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A quoi doit-on s’attendre après la chute de Ramadi ?

Des troupes paramilitaires irakiennes chiites sont prêtes à combattre le groupe Etat islamique afin de reprendre Ramadi, mais y a-t-il un espoir de mettre fin à la crise ?

Ramadi, capitale de la province d’Anbar en Irak (la plus grande province sur le plan géographique), est tombée aux mains du groupe Etat islamique (EI) dimanche, suscitant de  nombreuses questions sur la façon de gérer la guerre contre ces militants et sur la nécessité d’un nouveau plan d’action.

Le coût humain est élevé. Plus de 500 personnes, combattants et civils, ont été tuées dans cette bataille qui a duré trois jours. Selon l’Organisation internationale pour les migrations, 40 000 personnes ont été contraintes de fuir leurs maisons et certaines d’entre elles attendent encore d’être autorisées à entrer dans Bagdad, située à 100 kilomètres à l’est.

« Des milliers de personnes ont dû dormir à la belle étoile car elles n’ont nulle part où aller », rapporte Lisa Grande, coordinatrice humanitaire de l’ONU.

Le groupe EI a progressé d’un pas assuré vers cette province occidentale, principalement peuplée d’Irakiens sunnites. Au cours des dix-huit derniers mois, le groupe, qui a toujours eu un pied dans l’Anbar, a réussi à s’emparer de plusieurs villes le long de la frontière irako-syrienne, avant de s’enfoncer plus profondément vers Ramadi. Au fur et à mesure de l’avancée des militants vers l’ouest, les villes de Rawah, Anah et Haditha ont toutes été prises par le groupe EI.

L’ancien Premier ministre Nour al-Maliki avait échoué à réagir à cette avance alors que les responsables irakiens de la ville avaient à plusieurs reprises exprimé leur frustration sur le manque d’armes et la mauvaise organisation des forces de sécurité stationnées dans l’une des zones les plus difficiles d’Irak. Nour al-Maliki a été contraint de démissionner l’année dernière avant que la coalition menée par les Etats-Unis annonce sa guerre contre le groupe EI, et les critiques font valoir que ce qui a été fait pour empêcher la chute de Ramadi n’était pas suffisant.

Khalid al-Alwani, membre du bloc Muttahidoon majoritairement sunnite et du Parti islamique irakien, exprime sa colère face au manque de réactivité du gouvernement irakien et à son incapacité à garder le groupe EI à distance.

« Comment expliquer que le gouvernement n’a pas prêté attention à nos mises en garde contre le danger que représentait le groupe EI pour la province pendant de longs mois ? » demande-t-il. « Pourquoi le gouvernement nous fournirait-il des armes légères qui ne sont pas de taille face aux armes du groupe EI ? »

Les frappes aériennes menées par les Américains ont réussi à stopper leur progression pendant un temps, mais le groupe EI a finalement réussi à pénétrer dans la ville en profitant d’une tempête de sable lui permettant d’éviter les frappes aériennes. Lorsque la tempête de sable s’est dissipée, il était trop tard : le groupe EI et les forces de sécurité irakiennes étaient trop proches pour que les frappes aériennes de la coalition soient efficaces.

Dimanche, les forces de sécurité irakiennes se sont retirées de leurs bases de Ramadi suite à des ordres confus du commandement central et des informations imprécises à propos de renforts envoyés ou non.

La défense de Ramadi : l’échec du gouvernement

Khalid al-Alwani rapporte qu’au cours des dix-huit derniers mois, tandis que les villes tombaient les unes après les autres aux mains du groupe EI, les appels à l’aide pour assurer la défense de Ramadi avaient été ignorés par le gouvernement. Le programme du gouvernement, avec l’approbation des Etats-Unis, était d’armer les tribus sunnites locales et de stationner des troupes appartenant à l’armée irakienne dans la ville, afin de prouver que les forces sunnites et chiites pouvaient travailler ensemble. Mais Khalid al-Alwani affirme que le programme n’a jamais suscité de réel enthousiasme.

« Tous les dirigeants des différentes forces de sécurité, comme les chefs de la police et des unités [opérationnelles], ont été choisis sur la base de décisions centralisées prises à Bagdad », déclare Khalid al-Alwani, rappelant que le gouvernement a ignoré la demande de l’administration de la province de choisir elle-même les forces de sécurité. « Il est vrai que certains d’entre eux sont originaires d’Anbar, mais cela ne signifie pas qu’ils ont la capacité ou l’expérience nécessaire pour mener une bataille. »

« Le chef des unités opérationnelles et le chef de la police sont faibles et incompétents et ils n’ont pas pu sauver Ramadi, alors comment pouvons-nous nous attendre à ce qu’ils défendent les autres villes de l’Anbar ? Le gouvernement a quand même privilégié cette stratégie à l’armement des tribus sunnites locales », poursuit-il, ajoutant que le gouvernement n’a pas réussi à adapter sa préparation des membres de tribus dans la lutte contre l’EI.

Sajad Jiyad, un analyste irakien basé à Bagdad, a déclaré à Middle East Eye que la prise de Ramadi par le groupe EI n’était guère surprenante, en dépit de la puissance de feu de la coalition menée par les Etats-Unis.

« La chute de Ramadi était prévisible. Les forces de sécurité y étaient mal équipées et manquaient à la fois de coordination et d’expérience. Désormais, Ramadi est comme une ville fantôme », a-t-il observé.

La progression des paramilitaires chiites

Le successeur de Nour al-Maliki, Haider al-Abadi, n’a pas réussi à organiser une force de combat dirigée par les sunnites pour défendre la ville. Cet échec a accentué le sentiment de découragement qui gagne une partie de la population sunnite du pays, qui dit se sentir de plus en plus exclue de la scène politique.

Haider al-Abadi a donné le feu vert aux forces paramilitaires alliées chiites, connues sous le nom d’unités de mobilisation populaire (UMP), ou Hached al-Chaabi, pour reprendre la ville. Environ 3 000 soldats sont prêts à intervenir depuis la base militaire Habbaniyeh, à vingt kilomètres à l’est de Ramadi. Toutefois, ils pourraient ne pas être particulièrement bien accueillis.

« Nous n’avons pas demandé l’aide des unités de mobilisation populaire », a déclaré Khalid al-Alwani. « Ils ne peuvent pas résoudre les problèmes, ni ici ni dans les autres provinces. Mais je m’attends à que le groupe EI soit finalement chassé de Ramadi et que les UMP apparaissent alors tel Superman comme sauveurs et vainqueurs. »

Mais s’il pourrait y avoir des répercussions à Ramadi, Sajad Jiyad estime que le déploiement des paramilitaires permettra au moins d’empêcher le groupe de progresser davantage vers Bagdad. Le résultat serait similaire à celui de Tikrit, qui a été repris par les paramilitaires après avoir combattu le groupe EI en mars, explique-t-il.

« Il n’y a pas à craindre que le groupe EI progresse jusqu’à Bagdad », insiste-t-il. « Je pense que Ramadi suivra l’exemple de Tikrit, où les différentes forces œuvrent de concert contre le groupe EI. »

Que ces différentes forces soient capables de s’unir pour offrir une certaine stabilité durable est néanmoins une tout autre affaire.

Selon Khalid al-Alwani, les unités de mobilisation populaire sont « cent fois » plus fortes que l’armée irakienne.

« Un grand nombre de responsables militaires savent qu’ils ne possèdent pas les armes dont ces unités – qui sont soutenues par des experts et consultants militaires iraniens – disposent, » déclare-t-il.

Cependant, il ne s’agit pas d’une simple question d’armes. Les critiques font valoir que, tout comme à Mossoul, qui est tombée aux mains du groupe EI l’année dernière, l’armée est une partie intégrante du problème, ajoutant que des commandants corrompus ont livré des armes de fabrication américaine et divulgué des secrets militaires au groupe EI en échange d’importants pots-de-vin.

Hayder al-Khoei, chercheur associé à la Chatham House, affirme que la corruption généralisée parmi les militaires n’a fait que raffermir l’autorité des unités de mobilisation populaire.

« Le fait qu’émergent des rapports selon lesquels Ramadi est tombée dans des circonstances très similaires à Mossoul en raison de dirigeants corrompus accroît la crédibilité des unités de mobilisation populaire et leur efficacité », rapporte Hayder al-Khoei.

« Les gens ne veulent pas envoyer leurs fils à la mort pour des officiers corrompus qui les vendront au groupe EI. Même les positions américaines [à propos de la prise de contrôle du groupe EI] sont intéressantes. Il y a quelques mois, à Tikrit, les Américains disaient qu’ils ne s’impliqueraient pas si les UMP s’impliquaient. »

« Maintenant, en revanche, ils déclarent qu’ils accepteront les unités de mobilisation populaire à condition qu’elles soient sous le commandement de l’armée irakienne. Voilà ce qu’Abadi va essayer de faire ».

Sanglantes représailles

Suite à des rapports accablants sur le comportement des unités de mobilisation populaire après la sécurisation de Tikrit (faisant notamment état d’incendies de maisons appartenant à des familles sunnites et d’exécutions), on craint que le même cercle vicieux de représailles se mette en place si Ramadi était arrachée aux griffes du groupe EI.

Il n’est donc pas surprenant que les tribus sunnites de Ramadi soient divisées sur le soutien ou l’opposition au groupe EI – un clivage qui complique un peu plus encore une dynamique déjà complexe et qui pourrait être de mauvais augure pour Ramadi.

Hayder al-Khoei estime que la ville est maintenant vouée à être attaquée de toutes parts.

« Je pense que la situation sera bien pire à Ramadi, mais pas nécessairement à cause des unités de mobilisation populaire », explique Khoei à Middle East Eye. « Contrairement à Tikrit, Ramadi est profondément divisée : des membres de la même famille se battent à la fois contre et pour le groupe EI. »

« Si les tribus [anti-EI] reprennent le contrôle, leur vengeance contre le groupe EI sera sanglante, » ajoute-t-il. « [D’autre part,] plus le groupe EI contrôle Ramadi, plus nous assisterons à des exécutions publiques de tribus hostiles à ces derniers. »

Pas d’intervention sur le terrain

Toute augmentation ultérieure de la violence menace aussi de saper la politique de frappes aériennes de la coalition menée par les Etats-Unis et de la mettre sous le feu des projecteurs. La question de la nécessité d’envoyer des troupes sur le terrain pour repousser le groupe EI a déjà été soulevée, d’autant plus que ce dernier a maintes fois démontré qu’il était capable d’échapper au pire des frappes en se cachant sous terre ou dans des zones civiles.

Cependant, bien que certains Républicains aient plaidé en faveur de quelques offensives à la fois aériennes et terrestres, Khoei affirme que les Etats-Unis n’ont « aucune envie d’une autre guerre terrestre en Irak ».

« Il existe un équilibre très délicat entre les Etats-Unis et l’Iran quand il s’agit de combattre le groupe EI en Irak », précise-t-il. « Les Iraniens sont satisfaits de la formation et du soutien apportés par les Etats-Unis aux paramilitaires irakiens et de la couverture offerte par leurs frappes aériennes, comme [l’opération à] Tikrit l’a montré, mais ils ne toléreront pas d’intervention sur le terrain. »

Au lieu de cela, Alistair Baskey, porte-parole du Conseil de sécurité nationale des Etats-Unis, a déclaré à l’AFP que les Etats-Unis cherchent comment soutenir au mieux les forces terrestres locales à Anbar, « notamment à travers la formation et l’équipement des tribus locales et le soutien à une opération menée par les Irakiens pour reprendre Ramadi ».

Pour Khalid al-Alwani, toutefois, cela est insuffisant et tardif. Selon cet homme politique sunnite, les Etats-Unis interviennent seulement quand c’est dans leur intérêt et n’ont pas fait assez pour empêcher la chute de Ramadi.

« Ils nous laissent nous vider de notre sang et ils interviennent ensuite. C’est en grande  partie de leur faute si nous sommes la proie de l’Iran et des milices chiites qui se qualifient d’unités de mobilisation populaire  », soutient-il.
 

Photo : des habitants de Ramadi, qui ont fui leurs foyers lorsque le groupe Etat islamique a pris la ville, attendent de traverser le pont Bzeibez, à la limite sud-ouest de Bagdad, le 20 mai 2015 (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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