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Tunisie : un tribunal gèle les comptes bancaires de Ghannouchi et de huit autres opposants à Saied

Les détracteurs du président tunisien l’accusent de s’en prendre aux dissidents pour tenter de consolider son « système autoritaire »
Principal chef de l’opposition en Tunisie, Rached Ghannouchi est devenu un fervent détracteur de Saied depuis sa prise de pouvoir le 25 juillet 2021 (AFP)
Principal chef de l’opposition en Tunisie, Rached Ghannouchi est devenu un fervent détracteur de Saied depuis sa prise de pouvoir le 25 juillet 2021 (AFP)

En Tunisie, un tribunal a gelé les actifs financiers de plusieurs opposants au président Kais Saied, notamment l’ancien président du Parlement dissous, Rached Ghannouchi, et de neuf autres.

Cette décision prise mercredi englobe également le fils de Ghannouchi, Moadh, l’ancien Premier ministre Hamadi Jebali et l’ancien ministre des Affaires étrangères Rafik Abdessalem, toutes des personnalités du parti Ennahdha.

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« Le juge antiterroriste a ordonné de geler les comptes bancaires de ces gens et la commission des analyses financières a demandé aux banques d’appliquer la décision de justice », explique un responsable de cette commission, dirigée par le gouverneur de la Banque centrale.

Principal chef de l’opposition en Tunisie, Rached Ghannouchi est devenu un fervent détracteur de Saied depuis sa prise de pouvoir le 25 juillet 2021, au cours de laquelle il a dissous le Parlement et s’est accordé des pouvoirs étendus. 

Le mois dernier, Ghannouchi a été « officiellement inculpé pour appartenance à une organisation terroriste » selon certaines informations.

Considérations politiques

Ennahdha a confirmé qu’un juge avait convoqué son dirigeant pour répondre à des questions relatives à ces allégations, lesquelles sont qualifiées de « déformation des faits » et d’« inventions ».

Les juristes s’interrogent également à propos de l’indépendance de la justice en Tunisie sous Saied.

Saïd Benarbia, directeur de la Commission internationale des juristes basée à Genève, affirme à Middle East Eye que Saied a « soumis la justice à sa volonté politique » dans un train de mesures prises depuis l’été dernier, notamment la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature et la purge des magistrats.

« En purgeant la justice des juges et procureurs refusant de se soumettre à ses ordres et décrets illégaux, le président Saied a envoyé un message glaçant aux autres juges qui devraient être des garde-fous contre ses abus de pouvoir »

- Saïd Benarbia, directeur de la Commission internationale des juristes basée à Genève

En mai, Kais Saied a limogé 57 juges pour « purifier » la justice, les accusant de protéger des « terroristes ».

« En purgeant la justice des juges et procureurs refusant de se soumettre à ses ordres et décrets illégaux, le président Saied a envoyé un message glaçant aux autres juges qui devraient être des garde-fous contre ses abus de pouvoir », estime Saïd Benarbia.

« Dans le cadre actuel, le public aura du mal à croire que les décisions de justice visant les opposants du président reposent sur le droit et les preuves, plutôt que sur des considérations politiques », a ajouté le juriste. 

En juin, l’ancien Premier ministre Hamadi Jebali, autre important rival de Saied, a été arrêté sur des soupçons de blanchiment d’argent et détenu pendant quatre jours. Selon Ennahdha, son arrestation s’inscrivait dans une campagne visant les opposants du gouvernement.

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Elle est survenue quelques semaines avant le référendum constitutionnel soutenu par Saied, qui doit avoir lieu le 25 juillet, premier anniversaire de sa prise de pouvoir. Cette nouvelle Constitution est vue comme une tentative visant à refaçonner et consolider le pays, le transformant en « autocratie ». 

« Seule une petite frange de la société soutient la Constitution », assure Mohamed-Dhia Hammami, doctorant tunisien en sciences politiques à l’université de Syracuse.

« Saied exagère ses mérites en disant qu’elle résoudra tous les problèmes. La plupart des gens n’adhèrent pas à ce discours », indique-t-il à MEE

« Il tente donc de détourner l’attention »

Selon lui, le président tunisien s’est embarqué dans un « projet autocratique, avec une forme non conventionnelle de représentation populaire qu’il appelle “construction par le bas” », ce qui ne prendra pas.

La puissante organisation syndicale tunisienne, l’UGTT, a elle aussi prévenu récemment que ce projet de constitution pourrait menacer la démocratie, mais n’a pas donné de consigne de vote à ses adhérents. 

La dernière initiative de Saied contre ce qui était le plus grand parti au Parlement pourrait également détourner l’attention des difficultés économiques toujours plus pesantes et du manque d’appétit pour une nouvelle Constitution, juge Radwan Masmoudi, président du Centre de l’étude de l’islam et de la démocratie à Washington DC.

« Il est clair que Kais Saied détruit l’expérience démocratique et les institutions en Tunisie »

- Radwan Masmoudi, président du Centre de l’étude de l’islam et de la démocratie à Washington DC

« Kais Saied sait que sa proposition de référendum et de nouvelle Constitution sont très impopulaires, il tente donc de détourner l’attention et prétend combattre la corruption, tout en s’en prenant au plus grand parti d’opposition dans le pays », affirme-t-il à MEE

« Il est clair que Kais Saied détruit l’expérience démocratique et les institutions en Tunisie », poursuit le responsable du centre, ajoutant que le chef de l’État veut construire un « système autoritaire dans lequel le président détient 80 % à 90 % des pouvoirs. »

« S’il y parvient, la Tunisie connaîtra des jours, des mois voire des années sombres et difficiles, en particulier en termes de droits de l’homme et de liberté d’expression et de liberté d’organisation. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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