Incendies en Méditerranée : les raisons d’un désastre écologique et humain
Algérie, Albanie, Grèce, Turquie, Italie, Liban, Syrie… : il y aurait actuellement plus de 180 000 foyers d’incendie de par le monde. S’ils touchent désormais des régions inhabituellement en proie aux feux telle que la Scandinavie, le Canada, la Russie et même le cercle polaire en raison des dérèglements climatiques, la Méditerranée est particulièrement touchée.
En Algérie, 69 personnes, dont 28 militaires, ont ainsi perdu la vie dans les spectaculaires incendies qui touchent depuis lundi soir le centre et le nord-est du pays. Sur le terrain, les efforts de la Protection civile, de l’armée et des sapeurs-pompiers sont assistés par un énorme élan de solidarité émanant de nombreuses régions du pays.
Mais qu’est ce qui déclenche ces incendies parfois concomitants dans plusieurs régions ?
Interrogé par Middle East Eye, l’ancien directeur de la Faune et de la Flore à la Direction générale des forêts (DGF) algérienne, Abdelkader Benkheira, explique que ces feux de forêts qui touchent les pays vivant dans un climat méditerranéen – zonal (situés dans le pourtour méditerranéen) ou azonal (des régions dont le climat est méditerranéen mais qui sont situées en dehors de ce bassin, telles que la Californie, le Chili, l’Afrique du Sud et l’Australie-Occidentale) – observent depuis plus d’une décennie une fréquence des incendies de forêts assez importante due essentiellement au stress hydrique.
« Induit par le réchauffement climatique, le stress hydrique est en train de peser de tout son poids sur les forêts méditerranéennes, renforcé par une augmentation des températures et des fréquences des vents. Ceci explique le rallongement de la période estivale : des étés de plus en plus précoces et de plus en plus tardifs », note-t-il.
Un cortège forestier inflammable
Ces incendies répondent à des facteurs physiologiques et à la nature de la forêt méditerranéenne.
Les mécanismes physiologiques des incendies sont expliqués par la présence de deux paramètres quasiment climatiques, à savoir le stress hydrique et l’éolisation, selon Abdelkader Benkheira.
« Le stress hydrique correspond à la réduction de l’humidité dans le sol. Ce sol non arrosé donne lieu à une végétation stressée, car quasiment sèche, donc facilement inflammable. À ceci s’ajoute l’éolisation, à savoir des séquences de vents violents », détaille ce forestier à la retraite.
Ces mécanismes se conjuguent à la caractéristique de la forêt méditerranéenne, particulièrement inflammable en raison de la présence d’une très grande population de résineux, essentiellement des pins d’Alep, des pins maritimes, des calicotome épineux, ainsi que des espèces de sous-bois qui constituent les véritables combustibles véhiculant la propagation des feux de forêts.
« Ce patrimoine forestier est fortement résineux et inflammable, il est également accompagné d’un cortège forestier tout aussi inflammable, notamment celui qui compose les maquis et les garigues », développe Abdelkader Benkheira.
S’il a été observé que des incendies de forêts pouvaient intervenir après des hivers pluvieux et neigeux, le spécialiste l’explique par la fonte des neiges, laquelle est toujours suivie par une remontée biologique importante, à savoir une régénération de la végétation et de l’écosystème détruits.
« Au regard de la bipolarité entre enneigement et remontée biologique, c’est cette remontée biologique qui démultiplie les risques de propagation des feux. C’est ainsi que nous retrouvons en début d’été un cortège floristique fourni et quasiment inflammable. Par conséquent, lorsqu’il y a éclosion d’un feu, le cortège floristique se convertit en vecteur principal de cette dynamique de propagation extrêmement rapide. »
Des mégafeux semblables à des explosions nucléaires
L’ancien directeur de la Faune et la Flore à la DGF souligne que la foudre (rare), les orages secs, la pression humaine et les gaz terpènes produits en particulier par les conifères contribuent de manière significative au déclenchement et à la propagation de ces incendies de forêts, même après la tombée de la nuit.
« La forêt étant un milieu vivant, l’arbre et la résine en particulier transpirent et dégagent des gaz appelés terpènes. Ces gaz quasiment inflammables vont jouer davantage en faveur de la propagation de ces feux, ce qui est même susceptible de créer des effets de bore, des explosions, à l’intérieur des massifs forestiers, sous l’effet d’une forte émanation de gaz inflammables produits par la résine de pin notamment, surtout en zone accidentée, lorsque l’air reste piégé au fond des vallons. Nous assistons ainsi à un phénomène de concentration de gaz qui peut créer cette auto-combustion », développe-t-il.
Abdelkader Benkheira indique que les feux de sol (très répandus dans les incendies actuels) sont ceux qui causent le plus de dégâts à la végétation et à l’écosystème. « Étant des feux couvants [à combustion lente], pouvant atteindre un à deux mètres de profondeurs, ces feux détruisent les réserves en graines et impactent fortement la régénération du cortège forestier. Ils peuvent aussi se convertir en feux de cimes », précise-t-il.
Les mégafeux qui donnent les images apocalyptiques des incendies des dernières années sont appelés à se multiplier dans le monde et dans les forêts à climat méditerranéen en particulier. D’après le Groupe d’experts intergouvernementaux sur l’évolution du climat (GIEC), ces mégafeux pourraient même devenir une nouvelle norme en raison du réchauffement climatique.
La revue scientifique française Futura n’hésite pas à affirmer que ces brasiers hors norme sont semblables à une guerre nucléaire. Les mégafeux observés en Sibérie en 2019 ont par exemple ravagé une surface équivalant à toute la superficie de la Bulgarie, soit environ 110 000 km².
Des raisons anthropiques
L’activité humaine n’est pas à exclure pour expliquer ces catastrophes écologiques. « Dans les zones vulnérables aux incendies, celle-ci aggrave le problème, car la pression humaine joue en défaveur de la couverture forestière, donnant lieu à des incendies forts et de très courtes cadences », pointe Abdelkader Benkheira.
Il y a lieu de noter également le rôle crucial des interfaces forêt-habitations, de plus en plus grandes, plus particulièrement au niveau des massifs forestiers du nord-est du pays.
Selon les chiffres de la Direction des forêts algérienne, le patrimoine forestier résineux du pays est estimé à 4 100 000 hectares, ce qui rend ce plus vaste pays de la Méditerranée un territoire à risque permanent d’incendie.
D’après le Groupe d’experts intergouvernementaux sur l’évolution du climat, les mégafeux pourraient devenir une nouvelle norme en raison du réchauffement climatique
L’ancien directeur de la Faune et de la Flore rappelle que c’est l’ensemble de l’écosystème qui est touché par les incendies de forêts et, de ce fait, toute la niche écologique : habitat pour oiseaux, mammifères, reptiles... Un écosystème qui doit, selon lui, être impérativement réhabilité, car il abrite des niches écologiques importantes pour plusieurs espèces, comme l’emblématique cerf de barbarie.
Face à la contrainte du réchauffement climatique, l’État algérien a mis en place une stratégie de riposte à travers la DGF et Météo Algérie, l’Agence spatiale algérienne (ASA), ainsi que des stratégies multisectorielles pour la prévention et la lutte ainsi que le suivi de la dynamique de la cicatrisation, relève l’expert.
Parmi ces actions, la réhabilitation du Barrage vert, un projet agroécologique de boisement de la steppe algérienne débuté sous le président Houari Boumédiène, touchera 4 millions d’hectares.
« Le travail de renforcement de la résistance écologique est un processus non-stop », conclut Abdelkader Benkheira.
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