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Ce que signifie l’élection du premier dirigeant de gauche en Colombie pour la Palestine

L’ancien guérillero de gauche Gustavo Petro est un fervent défenseur de la Palestine et sa présidence pourrait ouvrir la porte à de meilleures relations
Le président colombien Gustavo Petro pendant la cérémonie de réouverture officielle de la frontière avec le Venezuela, à Cúcuta (Colombie), le 26 septembre (AFP)

L’Amérique latine connaît un revirement politique.

Au Brésil, l’ancien président de gauche Luiz Inácio Lula da Silva est en tête des sondages face au président populiste sortant Jair Bolsonaro avant le second tour des élections prévu le 30 octobre. Mais déjà, plusieurs pays de la région ont opté pour le renouveau politique, donnant naissance à une vague de gouvernements de gauche au Honduras, au Chili, au Mexique, au Pérou, en Bolivie, en Argentine et – tout dernièrement – en Colombie. 

Début août, Gustavo Petro, ancien guérillero, a été investi. Il est le premier dirigeant de gauche en Colombie, événement historique dans un pays qui a connu plusieurs décennies d’une guerre civile qui s’est officiellement achevée en 2016.

Petro a mené une campagne ambitieuse construite sur la promesse de changements structurels généralisés, de réforme politique et de lutte contre les inégalités et pour la justice sociale.

Le nouveau président colombien est par ailleurs un fervent défenseur de la cause palestinienne, bien que cela ne soit pas la priorité de son programme présidentiel. 

« Il est le président d’un pays ami, mais au-delà de cela, il peut être quelqu’un qui partage nos idées et en qui nous pouvons avoir confiance »

- Alexander Montero, mission diplomatique palestinienne en Colombie

Avant de prendre ses fonctions, Petro avait fait plusieurs déclarations publiques pour défendre la cause palestinienne, qu’il avait un jour décrite comme la « lutte d’un peuple pour la liberté et l’indépendance ». 

En mai 2018, Petro a dénoncé les attaques contre les habitants de Gaza par les forces israéliennes lors de la Grande Marche du retour, sur Twitter : « J’élève la voix contre le meurtre de Palestiniens. Les gens ne doivent pas être massacrés, ils doivent être respectés en tant que culture, avec le droit d’exister sur cette planète. Jésus était Palestinien et a demandé à ce que les êtres humains s’aiment les uns les autres. »

Des années plus tôt, alors qu’il était maire de la capitale, Bogotá, il avait publié une photo du drapeau palestinien sur sa page Facebook où il qualifiait la cause palestinienne d’« historique ».

« Il est très proche de la question palestinienne », assure à Middle East Eye Alexander Montero, conseiller politique à la mission diplomatique palestinienne en Colombie. 

« Il est le président d’un pays ami, mais au-delà de cela, il peut être quelqu’un qui partage nos idées et en qui nous pouvons avoir confiance, et que nous pouvons solliciter pour porter le message palestinien lorsque cela est nécessaire. »

Changement ?

L’élection de Petro pourrait constituer un changement dans l’approche de la Colombie et sa relation avec la Palestine, étant donné que les gouvernements précédents avaient des liens étroits avec Israël, selon l’auteur et analyste colombien Víctor de Currea-Lugo, dont le travail se concentre sur le Moyen-Orient. 

« La victoire de Petro présuppose la possibilité d’une amélioration des relations avec l’Autorité palestinienne. En gardant à l’esprit que les gouvernements précédents ont été particulièrement pro-israéliens », indique-t-il à MEE

Il souligne que la Colombie n’a officiellement reconnu la Palestine en tant qu’État souverain qu’en 2018, qu’elle était l’un des derniers pays d’Amérique latine à le faire. 

« On pourrait s’attendre à ce que, en matière de politique étrangère, du fait de l’arrivée de personnalités plus démocratiques au ministère des Affaires étrangères, cela implique une plus grande reconnaissance et un dialogue avec les représentants de l’Autorité palestinienne en Colombie », ajoute Víctor de Currea-Lugo.

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Pour la diaspora palestinienne en Colombie (100 000-120 000 personnes environ), l’élection de Petro est un changement bienvenu, mais qui est accueilli avec réserve et attentes prudentes. 

Bien qu’il ait voté pour le nouveau président, le Colombo-Palestinien George Siman minimise l’importance que Petro pourrait avoir pour la Palestine. « Cela ne veut rien dire pour le coup », explique-t-il à MEE

« Le gouvernement Petro, bien qu’il soit perçu comme quelque peu anti-impérialiste ou anticolonialiste, n’a vraiment pas eu de positions même modérément tièdes [envers la Palestine]. Une fois au pouvoir, cela a été une déception et une incohérence absolues de la part du gouvernement, et je suis sûr que Petro lui-même en est conscient. » 

Indépendamment du scepticisme de Siman, Montero espère que l’administration Petro sera en mesure de « rechercher la paix et le respect du droit international ». 

« Nous voyons la Colombie comme un pays frère et la société colombienne comme une société sœur, et c’est peut-être le moment de prendre les mesures nécessaires pour officialiser l’amitié et les liens fraternels que nous avons depuis longtemps. »

« Nous pouvons aller de l’avant et améliorer nos relations diplomatiques sans aucune crainte. Bien au contraire, cela transmettrait un grand message de paix et de respect du droit international », estime le diplomate.

Liens avec Israël

Le nouveau président a également critiqué publiquement Israël avant sa prise de fonction. En 2019, Petro a comparé les actions de l’État israélien envers les Palestiniens avec le traitement des juifs aux mains des nazis. 

Il avait tweeté : « L’État d’Israël est une chose, la religion juive en est une autre ; tout comme l’État colombien est une chose et la religion catholique une autre. La confusion entre l’État et la religion est caractéristique d’un état d’esprit archaïque. L’État d’Israël fait de la discrimination contre les Palestiniens comme les nazis l’ont fait contre les juifs. » 

Néanmoins, le soutien public de Gustavo Petro à la Palestine – ainsi que ses commentaires sur Israël – n’ont pas encore tendu les relations de Bogotá avec les autorités israéliennes. 

« Diplomatiquement – dans le meilleur des cas – il y aura un petit refroidissement, parce que les personnalités diplomatiques en Colombie se sont prononcées en faveur de la Palestine et de sa réalité dans le passé. Pourtant, au cours des quatre prochaines années, le sionisme survivra 

- George Siman, Colombo-Palestinien

Après sa victoire à la présidentielle, le ministère israélien des Affaires étrangères a félicité Petro sur Twitter : « Nous félicitons le peuple colombien et le président élu Gustavo Petro pour l’élection démocratique réussie et nous sommes impatients de renforcer davantage les relations entre Israël et la Colombie et entre nos deux peuples. »

Quand il était encore candidat à la présidence, Petro a également rencontré un groupe d’hommes d’affaires israéliens et juifs.

Cette amitié entre le nouveau gouvernement Petro et Israël s’est reflétée dès le début du mandat du nouveau gouvernement. Mi-septembre, le président du Sénat colombien, Roy Barreras, a rencontré l’ambassadeur d’Israël en Colombie pour discuter d’un « programme de coopération bilatérale ».

« Avec l’ambassadeur d’Israël, nous proposons un programme de coopération en faveur de l’agro-industrie. La Colombie a la terre, [Israël] la technologie et l’expérience dans les associations rurales. L’accord de libre-échange que [l’ancien président Iván] Duque avait signé a du sens si nous devenons une puissance agro-industrielle mondiale et donnons de la dignité à la paysannerie », a tweeté Barreras, accompagné d’une vidéo de la rencontre.

La réunion a dérangé certains membres de la communauté palestinienne de Colombie, qui se sont sentis mis à l’écart par le gouvernement Petro. 

« [Notre cause] n’est pas une priorité », regrette Siman. 

Selon Víctor de Currea-Lugo, les liens commerciaux et de renseignement militaire restent forts entre la Colombie et Israël. 

« Par conséquent, je ne pense pas qu’il y ait une sensibilité adéquate à ce que signifie la cause palestinienne et la gestion des relations avec Israël est assez pragmatique », résume Víctor de Currea-Lugo.

Les représentants du ministère colombien des Affaires étrangères n’ont pas répondu à nos sollicitations dans le cadre de cet article. 

« Le plus grand allié d’Israël » 

La proximité entre la Colombie et Israël n’est en aucun cas un développement nouveau, car le prédécesseur de Petro – Iván Duque, homme de droite – a entretenu une relation étroite avec Israël pendant son mandat. 

Il a notamment renforcé les liens entre les deux pays et signé un accord de libre-échange avec Israël, qualifiant ce dernier de « nation sœur » dans une interview en 2021. 

S’adressant à Red+ Noticias, il affirmait que la Colombie était « le plus grand allié d’Israël en Amérique latine », ajoutant que la Colombie voulait « renforcer cette alliance ».

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Reste à voir exactement comment les relations de Petro avec Israël évolueront au cours de sa présidence. George Siman s’attend à un changement de ton mineur par rapport à l’amitié chaleureuse de Duque, mais rien de radical.

« Diplomatiquement – dans le meilleur des cas – il y aura un petit refroidissement, parce que les personnalités diplomatiques en Colombie se sont prononcées en faveur de la Palestine et de sa réalité dans le passé. Pourtant, au cours des quatre prochaines années, le sionisme survivra », prédit-il. 

Indépendamment de la proximité initiale de l’administration Petro avec Israël, George Siman espère encore que le nouveau président s’efforcera de défendre la cause palestinienne pendant son mandat.

« Je lui demande de continuer à faire sienne la cause la plus juste de notre époque, la cause palestinienne. Je demande une cohérence entre cela et son attitude internationale et locale à l’égard du peuple palestinien. Puissiez-vous ne jamais l’abandonner, car s’il abandonne la Palestine, il abandonne, en partie, le peuple colombien lui-même. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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