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La Turquie célèbre « le début d’une nouvelle ère » avec les Émirats arabes unis

Les responsables estiment que les Émiratis se sont tournés vers la Turquie après s’être sentis de plus en plus isolés dans la région
Tahnoun ben Zayed al-Nahyane, conseiller émirati à la sécurité nationale, rencontre le président turc Recep Tayyip Erdoğan, le 18 août 2021 à Ankara (présidence turque)
Par Ragip Soylu à ANKARA, Turquie

Il aura fallu plusieurs mois de négociations secrètes, une série d’appels téléphoniques au sommet et une myriade de gestes symboliques pour que le conseiller à la sécurité nationale des Émirats arabes unis, Tahnoun ben Zayed al-Nahyane, pose devant les caméras mercredi à Ankara aux côtés de son ancien ennemi, le président turc Recep Tayyip Erdoğan.

Au cours des cinq dernières années, Ankara a publiquement accusé les Émirats arabes unis d’avoir financé les putschistes en Turquie ou d’avoir nui de manière agressive aux intérêts turcs en Libye.

Les responsables turcs se croyaient enfermés dans une lutte régionale avec les Émiratis : Ankara était du côté du Printemps arabe et soutenait les nouvelles démocraties, tandis que de l’autre côté, Abou Dabi considérait les gouvernements dirigés par les Frères musulmans comme de dangereuses entités islamistes qui menaçaient la stabilité régionale.

Mais la rencontre de mercredi est célébrée comme « le début d’une nouvelle ère », indique un haut responsable turc à Middle East Eye. « L’air du temps a poussé les deux pays à travailler sur leurs différences. »

La Turquie considère ce sommet comme une étape majeure. Tahnoun ben Zayed est le plus haut responsable émirati pour ce qui est du renseignement national, des questions sensibles en matière de politique étrangère et des transactions commerciales opaques du pays. Il est également le demi-frère du président, le cheikh Khalifa ben Zayed al-Nahyane, ainsi que le frère du prince héritier d’Abou Dabi, le cheikh Mohammed ben Zayed al-Nahyane.

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« Nous serons en mesure de rencontrer Mohammed ben Zayed dans les prochains jours », a déclaré Erdoğan mercredi, avant d’ajouter que la rencontre avait été organisée à l’issue de discussions entre les agences de renseignement des deux pays.

« J’espère que nous résoudrons les problèmes de la région, en tant qu’individus appartenant à la même culture et à la même religion. Je tiens à ce que les principaux acteurs de la région discutent et négocient. »

Avec l’administration Biden à la barre aux États-Unis, les responsables turcs pensent qu’Abou Dabi se sent de plus en plus isolé face à la menace iranienne perçue par les Émirats arabes unis.

« Ils ne peuvent pas se dresser seuls face à Téhéran », affirme un deuxième responsable turc. « Ils sont extrêmement nerveux face au retrait américain de la région et ils sont en train de recalculer leur position. »

Les relations entre les Émirats arabes unis et leur plus proche allié, l’Arabie saoudite, se sont récemment dégradées dans le contexte d’une concurrence entre les monarchies pour attirer les investissements étrangers et de divergences sur la suite à donner au conflit désastreux au Yémen.

Le mois dernier, Riyad a interdit les voyages à destination des Émirats arabes unis en raison de la hausse des cas de coronavirus, une mesure motivée par des considérations politiques selon les responsables turcs.

Un travail de longue haleine

Les Émirats arabes unis courtisent Ankara depuis le début de l’année.

En janvier, Anwar Gargash, alors ministre d’État émirati aux Affaires étrangères, a suggéré que les relations entre les deux rivaux pourraient être « recalibrées ».

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« Nous n’avons pas de problèmes avec la Turquie, tels que des questions de frontières ou de toute autre nature », a-t-il déclaré dans une interview accordée à Sky News Arabia, avant d’ajouter qu’Ankara pourrait « recalibrer ses relations avec les Arabes » en mettant fin à son « soutien aux Frères musulmans ».

Les Émirats arabes unis ont ensuite relâché la pression sur les hommes d’affaires turcs et rétabli les vols entre Istanbul, Abou Dabi et Dubaï.

En avril, le ministre émirati des Affaires étrangères Abdallah ben Zayed a appelé son homologue turc Mevlüt Çavuşoğlu pour échanger les amabilités de rigueur au cours du mois sacré du Ramadan. Il s’agissait du premier contact direct entre les deux pays depuis cinq ans.

Dans le même temps, les récentes mesures prises par la Turquie à l’encontre des Frères musulmans – notamment la demande faite aux chaînes d’opposition égyptiennes de déprogrammer des émissions politiques populaires – auraient été bien accueillies par les cercles gouvernementaux émiratis.

« Il est temps d’aller de l’avant »

Mercredi, Erdoğan a affirmé avoir établi avec Tahnoun ben Zayed une feuille de route en vue de futurs investissements émiratis en Turquie.

L’économie non pétrolière émiratie a reculé de plus de 6 % l’an dernier, selon un troisième responsable turc, qui estime qu’Abou Dabi entrevoit un certain potentiel économique en Turquie : son économie devrait croître de plus de 5 % rien que cette année.

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L’allié le plus proche d’Ankara, le Qatar, a également injecté des milliards de dollars dans le pays.

« Le principal désaccord sur les Frères musulmans s’est estompé parce qu’ils ne sont plus au pouvoir nulle part », indique le troisième responsable.

Interrogé au sujet de la réponse turque à l’attaque émiratie contre la base aérienne turque d’al-Watiya en Libye l’an dernier, ce dernier s’est montré confiant sans toutefois entrer dans les détails. « Ils ont payé sur le terrain en Libye », affirme-t-il. « Il est temps d’aller de l’avant. »

« Nous sommes parvenus à un accord sur la Libye et les relations entre la Turquie et l’Égypte se sont également améliorées. Il est inutile de se battre éternellement. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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