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Syrie : au cœur du camp qui abrite des combattants français recherchés dans la province d’Idleb

Dans le nord-ouest de la Syrie, un groupe de combattants francophones proche d’al-Qaïda s’est construit un refuge fortifié, défiant les autorités locales et les poursuites internationales
Capture d’écran d’une vidéo de propagande publiée en 2022 sur Telegram par le groupe Firqat al-Ghouraba d’Omar Omsen, montrant le camp où vivent ses membres dans la ville syrienne de Harim

Fin avril, Ben* a franchi illégalement la frontière entre la Syrie et la Turquie.

Le Français a escaladé le mur de béton de trois mètres qui sépare les deux pays depuis 2015. Il portait dans ses bras Sarah, sa fille de 3 ans, née dans la province d’Idleb.

La mère de Sarah, également française, a expliqué dans une vidéo de propagande avoir choisi de rester en Syrie au sein d’un groupe de combattants proche d’al-Qaïda.

Après plus de neuf ans passés dans de ce groupe, Ben, âgé de 26 ans, a décidé de se rendre.

« Ça fait presque dix ans que j’attends ce miracle », a confié à Middle East Eye sa mère, sous le couvert de l’anonymat, après son évasion.

Quelques jours après avoir escaladé le mur, Ben s’est rendu à l’ambassade de France à Istanbul avec son enfant. Il a été remis aux autorités turques, qui l’ont finalement expulsé vers Paris, où il a été mis en examen pour appartenance à un groupe terroriste. Il risque jusqu’à 30 ans de prison.

« Lorsque Ben est parti, il était encore un enfant », indique à MEE Me Florian Lastelle, l’avocat de Ben en France. « Avec le temps, il est devenu un père responsable et s’est rendu compte qu’il ne pouvait pas élever son enfant dans cette région. »

« Il est conscient qu’il restera en prison pendant plusieurs années, mais l’essentiel pour lui est que sa fille soit en France. Elle va à l’école, elle va s’épanouir dans son pays. »

Ben a quitté la France en décembre 2013, quelques jours avant Noël. Il venait de se convertir à l’islam et n’avait que 16 ans. 

Plusieurs amis sont partis avec lui, tous mineurs, tous originaires du même quartier de Nice et tous endoctrinés par le même homme : Omar Diaby, alias Omar Omsen. 

Ce Franco-Sénégalais, recherché par les autorités françaises en vertu d’un mandat d’arrêt international, est considéré par les services de renseignement français comme le plus grand recruteur de Français envoyés au combat en Syrie. 

Le recruteur franco-sénégalais Omar Omsen, dans un film de France 2 en 2016 (capture d’écran/France 2)
Le recruteur franco-sénégalais Omar Omsen, dans un film de France 2 en 2016 (capture d’écran/France 2)

En 2013, Omar Omsen s’est rendu à Idleb et a dirigé un groupe de Français combattant aux côtés du Front al-Nosra, qui était alors la filiale syrienne d’al-Qaïda. 

Au fil des ans, il a transformé sa petite unité en une communauté privée indépendante de combattants français, installée dans un camp fortifié au sommet d’une colline près de la frontière avec la Turquie.

Une source locale indique à MEE que 80 adultes vivent dans le camp, dont 60 Français, selon le Centre d’analyse du terrorisme (CAT), basé à Paris.  

Omar Omsen y applique sa version des lois dites islamiques.

En quittant le groupe, Ben s’est attiré les foudres de ses anciens « amis », qui l’accusent désormais d’avoir enlevé sa fille Sarah. 

« Cette enfant n’appartient pas à la France, elle est syrienne », explique un porte-parole du groupe dans un message envoyé à MEE

« On ne veut pas que nos enfants grandissent en France. Cette fillette n’a rien à faire dans un foyer avec des Français. » 

Une « brigade » française en Syrie

Le groupe d’Omar Omsen se fait appeler Firqat al-Ghouraba (« Brigade des étrangers »).

Lorsque les premiers combattants se sont installés en Syrie près de Sarmada en 2013, ils vivaient dans des tentes de fortune au sommet d’une colline située à quelques mètres de la frontière turque, dans la ville de Harim. 

Aujourd’hui, leur camp ressemble à un complexe privé, comme a pu le constater MEE. Ils ont construit des maisons, une salle de prière, une école et même un terrain de football avec une pelouse artificielle verte. Le tout encadré par une haute clôture verte. 

« Notre mur d’enceinte a bien résisté, malgré l’absence de fondations », s’enorgueillit l’un des membres du groupe lors d’un entretien avec MEE, en référence aux violents séismes qui ont frappé le nord-ouest de la Syrie et la Turquie en février dernier.

Firqat al-Ghouraba n’essaie pas de se cacher : ses membres sont parfaitement visibles depuis la route très fréquentée qui contourne le camp. 

Interrogés à plusieurs reprises par MEE sur le mode de financement du camp, les membres du groupe ont refusé de répondre. 

Capture d’écran d’une vidéo de propagande publiée en 2022 sur Telegram par le groupe Firqat al-Ghouraba, montrant des enfants et des femmes vivant dans le camp
Capture d’écran d’une vidéo de propagande publiée en 2022 sur Telegram par le groupe Firqat al-Ghouraba, montrant des enfants et des femmes vivant dans le camp

Sur place, ces combattants francophones sont en conflit croissant avec Hayat Tahrir al-Cham (HTC), un groupe armé qui comprenait auparavant le Front al-Nosra. 

HTC contrôle une grande partie d’Idleb et tente depuis quelques années de maîtriser les petits groupes armés de la province sous son autorité. 

En août 2021, le groupe a arrêté Omar Omsen et l’a emprisonné pendant un an et demi, avant de le relâcher avec l’ordre de ne pas appliquer ses propres lois islamiques. 

Plus tôt cette année, le groupe d’Omar Omsen a diffusé plusieurs vidéos attaquant directement HTC, qu’il accuse d’avoir abandonné le « djihad ». 

Selon une source locale proche de HTC, d’autres enquêtes sont toujours en cours contre Omar Omsen et certains de ses partisans, ce qui montre que les tensions entre les deux groupes ne sont pas près de s’apaiser.

« Mes enfants m’ont été volés »

– Père de mineurs vivant dans le camp de Firqat al-Ghouraba

Firqat al Ghouraba préoccupe également les autorités françaises. 

Dans une interview accordée au Figaro en mars 2021, Laurent Nuñez, alors coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, a déclaré que Paris surveillait « ces Français de très près afin de prévenir les projets d’attentats ». 

Selon Jean-Charles Brisard, président du CAT, le groupe d’Omar Omsen est dangereux à plus d’un titre.

« Premièrement en raison de sa propagande, qui continue d’être diffusée par divers canaux, sur les réseaux sociaux et les services de messagerie cryptée, et qui prône ouvertement la hijra [migration] », affirme-t-il à MEE.

« Deuxièmement, cette propagande alimente une campagne de recrutement et d’enrôlement. Les deux derniers Français partis en Syrie en 2021 ont rejoint le groupe d’[Omar] Omsen. » 

En janvier 2015, Omar Omsen a salué l’attentat contre Charlie Hebdo et l’assassinat de huit journalistes de l’hebdomadaire satirique. 

« Si j’avais pu, j’aurais moi-même arraché les yeux [du dessinateur] Charb avec une petite cuillère », a lancé le Franco-Sénégalais.

Des enfants coupés du monde

En plus des 80 adultes, près d’une centaine d’enfants grandissent derrière les clôtures du camp, indiquent des sources locales à MEE.

Dans plusieurs vidéos de propagande, on voit les enfants jouer, entourés d’hommes armés de kalachnikovs. 

C’est un véritable monde clos où les filles sont mariées dès l’âge de 16 ans et où la polygamie est très répandue. 

Mais la plupart des femmes du camp l’ont rejoint de leur propre chef, comme l’ex-épouse de Karim*, qui est citoyenne française. 

En septembre 2017, elle a réussi à échapper à la surveillance des autorités turques et à entrer en Syrie avec deux des enfants qu’elle a eus avec Karim, sans l’en informer. 

Depuis lors, il se bat pour les récupérer. 

Une photo prise en décembre 2022 montre Karim et l’un de ses enfants, qui n’a pas été emmené en Syrie par sa mère (CinéTV/Bernard Jallet)
Une photo prise en décembre 2022 montre Karim et l’un de ses enfants, qui n’a pas été emmené en Syrie par sa mère (CinéTV/Bernard Jallet)

« Je n’ai pas eu de nouvelles d’eux depuis août 2021 », indique Karim à MEE

Lorsqu’il contacte les autorités françaises, celles-ci lui répondent toujours qu’elles n’ont « pas de représentation officielle en Syrie ».  

Il s’est désormais tourné vers les autorités locales d’Idleb, à savoir le Gouvernement de salut syrien soutenu par HTC, qui constitue son dernier espoir. 

« J’ai déposé une plainte auprès du système judiciaire d’Idleb, étant donné que ces juges sont compétents dans la région », explique-t-il. 

« Je ne sais pas si cette plainte aboutira un jour. On m’a volé mes enfants et le groupe d’Omsen a tout fait pour me priver de mes droits de père. Cela fait six ans que je me bats. »  

* Prénoms modifiés afin de protéger l’anonymat des interlocuteurs.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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