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Corruption présumée au Parlement européen en lien avec le Qatar : une affaire « honteuse et intolérable »

Le parquet belge soupçonne plusieurs personnes « ayant une position politique et/ou stratégique » d’avoir reçu, du Qatar, « d’importantes sommes d’argent » ou des « cadeaux significatifs » pour influer sur leurs décisions
Des eurodéputés de gauche ont demandé la démission d’Eva Kaili. Elle a été exclue dès vendredi soir du parti socialiste grec (Pasok-Kinal) dont elle était une figure déjà controversée (AFP/Eric Vidal)
Des eurodéputés de gauche ont demandé la démission d’Eva Kaili. Elle a été exclue dès vendredi soir du parti socialiste grec (Pasok-Kinal) dont elle était une figure déjà controversée (AFP/Eric Vidal)
Par AFP

La vice-présidente grecque du Parlement européen Eva Kaili a été inculpée pour « corruption » dimanche à Bruxelles, et écrouée, dans l’enquête d’un juge belge portant sur de gros versements qu’aurait effectués le Qatar pour influencer des décisions au sein de cette grande institution de l’UE.

Une source judiciaire a indiqué à l’AFP que la vice-présidente et trois autres personnes avaient été écrouées par un juge bruxellois, deux jours après leur interpellation dans une enquête ciblant les agissements du pays organisateur du Mondial 2022.

Pour assister la police fédérale dans cette seconde perquisition, la présidente du Parlement européen Roberta Metsola est revenue de Malte à Bruxelles (AFP/Frederick Florin)
Pour assister la police fédérale dans cette seconde perquisition, la présidente du Parlement européen Roberta Metsola est revenue de Malte à Bruxelles (AFP/Frederick Florin)

Eva Kaili n’a pas pu bénéficier de son immunité parlementaire car l’infraction qui lui est reprochée a été constatée « en flagrant délit », a expliqué la même source judiciaire. Cette source a confirmé des informations de presse selon lesquelles des « sacs de billets » ont été découverts dans l’appartement de l’élue socialiste grecque.

Ce domicile dans la capitale belge a été perquisitionné vendredi soir. Et celui d’un autre eurodéputé socialiste, le Belge Marc Tarabella, l’a été samedi soir, a ajouté la source judiciaire. Ce dernier n’a pas été interpellé.

Pour assister la police fédérale dans cette seconde perquisition, la présidente du Parlement européen Roberta Metsola est revenue de Malte à Bruxelles dans la soirée, a indiqué un de ses porte-parole. La présence de la présidente est requise pour un tel acte d’enquête visant un eurodéputé élu en Belgique « comme le veut la Constitution belge », a-t-on expliqué.

Une grosse somme en liquide

Cette affaire est « honteuse et intolérable » et elle porte atteinte de manière « très grave » à la réputation du Parlement, a réagi dimanche le commissaire européen à l’Économie, Paolo Gentiloni.

Selon la presse belge, l’ancien eurodéputé italien Pier-Antonio Panzeri, désormais à la tête de l’ONG Fight Impunity, a lui aussi été écroué dimanche.

Il comptait comme Eva Kaili parmi les six personnes interpellées vendredi à Bruxelles, au terme d’au moins seize perquisitions.

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Deux de ces suspects ont été remis en liberté et les quatre autres placés en détention provisoire après leur inculpation pour « appartenance à une organisation criminelle, blanchiment d’argent et corruption ». 

Le propre père d’Eva Kaili a lui-même été inquiété dans l’enquête, surpris en train de transporter une grosse somme en liquide « dans une valise », d’après le journal belge L’Écho.

Dans cette affaire, « est suspecté le versement d’importantes sommes d’argent ou l’offre de cadeaux significatifs à des tiers ayant une position politique et/ou stratégique permettant, au sein du Parlement européen, d’influencer les décisions » de cette institution, a rappelé dimanche le parquet.

L’affaire éclate en plein Mondial 2022 de football, alors que le pays organisateur doit déployer des efforts pour défendre sa réputation décriée en matière de respect des droits humains, notamment ceux des travailleurs.

Elle survient aussi à la veille d’une session plénière du Parlement européen à Strasbourg, où la relation entre l’UE et le Qatar devrait inévitablement resurgir dans les débats.

Eva Kaili, ex-présentatrice télé de 44 ans, élue en janvier 2022 à l’une des vice-présidences du Parlement européen, s’était rendue début novembre au Qatar où elle avait salué, en présence du ministre qatari du Travail, les réformes de l’émirat dans ce secteur.

L’ambassadeur de l’UE à Doha Cristian Tudor avait alors assuré sur Twitter la publicité de cette rencontre jugée positive.

« Je crains maintenant de comprendre... »

L’organisation du Mondial par le Qatar témoigne de la « transformation historique d’un pays dont les réformes ont inspiré le monde arabe », avait aussi affirmé Eva Kaili le 22 novembre à la tribune du Parlement européen.

Ces propos, qui avaient alors suscité des remous dans les rangs de la gauche et des libéraux, sont revenus à l’esprit de nombreux eurodéputés ce week-end après l’annonce de son arrestation.

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« Je crains maintenant de comprendre... », a commenté samedi sur Twitter le Français Pierre Karleskind (Renew, libéraux).

Lundi à Strasbourg, la présidente du Parlement Roberta Metsola a convoqué une réunion des présidents de groupes pour évoquer l’enquête judiciaire belge, ont indiqué dimanche à l’AFP deux sources au sein de l’institution.

Les eurodéputés Verts et socio-démocrates s’opposeront par ailleurs au démarrage de négociations sur une libéralisation des visas pour les Qataris dans l’UE.

Samedi soir, Roberta Metsola a décidé d’une première sanction contre Eva Kaili. La vice-présidente grecque s’est vu retirer toutes les tâches déléguées par la présidente dont celle de la représenter dans la région Moyen-Orient.

Des eurodéputés de gauche, dont l’écologiste Philippe Lamberts au nom du groupe des Verts, ont demandé la démission d’Eva Kaili. Elle a été exclue dès vendredi soir du parti socialiste grec (Pasok-Kinal) dont elle était une figure déjà controversée. 

Par Matthieu Demeestere.

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