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Erdoğan à Moscou : vers de nouvelles transactions russo-turques en Syrie

Le président turc s’est rendu à Moscou le 5 mars. Il a ainsi pu obtenir de son homologue russe un cessez-le-feu dans la région d’Idleb, où l’offensive loyaliste a causé la mort d’une trentaine de soldats turcs
Le président russe Vladimir Poutine et son homologue turc Recep Tayyip Erdoğan se sont rencontrés le 5 mars à Moscou pour trouver une solution afin d’apaiser les tensions à Idleb, dans le nord-ouest de la Syrie (AFP)

L’offensive loyaliste à Idleb a provoqué à la fois une crise humanitaire (populations civiles touchées et nouvel afflux de réfugiés vers la frontière turque) et des tensions russo-turques. 

Cet épisode vient nous rappeler que Moscou et Ankara se font encore face dans le conflit syrien : les Russes soutiennent la reconquête loyaliste menée par le pouvoir syrien à la fois politiquement et militairement (appui aérien), tandis que les Turcs soutiennent les groupes islamistes rebelles qui résistent à cette offensive. 

Cet épisode vient nous rappeler que Moscou et Ankara se font encore face dans le conflit syrien

Mais cet épisode nous rappelle aussi que le camp loyaliste est en position de force et que Moscou et Damas ne veulent céder aucun morceau du territoire syrien à des groupes insurgés ou à une armée hostile. En somme, le camp loyaliste veut achever sa victoire. 

En face, la Turquie veut limiter sa défaite : il n’est plus question de renverser le pouvoir syrien comme en 2011, mais il n’est pas question non plus d’accueillir des millions de réfugiés supplémentaires. 

La situation délicate dans laquelle se trouve aujourd’hui la Turquie est en grande partie le résultat de l’aventurisme de son président, dont le bilan géopolitique est assez piètre. 

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Dès le début du conflit syrien, Recep Tayyip Erdoğan – d’abord Premier ministre – a cru pouvoir (comme d’autres) installer l’opposition syrienne (notamment les Frères musulmans, proches d’Ankara) au pouvoir et renverser Bachar al-Assad. Dès l’automne 2011, c’est-à-dire quelques mois après le début du conflit, le Conseil national syrien fut formé à Istanbul. 

Par ailleurs, tout en réclamant la tête du président syrien et tout en promouvant un changement de régime, Erdoğan a mis en place une politique généreuse en matière d’accueil des réfugiés. 

Pour les dirigeants turcs – comme tant d’autres dirigeants –, le pouvoir syrien n’allait tenir que quelques semaines ou quelques mois. Ajoutons que la Turquie n’a pas hésité à soutenir les groupes armés et à utiliser la frontière turco-syrienne comme une arme redoutable contre Damas en laissant ces groupes la traverser.

La Turquie se trouve donc aujourd’hui punie par où elle a péché. Elle doit à la fois admettre sa défaite (c’est-à-dire la victoire militaire du camp loyaliste) et subir les conséquences de quelques années de volontarisme. 

Seul face à Vladimir Poutine

Aujourd’hui, à défaut d’avoir une influence politique sur Damas, la Turquie a deux préoccupations majeures qui meuvent sa politique syrienne : la présence du Parti de l’union démocratique (PYD), considéré comme la branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), à sa frontière ; le sort des réfugiés et des réfugiés potentiels (les quelque quatre millions de Syriens vivant dans des zones sous contrôle turc). 

Afin de faire pression sur la Russie (incidemment sur le pouvoir syrien), le président turc a fait un énième mauvais calcul en pensant pouvoir compter sur l’alliance atlantique (qu’il a flouée en privilégiant le système antimissile russe S-400) ou sur une rencontre multilatérale incluant Paris et Berlin pour se retrouver ragaillardi face à Vladimir Poutine. 

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Il n’en fut rien et, en dépit des objections de Washington qui voyait dans les accrochages d’Idleb une occasion de torpiller la victoire russe en Syrie, un cessez-le-feu a été négocié dans le cadre bilatéral souhaité par Moscou. 

Résumons les termes du cessez-le-feu. Opportunément concédé par la Russie quelques jours après la reprise par le camp loyaliste de la ville de Saraqeb (à la jonction de deux axes autoroutiers majeurs, l’autoroute M4 qui relie notamment Lattaquié à Alep et l’autoroute M5 qui relie Alep à Damas), il prévoit notamment un corridor de sécurité (six kilomètres au nord et au sud de l’autoroute M4) et des patrouilles communes (sur une portion de l’autoroute M4). 

Enfin, comme la plupart des douze postes d’observation turcs sont encerclés par les forces syriennes (ou des milices alliées), il se pourrait qu’ils soient transformés en postes russo-turcs. 

La Turquie obtient ainsi la fin de cet épisode particulièrement tendu de l’offensive loyaliste – un peu de répit pour son armée et en ce qui concerne la pression des réfugiés – et Damas et Moscou pourraient obtenir finalement le contrôle des deux axes autoroutiers tant convoités.

Mais il semble évident qu’un tel cessez-le-feu ne peut être que temporaire : la reconquête loyaliste se fait par à-coups, en prenant en compte les lignes rouges tracées par la Turquie.

Il semble évident qu’un tel cessez-le-feu ne peut être que temporaire : la reconquête loyaliste se fait par à-coups

Si les commentaires sur une éventuelle rupture russo-turque (et donc la fin du processus d’Astana) ou sur « l’humiliation » infligée par Poutine à son homologue turc à Moscou sont nombreux, ils ne doivent pas faire oublier que nous avons affaire à une relation d’interdépendance. 

Certes, dans le cadre de pressions verbales qu’il est nécessaire de nuancer, les dirigeants des deux pays s’accusent régulièrement de trahir les accords passés, notamment l’accord de Sotchi de 2018 prévoyant une zone démilitarisée. 

Pour la Russie, la Turquie a tendance à se montrer complaisante avec les groupes dits « djihadistes ». On reproche aussi aux Turcs et à leurs alliés leur faiblesse : Idleb a été prise par une organisation universellement considérée comme « terroriste », Hayat Tahrir al-Cham (groupe anciennement affilié à al-Qaïda).

Pour la Turquie, la Russie laisse faire et soutient l’armée syrienne en dépit des promesses de désescalade. 

Le pouvoir de nuisance d’Ankara

Malgré tout, les Russes savent bien qu’aucune pacification n’est possible en Syrie sans l’accord de la Turquie. Ils connaissent le pouvoir de nuisance d’Ankara : sa capacité à encourager ou à laisser faire des groupes islamistes armés. Pour l’armée russe, la frontière turque peut être aussi infernale que l’a été la frontière pakistanaise pendant la guerre d’Afghanistan (1979-1989).

Et les Turcs savent bien que la Russie est la seule puissance capable de brider le pouvoir syrien quand il le faut (lui imposer un cessez-le-feu, par exemple) et, surtout, qu’elle est la seule à pouvoir éloigner de sa frontière la « menace » posée par les combattants kurdes. 

Pour l’armée russe, la frontière turque peut être aussi infernale que l’a été la frontière pakistanaise pendant la guerre d’Afghanistan

Dans ces conditions, il est inutile d’exagérer cette relation (en l’assimilant à une alliance) ou de la minimiser (en imaginant une rupture ou en sous-estimant le poids de la Turquie). Cette phase de l’offensive d’Idleb annonce probablement de nouvelles transactions russo-turques susceptibles de concerner le nord-est de la Syrie. Un élargissement de la zone de sécurité cédée par la Russie à la Turquie au nord-est du pays en octobre dernier n’est pas à exclure. 

En effet, après avoir convaincu la Turquie de négocier en renforçant les combattants kurdes à sa frontière, la Russie s’est mise à utiliser la menace d’une action militaire turque pour convaincre les combattants kurdes de rejoindre le camp loyaliste. Rappelons simplement que la dernière offensive turque au nord-est (automne 2019) a eu lieu quelques mois après la précédente offensive à Idleb (été 2019).  

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