Les Algériens très concernés par l’état d’exception en Tunisie
« Kais Saied entraîne la Tunisie et la région dans une grande fitna [division] en renversant la Constitution et la démocratie tunisiennes. Les puissances internationales et les dirigeants arabes qui l’ont planifiée et soutenue, ainsi que les intégristes laïcs en Tunisie préfèrent le chaos à la démocratie, et ils sont tous au service du projet sioniste et colonial. »
C’est d’abord en son nom, sur sa page Facebook, qu’Abderrezak Makri, leader du Mouvement de la société pour la paix (MSP, tendance Frères musulmans), a réagi lundi 26 juillet à l’état d’exception instauré par le président tunisien la veille au soir.
Le bureau exécutif du MSP – un des rares partis algériens à s’être exprimés sur le sujet au moment où cet article est publié – a ensuite publié un communiqué pour dénoncer, à l’instar de son parti-frère tunisien Ennahdha, « un coup d’État contre la Constitution tunisienne et la volonté populaire tunisienne ».
Traduction : « Les Tunisiens ont respiré notre oxygène algérien, ils ont changé d’état d’esprit. »
« Ce coup d’État ressemble aux autres coups d’État dans les pays arabes appuyés par les régimes arabes connus [comprendre : les Émirats arabes unis] et qui [ont] poussé les pays ciblés vers plus de chaos, de sous-développement économique et de déchirements sociaux », précise le communiqué.
Le MSP a également appelé le peuple tunisien « à s’attacher à ses institutions légales, à refuser le coup d’État et à résoudre ses problèmes par le dialogue et le consensus » et la communauté internationale à « considérer ces décisions unilatérales anticonstitutionnelles et dangereuses pour la Tunisie et ses voisins ».
« Tous les paramètres d’un coup d’État sont réunis »
Pour El Adala, autre parti islamiste algérien, « tous les paramètres d’un coup d’État sont réunis ». « L’article 80 de la Constitution ne souffre d’aucune exégèse ou débat : il est très clair », assure Lakdhar Benkhellaf, un cadre dirigeant de la formation, en référence à l’article de la Constitution tunisienne activé dimanche soir par Kais Saied pour instaurer un état d’exception.
« Le président tunisien n’a pas le droit de geler ni de dissoudre le Parlement, de lever l’immunité des députés ou de dissoudre le gouvernement. L’armée n’a pas le droit de fermer les institutions de l’État devant les élus légitimes. »
Ce mardi matin, le quotidien francophone Liberté fait aussi référence à l’influence de forces étrangères.
« L’incapacité des dirigeants à contenir leurs conflits à l’intérieur des institutions est le signe de la faiblesse des forces politiques nationales. Mais surtout, le fait d’influences d’acteurs extérieurs. La Tunisie est aussi le terrain où se jouent des rivalités régionales. Il faut dire que nombre des régimes du Proche et du Moyen-Orient voyaient d’un mauvais œil la réussite de la révolution », peut-on lire dans l’édito « Du jasmin et des épines ».
Alors que le quotidien s’inquiète aussi du « risque d’un retour aux temps sombres de la dictature » et de cette « crise inédite, meurtrie par une double crise sanitaire et économique » qui pourrait « porter un coup d’arrêt à l’expérience démocratique tunisienne », l’autre quotidien francophone de référence, El Watan, salue plutôt la décision du chef de l’État tunisien.
« Mieux vaut une bonne guerre qu’une mauvaise paix, dit un proverbe finlandais, et Kais Saied, loin d’être un adepte de la guerre, a compris que le statu quo fait beaucoup plus de mal à son pays », est-il écrit dans l’édito.
« Fidèle à son nationalisme romantique, et libre des influences occidentales et/ou des monarchies du Golfe, Saied a fait ce choix compte tenu des circonstances et des manifestations de rue réclamant la dissolution du Parlement. »
Le journal dit croire en la capacité des Tunisiens à faire preuve « du meilleur face aux défis actuels ». « Ces Tunisiens qui ont ébloui le monde par leur Révolution en 2011 contre le régime autoritaire et corrompu de Ben Ali, et résisté par la suite face au projet islamiste, sont certes fatigués par les coups successifs de la contre-révolution soutenue par le capitalisme mondial et l’internationale des Frères musulmans », conclut-il.
Même tonalité dans le quotidien Le Soir, qui va plus loin en félicitant l’armée « d’avoir volé au secours de son peuple ».
« Sur ordre de Kaid Saied, l’armée tunisienne a bouclé le Parlement. C’est antidémocratique, diront certains. Pour nous, il s’agit d’un acte salvateur qui protège la Tunisie contre les démons de la déstabilisation. À cause d’un parlementarisme mal adapté à nos pays, notre voisin a failli s’effondrer, d’autant plus que les Frères musulmans au pouvoir n’ont pas joué le jeu de la démocratie. Le peuple ne veut plus de ces gens-là et c’est l’armée qui intervient. Au diable, les ‘’printemps’’ qui anéantissent les nations ! »
Kais Saied appelle Abdelmadjid Tebboune
La seule réaction officielle est venue de la présidence de la République. Selon un communiqué, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a reçu lundi un appel téléphonique de Kais Saied durant lequel a été évoquée la situation en Tunisie.
« Les deux présidents ont abordé également les perspectives des relations algéro-tunisiennes et les voies et moyens de leur consolidation », souligne le communiqué.
Pour les Algériens qui ont regardé avec admiration les Tunisiens renverser leur président en 2011, les réseaux sociaux ont comme d’habitude servi de média pour exprimer leur solidarité.
« Je suis du côté de la Tunisie, de la modernité, de l’égalité homme-femme, de la justice, de la diversité et de l’ouverture », défend aussi l’écrivain Amin Zaoui. « Défendre l’avenir de la Tunisie menacée passe avant le ramassis d’institutions préfabriquées et budgétivores. »
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