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Syrie : les habitants d’Hassaké pris au piège alors que l’État islamique attaque la prison de la ville

Selon l’ONU, 45 000 personnes ont été déplacées à la suite du chaos qui a envahi la ville du nord-est du pays, tandis que de nombreuses autres personnes se retrouvent prises au piège chez elles
Un membre des Forces démocratiques syriennes braque son arme à l’extérieur d’une prison au cours d’affrontements avec des combattants de l’État islamique à Hassaké (Reuters)
Un membre des Forces démocratiques syriennes braque son arme à l’extérieur d’une prison au cours d’affrontements avec des combattants de l’État islamique à Hassaké (Reuters)

Ahmed ne peut prononcer que quelques mots avant que ses mains tremblantes passent le téléphone à son ami Maher al-Abid : « Nous voulons juste sortir de cet enfer. »

Les deux hommes sont pris au piège dans le quartier de Ghwayran à Hassaké depuis vendredi. Ce jour-là, des cellules dormantes du groupe État islamique (EI) ont lancé une évasion spectaculaire dans la ville du nord-est de la Syrie, qui s’est transformée en une bataille toujours en cours.

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Des dizaines de prisonniers de l’EI se sont échappés et même si certains ont été repris, d’autres ont rejoint les combats.

De violents affrontements avec les Forces démocratiques syriennes (FDS), une milice sous commandement kurde qui gère la prison industrielle d’Hassaké, se poursuivent dans l’établissement et aux alentours.

« Les forces kurdes tentent de resserrer l’étau autour des combattants qui se sont terrés dans le côté nord de la prison », a déclaré à l'AFP le directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), Rami Abdel Rahmane.

L’OSDH estime que 27 otages sont détenus à l’intérieur de la prison et 40 personnes sont portées disparues.

Après s’être vu confier le téléphone par Ahmed, Maher al-Abid ne peut que s’excuser auprès de Middle East Eye. Accablé par un stress extrême et dans l’incapacité d’assurer sa protection et celle de sa famille sous les combats, Ahmed est incapable de parler.

« Depuis l’évasion, même si nous n’avons pas vu de combattants de l’EI, la terreur nous submerge. Nous n’avons dormi que quelques heures ces derniers jours », confie Maher al-Abid.

« Comme des esclaves »

La situation est selon lui invivable. « Il n’y a pas de vie ici, les gens puisent dans les réserves qu’ils ont constituées pour l’hiver pour pouvoir manger, et elles seront épuisées dans quelques jours puisqu’aucun magasin n’est ouvert », ajoute-t-il à MEE. « Nous n’avons vu aucune organisation internationale ou locale venir à notre secours. Ils nous laissent mourir ? »

Mardi, le bilan au cinquième jour de combats a encore été revu à la hausse avec plus de 166 morts, parmi lesquels une centaine de combattants de l’EI. Selon l’ONU, 45 000 personnes ont été déplacées à la suite du chaos qui a envahi la ville du nord-est du pays.

Les Forces démocratiques syriennes recherchent des combattants de l’État islamique à Hassaké (Reuters)
Les Forces démocratiques syriennes recherchent des combattants de l’État islamique à Hassaké (Reuters)

Mais tout le monde n’a pas la possibilité de s’échapper, en particulier ceux qui sont proches des combats.

« J’essaie chaque jour de faire sortir ma famille du quartier, mais aujourd’hui, des combattants armés des FDS m’ont menacé pour que je rentre chez moi. Ils nous traitent comme des esclaves », déplore Maher al-Abid.

« Nous avons beaucoup de doutes sur la capacité des FDS à nous protéger, alors que dans le même temps, ils nous empêchent de sortir. »

Une fuite vers les secteurs contrôlés par Damas

Si Ibrahim al-Assaf est parvenu à échapper aux combats, il est toutefois resté pris au piège sans pouvoir se nourrir durant les deux premiers jours du siège, chez lui à Ghwayran, à côté de la prison.

Cet étudiant confie qu’il a été difficile d’échapper au danger durant sa fuite, car il a dû traverser des secteurs d’Hassaké contrôlés par le gouvernement syrien.

Les soldats du gouvernement syrien ont enregistré les noms de tous ceux qui ont tenté de pénétrer dans le territoire contrôlé par Damas. De nombreux Syriens vivent dans les zones sous contrôle kurde afin d’échapper aux services de sécurité et de renseignement du gouvernement, qui les terrifient.

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Dans les faits, comme l’ont rapporté des activistes, un certain nombre de Syriens déplacés de la ville voisine de Deir Ezzor ont été arrêtés alors qu’ils fuyaient vers des secteurs d’Hassaké contrôlés par le gouvernement parce que leur nom figurait sur des listes d’individus recherchés.

« Le fait d’être appréhendé à ce poste de contrôle à l’entrée et de voir mon nom enregistré était en soi quelque chose de terrifiant », affirme Ibrahim al-Assaf.

Le premier jour des combats s’est avéré le plus sanglant. Selon Ibrahim al-Assaf, de nombreuses victimes civiles sont à déplorer.

« Je me rendais à la boulangerie vendredi matin lorsque j’ai vu deux corps sur la route. Je ne savais pas qui ils étaient, mais j’étais horrifié et je suis rentré chez moi en courant », se souvient-il.

« Après avoir vu cette scène, je n’ai pas pu sortir de chez moi pendant deux jours. J’avais peur de revoir les scènes meurtrières auxquelles j’avais assisté dans ma ville de Raqqa sous l’EI. Je ne peux décrire à quel point j’étais horrifié la nuit à l’idée de revivre cela. »

« Depuis le début de la bataille, plus de 6 000 familles ont fui. Quelques-unes ont des proches chez qui aller et les autres doivent dormir dans la rue »

- Issam al-Ajil, travailleur humanitaire

Interrogé par MEE, Issam al-Ajil, un travailleur humanitaire originaire de Deir Ezzor, soutient qu’une campagne de secours doit être lancée dès que possible. Il appelle les ONG internationales et locales à venir en aide aux déplacés.

« Depuis le début de la bataille, plus de 6 000 familles ont fui. Quelques-unes ont des proches chez qui aller et les autres doivent dormir dans la rue », explique-t-il.

D’après Issam al-Ajil, la plupart des organisations humanitaires ont mis un terme à leurs opérations locales en raison de la menace, ce qui entraîne une énorme perturbation des services d’aide humanitaire pour des habitants qui en étaient déjà tributaires avant le début du siège.

Des enfants comme boucliers humains

Alors que les températures descendent en dessous de zéro la nuit, l’acheminement rapide d’une aide est une question encore plus urgente, poursuit-il.

Des photos de familles déplacées dormant au bord des routes ont commencé à être largement diffusées par des activistes syriens. Ghassan Khalil, gouverneur de la partie d’Hassaké contrôlée par Damas, juge la situation désastreuse.

Environ 700 mineurs – dont certains ont été amenés en Syrie pour rejoindre les rangs de l’EI alors qu’ils étaient encore de jeunes enfants – auraient été entraînés dans les combats de la prison. 

Lundi, Save the Children a affirmé disposer de preuves que de nombreux enfants ont été tués ou blessés. L’organisationa déclaré avoir reçu des témoignages audio, notamment un enregistrement d’un garçon en train de pleurer.

Selon les FDS, l’EI utilise les enfants comme boucliers humains.

Traduit de l’anglais et actualisé (original) par VECTranslation.

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