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Une rue libanaise qui s’appelle Brésil

Alors que plus de sept millions de Brésiliens peuvent retracer leurs origines au Liban, des milliers de Libano-Brésiliens reviennent au pays
Dans la vallée de la Bekaa, il n’est pas rare de trouver l’étrange association de noms de routes portugais et d’arabe (MEE/Federica Marsi)

L’Avenida Brasilia est une longue route traversant le village libanais de Kamid el-Loz. Sur les panneaux de signalisation, les lettres arabes tentent de retrouver la musicalité du portugais.

Kamid el-Loz n’est pas une ville d’Amérique latine, mais une ville peuplée en majorité par des musulmans sunnites au cœur de la vallée de la Bekaa, une région conservatrice du Liban qui borde la Syrie.

Ses habitants, comme beaucoup d’autres dans les villages voisins, sourient largement quand on s’adresse à eux en portugais. « Oui, je parle portugais, répondent-ils. Qui ne le parle pas ? »

On peut aller jusqu’à qualifier la région d’enclave brésilienne, un endroit où la distance géographique et culturelle entre le monde arabe et l’Amérique latine n’existe plus.

Dans certains villages – tels que Sultan Yacoub, Ghazzé et Kamid el-Loz – 90 % de la population est composée de « Brésilibanais », un néologisme qui renvoie aux citoyens ayant la double nationalité brésilienne-libanaise au Liban.

Ce brassage aussi improbable est le produit de décennies de vagues migratoires, dont la première a été effectuée par la communauté chrétienne libanaise fuyant la domination ottomane à la fin du XIXe siècle.

L’histoire populaire de la communauté brésilo-libanaise considère le dernier empereur du Brésil, Dom Pedro II, comme un père fondateur de la première génération de la diaspora. Parlant couramment l’arabe, on dit qu’il a invité la communauté chrétienne libanaise cernée de toutes parts à chercher fortune en Amérique latine.

Une explication moins romantique veut que les climats plus luxuriants de l’Amérique latine aient été une puissante motivation pour les agriculteurs de la Bekaa, étouffés par l’économie libanaise féodale.

Après la Seconde Guerre mondiale, une nouvelle vague d’émigration majoritairement musulmane a quitté le Liban dans l’espoir d’une vie meilleure. Au cours des décennies qui ont suivi, les conflits qui ont ravagé le pays – la guerre civile de 1975 à 1990 et la guerre plus courte mais brutale avec Israël en 2006 – ont amené du sang neuf dans la florissante communauté brésilo-libanaise.

Aujourd’hui, plus de sept millions de Brésiliens peuvent retracer leurs origines au Liban – un chiffre frappant si l’on considère que le Liban compte juste un peu plus de quatre millions de citoyens.

Christina al-Hindi Jaroush incarne le mélange charmant de la culture du Moyen-Orient et de l’Amérique latine. Au cours de son entretien avec Middle East Eye, elle a préparé quelques-uns des plats les plus populaires du Brésil.

Christina al-Hindi Jaroush a ouvert une pastelaria (pâtisserie) brésilienne dans la vallée de la Bekaa après avoir passé six ans à Sao Paolo (MEE/Federica Marsi)

« Quand je suis revenue au Liban, j’ai commencé à faire ce que je connaissais le mieux », a-t-elle déclaré en déposant une pâte feuilletée dans une casserole d’huile bouillante. Elle a ouvert la pastelaria (pâtisserie) en 2013, après six ans à Sao Paolo, où une de ses filles a épousé un Brésilo-libanais.

« J’ai décidé de revenir parce que là-bas la vie des femmes est très restreinte », a expliqué Christina. « Au Brésil, la plupart des femmes ne travaillent pas et elles sortent rarement. Ici, je travaille et je peux avoir plus d’interactions sociales avec mes voisins. »

Bien qu’heureuse de démarrer une nouvelle vie dans son pays d’origine, la culture brésilienne lui manque.

« Les hommes sont plus fiers de parler l’arabe, mais quand je rencontre mes amies, nous passons automatiquement au portugais », a-t-elle précisé. « Notre amour pour le pays et sa culture est profond. »

Comme elle, beaucoup de ceux qui ont émigré au Brésil souhaitent ardemment préserver ce lien. Le Centre culturel Brésil-Liban, ou Brésiliban, a ouvert ses portes à Beyrouth en 2011 pour aider à préserver la vivacité de ce lien. Niché dans une maison historique, le centre offre une variété de cours de langue et des activités qui correspondent à une demande de longue date chez les Libanais.

« Nous voulons promouvoir la langue et la culture brésiliennes », a déclaré la directrice Najwa Kamel Bazzi, « mais aussi fournir un endroit où nous pouvons apporter un soulagement aux nombreuses personnes qui ont le mal du pays. »

Elle-même Brésilienne d’origine libanaise – son père a déménagé au Brésil lorsqu’il avait une vingtaine d’années et sa mère est une immigrée de la deuxième génération –, Najwa a toujours été fière de ses origines.

« Nous sommes généralement considérés avec respect parce que nous sommes ingénieux, bien éduqués et parlons couramment de nombreuses langues », a-t-elle indiqué.

Les immigrants libanais – initialement appelés « Turcs » au Brésil – ont commencé comme colporteurs, mais ils se sont rapidement distingués pour leurs compétences commerciales. En 2015, 8 % des sièges au parlement brésilien étaient occupés par des descendants d’immigrants libanais.

« Retour » au Liban

Où qu’ils se trouvent, les Libanais qui ont quitté leur pays d’origine – estimés entre 15 et 20 millions environ – restent généralement en contact avec leurs familles. Beaucoup d’entre eux ont choisi de retourner dans leur patrie ou d’élever leurs enfants au Liban.

Luzia Watanabe, une Brésilienne d’origine japonaise, n’avait jamais pensé qu’elle déménagerait dans la vallée de la Bekaa jusqu’à ce qu’elle épouse un Libanais à Sao Paolo. Quand leurs deux filles ont commencé l’école, Luzia et les filles sont parties vivre au Liban tandis que son mari est resté au Brésil, où il travaille comme urbaniste.

Luzia Watanabe est une Brésilienne d’origine japonaise qui a épousé un Libanais et a déménagé à Kamid el-Loz, dans la vallée de la Bekaa (MEE/Federica Marsi)

« La qualité de l’éducation ici est bien meilleure qu’au Brésil, d’autant plus que les enfants grandissent en parlant couramment trois langues », a déclaré Luzia, en faisant référence à l’arabe, au français et à l’anglais – les langues couramment utilisées dans le système éducatif libanais. Ses filles, âgées de 8 et 10 ans, présentent un mélange de traits libanais et japonais et communiquent couramment en portugais.

Bien qu’elle soit Japonaise, Luzia se sent totalement Brésilienne. Les premiers immigrants japonais sont arrivés au Brésil en 1908, qui devint alors le foyer de la plus grande population japonaise à l’étranger. Contrairement aux Libanais, les immigrés japonais ont été considérés comme indésirables et ont fait l'objet de politiques de « blanchiment » et d’assimilation par le gouvernement brésilien.

Au Liban, Luzia se sent la bienvenue parmi les « Brésilibanais ».

« Même si je ne parle pas l’arabe couramment, il y a beaucoup d’autres femmes qui parlent le portugais », a déclaré Luzia, qui se considère aujourd’hui aussi en partie Libanaise.

Au cours des dix ans qu’elle a passés au Liban, elle a été initiée aux principes de l’islam et s’est convertie. « Si vous apprenez à connaître le véritable esprit de cette religion, vous finirez par l’aimer », a-t-elle indiqué à MEE.

On estime à environ 10 000 le nombre de citoyens brésilibanais au Liban, chiffre qui ne tient pas compte de ceux qui sont revenus au pays sans avoir obtenu la nationalité brésilienne.

Rien qu’à Kamid el-Loz, environ 400 Libanais reviennent chaque été pour passer les vacances dans leur ville natale, selon les estimations de la municipalité locale. Quant à Luzia, elle attend l’été pour rejoindre son mari au Brésil.

« J’aime le Liban, a-t-elle confié, mais la saudade [nostalgie] de la patrie ne vous abandonne jamais. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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