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Tunisie : pourquoi la Turquie ne décrit pas le coup de force de Kais Saied comme un coup d’État

Ankara estime qu’une approche discrète serait préférable pour maintenir les canaux de communication ouverts entre Saied et Erdoğan
Poignée de main entre le président turc Recep Tayyip Erdoğan et son homologue tunisien Kais Saied lors d’une cérémonie d’accueil à Tunis, le 25 décembre 2019 (AFP)
Par Ragip Soylu à ANKARA, Turquie

Le gouvernement turc se garde de décrire le coup de force du président tunisien Kais Saied comme un coup d’État, dans la mesure où Ankara souhaite maintenir des canaux de communication ouverts et poursuivre une approche diplomatique afin d’encourager la poursuite du processus démocratique en Tunisie, indiquent deux responsables turcs à Middle East Eye.

Saied a plongé le pays d’Afrique du Nord dans la tourmente politique depuis qu’il a décidé, le 25 juillet, de geler le Parlement, d’évincer le Premier ministre Hichem Mechichi et de s’attribuer les pouvoirs exécutif et judiciaire pour une période de 30 jours. Jusqu’à présent, il n’a pas présenté de feuille de route pour son projet, ce qui fait craindre un retour à un régime autoritaire.

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En réponse, le parti islamo-démocrate Ennahdha, le plus représenté au Parlement, a dénoncé un « coup d’État ».

Le président turc Recep Tayyip Erdoğan et son parti au pouvoir, le Parti de la justice et du développement (AKP), partagent des liens idéologiques et amicaux étroits avec le leader d’Ennahdha, le président du Parlement Rached Ghannouchi, qui n’a pas pu accéder à son bureau officiel depuis le coup de force.

Bien que le porte-parole de l’AKP, Ömer Çelik, ait qualifié ce coup de force de coup d’État, Erdoğan et le ministre des Affaires étrangères Mevlüt Çavuşoğlu se sont gardés d’employer ce terme.

« Erdoğan et Saied entretiennent des relations amicales et nous ne voudrions pas les compromettre », affirme un haut responsable turc sous couvert d’anonymat. « Nous ne voulons pas fermer la porte et laisser le gouvernement tunisien écouter uniquement d’autres pays de la région comme les Émirats arabes unis. »

Erdoğan s’est rendu en Tunisie en 2019, quelques mois après l’élection de Saied à la présidence.

Tarek Megerisi, chargé de mission au Conseil européen des relations internationales, estime qu’Ankara a su « cerner les choses » et voir le soutien populaire dont bénéficiait la manœuvre de Saied.

« Ils ont choisi d’être diplomates. Prendre une position forte contre Saied en ce moment ne ferait qu’attiser l’antipathie à leur égard en Tunisie et conforter leurs rivaux géopolitiques, qui espèrent déjà tirer profit de la situation », explique Megerisi à MEE.

Une visite régionale

En Turquie, nombreux sont ceux qui ont établi des comparaisons entre la Tunisie et l’Égypte, où en 2013, un coup d’État militaire brutal a renversé Mohamed Morsi, le premier président égyptien élu démocratiquement. Cet événement avait suscité l’indignation générale de la classe politique et de la société turques et entraîné la détérioration des relations entre Le Caire et Ankara.

« Saied est un président élu par le peuple et les circonstances ne sont pas comparables », indique le responsable turc. « Nous pensons que l’adoption d’une approche plus diplomatique et discrète serait plus utile à la démocratie tunisienne. »

Lundi, Erdoğan s’est entretenu par téléphone avec Saied. Selon un compte-rendu soigneusement rédigé publié par la présidence turque, Erdoğan a souligné qu’il était important, tant pour la Tunisie que pour la démocratie en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, que le Parlement tunisien, « source d’inspiration pour la transition démocratique dans la région », poursuive ses travaux malgré les difficultés.

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Selon le responsable, l’approche modérée choisie par Ankara s’explique également par sa confiance envers Rached Ghannouchi.

« Il sait comment manœuvrer politiquement et nous sommes convaincus qu’il pourrait conclure un accord avec Saied pour un retour à la normale », affirme le responsable.

Dans un message publié jeudi sur Facebook, Ennahdha a affiché un changement majeur de rhétorique en déclarant que la manœuvre de Saied devait être une opportunité de réforme.

Selon le responsable turc, Mevlüt Çavuşoğlu se rendra dans la région la semaine prochaine : il ira tout d’abord en Algérie puis en Tunisie pour voir ce qu’Ankara peut faire pour améliorer la situation.

Tarek Megerisi estime que la Turquie pourrait essayer de soutenir l’Algérie en tant que médiateur en Tunisie et continuer ainsi à accroître son influence dans la région.

« Les relations sont bonnes entre [le président algérien Abdelmadjid] Tebboune et Saied et la médiation autour de cette question sera une manière parfaite pour [l’Algérie] de montrer au monde qu’elle est de retour en tant que puissance régionale », ajoute-t-il.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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