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Nouvelle Constitution en Tunisie : quelles nouveautés, quels rédacteurs ?

Un vote par référendum de la Constitution est prévu le 25 juillet, accordant à Saied davantage de pouvoirs pour façonner le système politique de la Tunisie
Sadok Belaïd, chef du comité de rédaction, remet au président tunisien Kais Saied une ébauche de la constitution au palais de Carthage, le 20 juin 2022 (Twitter/présidence tunisienne)
Sadok Belaïd, chef du comité de rédaction, remet au président tunisien Kais Saied une ébauche de la Constitution au palais de Carthage, le 20 juin 2022 (Twitter/présidence tunisienne)

Le président tunisien Kais Saied prévoit de soumettre la nouvelle Constitution à un référendum en juillet, remaniant les structures juridique, politique et économique pour bâtir une « nouvelle République ».

Élu président après s’être présenté comme indépendant en 2019, Saied s’est lancé dans une série de mesures d’accaparement du pouvoir à l’été 2021, lesquelles lui ont permis de concentrer les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire entre ses mains. Pour ses opposants, cette consolidation des pouvoirs est un coup d’État.

Sa dernière initiative est la rédaction d’une nouvelle Constitution qui remplacerait la Constitution de 2014, pierre angulaire du changement post-révolution vers la démocratie en Tunisie.

Ce professeur de droit devenu politicien s’est vu remettre lundi une ébauche de la nouvelle Constitution par Sadok Belaïd, juriste chevronné en charge du comité de rédaction de la nouvelle charte. 

Un vote par référendum de ce nouveau document est désormais prévu le 25 juillet, accordant à Saied davantage de pouvoirs pour façonner le système politique de la Tunisie.

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Cela va également rompre avec certains articles et chapitres de la Constitution de 2014 et en amender d’autres : un des changements les plus notables est l’omission de l’islam comme religion d’État.

Cependant, des partis politiques se sont abstenus de participer aux consultations pour rédiger la nouvelle Constitution, à savoir le mouvement Ennahdha (force politique majeure dans le Parlement aujourd’hui dissous), la coalition al-Karama et Qalb Tounes de Nabil Karoui

Les partis d’opposition ont annoncé leur boycott du référendum alors que des milliers de Tunisiens sont descendus dans les rues ce weekend pour manifester contre l’initiative de Saied.

Ce projet de Constitution survient alors que les magistrats ont entamé leur troisième semaine de grève nationale pour protester contre le renvoi par Saied de 57 juges, accusés de corruption et de « protéger les terroristes ».

La semaine dernière, une grève de 24 heures organisée par la puissante Union générale tunisienne du travail (UGTT), qui exigeait des hausses de salaire pour ses membres, a paralysé le trafic aérien national et international en Tunisie, perturbé les transports terrestres et maritimes, alors que l’opposition à Saied prenait une nouvelle forme. 

Middle East Eye s’intéresse aux rédacteurs et aux nouveautés de la nouvelle Constitution.

Quelles seront les nouveautés de cette Constitution ?

Saied a jusqu’à fin juin pour approuver le projet et doit soumettre la nouvelle Constitution à un référendum dans les 30 jours suivants. Si elle est adoptée, il s’agira de la troisième Constitution tunisienne depuis 1959.

La Constitution adoptée en 2014 est un document arraché de longue lutte par les Tunisiens grâce à la révolution de 2010, qui a évincé l’ancien président Zine el-Abidine Ben Ali. C’était également un compromis politique entre les parties laïcs et le mouvement islamiste Ennahdha.

Alors que la Constitution de 1959 comme celle de 2014 stipulent que l’islam est la « religion d’État », la nouvelle gomme la référence à l’islam.

« La prochaine Constitution tunisienne ne mentionnera pas un État avec l’islam pour religion, mais une autre appartenance à une oumma [communauté] qui a l’islam pour religion », a indiqué Saied aux journalistes mardi.

« La oumma et l’État sont deux choses différentes », a-t-il ajouté, lors de sa rencontre avec des pèlerins tunisiens en partance pour La Mecque à l’aéroport de Tunis.

Le président Kais Saied pose pour un selfie avec un pèlerin tunisien à l’aéroport de Tunis, le 21 juin 2020 (Twitter/présidence tunisienne)
Le président Kais Saied pose pour un selfie avec un pèlerin tunisien à l’aéroport de Tunis, le 21 juin 2020 (Twitter/présidence tunisienne)

Sadok Belaïd, qui préside le comité de rédaction, a expliqué en juin que la nouvelle Constitution ne mentionnerait pas l’islam comme religion d’État pour « éviter de déployer la religion pour justifier l’extrémisme politique ».

Ennahdha condamne les remarques de Belaïd, estimant que Saied a organisé un coup d’État contre les valeurs démocratiques de la révolution de 2010 et une attaque contre le parti le système parlementaire multipartite.

Par ailleurs, il met en garde contre toute velléité d’amender ou d’omettre le premier article de la Constitution, lequel énonce : « La Tunisie est un état souverain, indépendant et libre. Sa religion est l’islam et sa langue, l’arabe. »

La nouvelle Constitution dans son intégralité n’a pas encore été rendue publique. Saied s’est juré de reconstruire le système politique de la Tunisie et de revitaliser l’économie.

Il assuré que le projet n’est pas définitif et que certaines sections peuvent être révisées où faire l’objet d’une réflexion plus approfondie.

« Système présidentiel ou parlementaire, là n’est pas la question. Ce qui compte, c’est que le peuple soit souverain. » Il y a la fonction législative, la fonction exécutive et la fonction judiciaire et elles sont séparées », a-t-il insisté mardi.

Autre différence majeure par rapport à la Constitution de 2014 : l’attention portée à la prospérité économique, indiquait Belaïd plutôt cette semaine. 

Qui a participé à sa rédaction, qui en a été exclu ?

La décision d’établir une nouvelle Constitution pour la Tunisie a été prise au mois de mai lorsque Saied a désigné Belaïd pour présider le comité de rédaction.

Pour cette mission, Saied a également mis en place la Commission consultative nationale pour la nouvelle République, qui comprend trois commissions économique, juridique et sociale, et une commission de dialogue national.

L’UGTT a participé à cette dernière. Mais ses dirigeants ont déclaré qu’un référendum de la nouvelle Constitution « ne leur convient pas ».

La commission comprenait également les doyens des écoles de droit du pays, les chefs des syndicats de commerce, ainsi que certaines organisations de défense des droits de l’homme. 

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Toutefois, la commission et le comité de rédaction ne comprenaient aucun représentant des principaux partis politiques tunisiens, à commencer par Ennahdha et le Parti destourien libre (PDL) d’Abir Moussi.

Les dirigeants de l’UGTT, qui a enrôlé environ 700 000 personnes dans sa grève récente, ont indiqué qu’ils ne participeront pas aux discussions concernant la Constitution.

Parmi les autres partis exclus des négociations figuraient le Parti républicain (centriste libéral), le Courant démocrate (socialiste), le Forum démocratique pour le travail et les libertés (Ettakatol), ainsi que le Parti des travailleurs (communiste).

Ils ont appelé à une campagne pour l’abandon du référendum et l’ont qualifié d’« imposture », visant à donner une « fausse légitimité » à Saied par rapport à la Constitution de 2014.

Mohamed Ben Salem, ancien ministre tunisien de l’Agriculture, estime quant à lui que la nouvelle Constitution est la « Constitution des salles obscures ».

« Ce qui est rédigé actuellement ne serait pas une Constitution de la République tunisienne », explique-t-il, « mais serait la Constitution de la République de Kais Saied, afin que la République puisse être appelée kaisiste, saiediste ou République belaïdiste saiediste. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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