Aller au contenu principal

Sur la côte marocaine, les cabanes de pêcheurs sacrifiées pour des complexes touristiques

Depuis décembre, l’État marocain a lancé une vaste opération de reconquête du domaine public maritime en détruisant les petits villages troglodytes de pêcheurs prisés des surfeurs du monde entier
Selon les médias marocains, les autorités locales se sont justifiées : ces logements étaient « insalubres » et l’État n’a fait que récupérer son « domaine public maritime » (instagram/@imsouane_photography)
Selon les médias marocains, les autorités locales se sont justifiées : ces logements étaient « insalubres » et l’État n’a fait que récupérer son « domaine public maritime » (instagram/@imsouane_photography)
Par MEE

Alors que l’océan lèche plus d’un kilomètre de plage, sous un ciel bleu sans nuage, de voraces tractopelles engloutissent les murs de petites cabanes blanches et réduisent en bouillie ce que les habitants n’ont pas eu le temps d’emporter.  

Imsouane, village de pêcheurs sur la côte marocaine, entre Essouira et Agadir, tel que les surfeurs venus du monde entier le connaissaient, n’existe plus. 

Sa plage, classée par le magazine Forbes comme l’une des 27 plus belles plages au monde, est désormais orpheline de ses cabanes, cafés, restaurants et petits commerces prisés des amateurs de sensations fortes, des influenceurs et des voyageurs fuyant le tourisme de masse. 

Depuis le 25 décembre, les autorités marocaines ont mis à exécution des plans de démolition des habitations depuis Tifnit jusqu’à Imsouane, en passant par Sidi Toual, Douira, Sidi Rbat, Wassay. 

Les habitants, qui disent n’avoir eu que cinq jours au mieux, 24 heures au pire, pour quitter les lieux, ont vu partir en poussière leurs biens, hérités de leurs parents, et parfois rénovés pour la location saisonnière au prix de toutes leurs économies. 

Selon les médias marocains, les autorités locales se sont justifiées : ces logements étaient « insalubres » et l’État n’a fait que récupérer son « domaine public maritime ». 

« Aucune alternative »

Les villageois reprochent aux autorités de ne leur avoir proposé « aucune alternative » et répondent que ces maisons, dites « troglodytes », avaient été construites selon les méthodes traditionnelles de leurs ancêtres et faisaient partie du patrimoine amazigh. 

Ils n’avaient en conséquence, pour la plupart, aucun titre de propriété. Certains disent toutefois avoir acheté un « numéro de maison » légalisé chez le notaire.

« L’existence de ces habitants est intimement liée au tissu même d’Imsouane. Leurs maisons et leurs entreprises font partie intégrante de ce qui fait la spécificité de cette ville », explique une pétition pour défendre le spot de surf de la destruction, qui a récolté plus de 17 000 signatures. « De plus, de nombreux habitants dépendent du tourisme pour leurs revenus. »

Traduction : « Je passais mes vacances à Imsouane, un village de surf au sud du Maroc. Ici, j'ai assisté au début de la fin du rôle historique de ce village de pêcheurs, à la disparition des petites maisons et des commerces du bord de mer. La plupart des maisons ont été construites par les pêcheurs et les habitants eux-mêmes, sans posséder légalement l’espace. Ces lieux sont devenus le patrimoine culturel local. Imsouane possède parmi les vagues les plus longues d’Afrique et, combiné aux bâtiments informels et à l’ambiance brute, cela fait l’attrait, le caractère spécial et le charme d’Imsouane. La décision de détruire ces lieux particuliers et peut-être de les remplacer par des bâtiments modernes n’est pas une solution. Il faut penser ce lieu comme un patrimoine social et culturel et trouver de meilleures solutions, pour faire battre le cœur du village. »

Place nette a été faite, selon plusieurs témoignages, pour permettre le développement de complexes touristiques. C’est notamment ce qu’explique le directeur général de la Société de développement régional du tourisme (SDRT), contacté par le site d’informations Maroc Hebdo

Quinze nouvelles zones touristiques sont ainsi prévues dans la métropole du Grand Agadir. Un circuit touristique de près de 80 kilomètres, appelé Blue Safari, doit par exemple relier Agadir à sept sites du parc national de Souss Massa, dans lequel se trouvent notamment… Sidi Toual et Tifnit. 

« Le circuit, praticable en 4x4 ou en voiture de tourisme, comportera de nombreux points d’arrêt dans les réserves animalières, les points d’observation des oiseaux, l’embouchure de l’Oued Massa, les villages, les plages… », décrit le site Médias24. 

« Ces expéditions, réalisées en un ou plusieurs jours, traverseront des zones d’animation avec la possibilité d’être hébergé sur place dans des hôtels de catégorie 3 et 4 étoiles. » 

Depuis 2021, circule un Guide des opportunités d’investissement touristique élaboré par le Centre régional d’investissement de Souss Massa qui montre à quel point les villages de pêcheurs ne collaient plus avec les projets de stations balnéaires tels que pensés par l’État, où spas côtoient terrains de golf, villages vacances, médiathèques, etc.

Des projets que la Coupe d’Afrique des nations (le Maroc en sera le pays hôte en 2025) et la Coupe du monde (le Maroc la co-organisera en 2030 avec le Portugal et l’Espagne) rendent sans doute plus urgents à lancer.

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].