine. 

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« Le régime militaire du général Abdel Fattah al-Burhan et de Hemetti a choisi de se ranger ouvertement du côté de la Russie au moment où ses forces envahissaient un pays souverain en Europe, envoyant ainsi un message au reste du monde selon lequel la junte a toujours l’intention de réprimer violemment les revendications de la population soudanaise en faveur d’une transition démocratique menée par des civils », soutient Suleiman Baldo. 

« À court terme, la Russie aura peu de moyens pour alléger la crise économique au Soudan, au-delà d’une poursuite de la fourniture d’armes à l’armée et des services de sécurité et politiques que le groupe Wagner continue d’apporter à la fois à l’armée et aux Forces de soutien rapide. » 

Le militant ajoute que les experts en désinformation travaillant pour le groupe Wagner « continuent de soutenir les revendications de l’establishment militaire au Soudan en créant sur les réseaux sociaux des plateformes d’informations manipulées qui ne cessent d’être bloquées par Facebook, car elles représentent une ingérence illégale d’une puissance étrangère dans les affaires intérieures d’un pays. » 

Le ministère soudanais des Affaires étrangères a récemment nié toute présence du groupe Wagner dans le pays. 

« Ils ont déclaré que la société russe de sécurité Wagner était présente au Soudan et menait des activités de formation, d’exploitation minière et d’autres activités illégales […], ce que le gouvernement du Soudan dément catégoriquement », a indiqué le ministère en réponse à un communiqué de diplomates occidentaux.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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