« Manigancer une majorité juive à Jérusalem » : les Palestiniens chassés par les politiques « vertes » d’Israël
Sur une colline juste au sud de la vieille ville de Jérusalem se dresse une pinède florissante de 54 hectares, au cœur du quartier palestinien de Silwan – l’une des zones les plus ghettoïsées de Jérusalem-Est occupée à la suite des initiatives du gouvernement israélien et des colons.
Le parc, baptisé « Forêt de la Paix », est une attraction touristique présentée comme un « trésor naturel » lié à la Cité de David, un site archéologique israélien ouvert au public.
Créée et baptisée peu après l’occupation israélienne de Jérusalem-Est en 1967, cette forêt est l’œuvre du Fonds national juif, une organisation qui soutient financièrement des projets de colonisation juive illégale dans des quartiers palestiniens.
Depuis les années 1970, le gouvernement israélien a fait du quartier une zone « verte », un statut qui interdit toute construction.
En 1977, les autorités israéliennes ont confié le contrôle du projet de la Cité de David à l’organisation de colons juifs El’ad.
Le secteur de Wadi Yasul à Silwan, qui compte plus de 500 habitants, doit être démoli par les autorités israéliennes.
Faute de place pour s’étendre au cours des décennies, les habitants de Wadi Yasul ont dû construire sans permis israéliens difficiles à obtenir, ce qui les a exposés à des ordres de démolition et à des déplacements.
« Chaque fois que l’on sort de sa maison, on court un risque »
Les familles se battent devant les tribunaux depuis plus de quinze ans pour retransformer le secteur en zone résidentielle, mais le gouvernement a maintenu qu’il devait rester « vert ».
Un certain nombre de bâtiments du secteur ont déjà été démolis – les forces israéliennes ont détruit une étable et un entrepôt le 17 avril ainsi que deux habitations le 30 avril, provoquant le déplacement d’onze personnes.
« Mes enfants me demandent quand nous rentrerons à la maison. Ils me demandent pourquoi Israël nous inflige ça. Qu’est-ce que peux leur dire ? Je n’ai pas les réponses »
- Anas Burqan, propriétaire d’une maison démolie
Qusai et Anas Burqan avaient construit les deux maisons et y vivaient avec leur famille au moment de la démolition, deux semaines après qu’El’ad a reçu l’approbation de diverses institutions gouvernementales pour développer des entreprises commerciales dans le parc.
Les projets, soutenus par les financements et les terres attribués par la municipalité israélienne de Jérusalem, l’Autorité des terres d’Israël et le ministère du Tourisme, comprennent un centre d’accueil des visiteurs, des terrains de camping et une tyrolienne.
« Ils ont détruit toutes mes chances de mener une vie modeste », confie à Middle East Eye Qusai Burqan, père de trois enfants, qui a depuis déménagé avec sa famille dans un appartement de 50 m².
Il affirme que la démolition coûtera 74 000 shekels (environ 19 000 euros) à sa famille, une somme qu’il ne peut pas payer. « Je suis frustré et désespéré. »
« Mes enfants me demandent quand nous rentrerons à la maison. Ils me demandent pourquoi Israël nous inflige ça. Qu’est-ce que peux leur dire ? Je n’ai pas les réponses », explique son frère Anas à MEE.
Um Abed Abu Eshah vit dans le secteur avec son mari et ses six enfants.
« Nous pensions payer une amende puis obtenir un permis pour la maison. Nous ne nous attendions pas aux difficultés auxquelles tout le quartier est confronté depuis des décennies », indique-t-elle à MEE.
« Nous avons pris ce risque car il n’y avait aucun moyen d’obtenir un permis […] et du point de vue palestinien, chaque fois que l’on sort de sa maison, on court un risque », poursuit-elle.
Chasser les Palestiniens
Depuis 1967, la municipalité de Jérusalem a désigné de vastes secteurs du territoire palestinien annexé comme des zones vertes et des parcs nationaux, interdisant toute construction.
Seulement 13 % des terres de Jérusalem-Est occupée sont consacrées au développement d’habitations palestiniennes, et cette superficie est déjà pour la plupart occupée par des constructions.
En revanche, environ 83 % des terres sont destinées à l’État et aux colons.
Par conséquent, la population palestinienne de la ville, touchée par la pauvreté, souffre d’un grave surpeuplement et est contrainte de construire illégalement.
« Les politiques de planification à Jérusalem-Est ne répondent pas aux besoins en logements et en infrastructures de la population », explique à MEE Jamie McGoldrick, coordinateur humanitaire du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA).
« Au moins un tiers des habitations palestiniennes ne sont pas autorisées et plus de 100 000 personnes sont potentiellement sous la menace d’une démolition et d’un déplacement. »
Au mois de juillet, on comptait déjà, pour l’année 2019, 126 constructions démolies, provoquant le déplacement de 203 Palestiniens.
« Manigancer une majorité juive à Jérusalem en chassant de la ville les Palestiniens de Jérusalem-Est est une politique appliquée par Israël depuis le début de l’occupation en 1967 », explique à MEE Amit Gilutz, porte-parole du groupe israélien de défense des droits de l’homme B’Tselem.
« Israël a rendu l’obtention de permis de construire pratiquement impossible pour les Palestiniens.
« Les Palestiniens n’ont plus d’autre choix que de construire illégalement, ce qui incite ensuite Israël à émettre des ordres de démolition et, dans de nombreux cas, à démolir leur maison », ajoute-t-il.
« Un outil pour accomplir des objectifs démographiques »
Environ 29 % de la superficie planifiée de Jérusalem-Est a été classée en tant que « zones non bâties/vertes », entrelacées avec des colonies israéliennes exclusivement juives dont beaucoup se trouvent au cœur des quartiers palestiniens.
Le développement de colonies parrainé par le gouvernement vise à accomplir l’objectif du maintien d’une majorité juive dans la ville, tel qu’énoncé dans plusieurs plans d’urbanisme de la municipalité de Jérusalem.
MEE a contacté le service d’urbanisme de la municipalité de Jérusalem pour recueillir des commentaires, mais n’a obtenu aucune réponse.
Sari Kronish, architecte pour l’organisation Bimkom, qui soutient les droits des Palestiniens en matière d’urbanisme, observe une augmentation sans précédent de la désignation de terres palestiniennes de Jérusalem-Est en tant que parcs nationaux.
« Il s’agit clairement d’un outil pour accomplir des objectifs démographiques. Ce qui a peut-être été plus discret par le passé devient de plus en plus manifeste », explique-t-elle à MEE.
« Nous nous sentons humiliés »
En 2014, le secrétaire général de l’ONU a écrit dans un rapport : « Les fouilles archéologiques et les parcs sont également utilisés pour contrôler des terres destinées aux colonies, principalement à travers les financements, la participation et l’approbation du gouvernement israélien en faveur de projets archéologiques dirigés par des organisations de colons. »
« Les organisations d’observateurs rapportent que plusieurs projets archéologiques dans la vieille ville de Jérusalem sont utilisés pour consolider la présence de colonies et de colons dans le secteur. »
Adel Jabori, un habitant de Wadi Yasul, affirme que l’objectif ultime est de déraciner les Palestiniens, leurs bâtiments, leurs arbres et leurs familles.
« Nous nous sentons humiliés et la situation ne fait qu’empirer », confie à MEE l’homme de 69 ans.
Adel a fait partie des nombreux habitants déplacés de leur domicile dans la vieille ville en 1967.
Avec la pression croissante exercée sur des secteurs comme Wadi Yasul, cela ne semble être qu’une question de temps avant que l’histoire ne se répète.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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