Pourquoi les pays arabes veulent rejoindre les BRICS
Apparu dans le début des années 2000, sous l’impulsion de l’économiste britannique Jim O’Neill, pour désigner les marchés émergents, l’acronyme BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) puis BRICS (depuis l’adhésion de l’Afrique du Sud en 2011) n’a cessé d’animer les débats, cet été plus que jamais alors que les cinq puissances tiennent leur sommet du 22 au 24 août à Johannesburg (Afrique du Sud).
Ce cercle regroupant les États aux économies les plus prometteuses a d’abord été pensé comme une source d’actifs à haut rendement pour les investisseurs des pays du G8 (G7 depuis la mise à l’écart de la Russie en 2014 après l’invasion de la Crimée) et non comme une forme d’organisation concurrente à ces derniers.
Cyril Ramaphosa : Poutine ne participera pas au sommet des BRICS à Johannesburg
— Anadolu Français (@aa_french) July 19, 2023
- L'Afrique du Sud, signataire du Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale, fait l'objet de pressions pour que soit arrêté Vladimir Poutine, inculpé par la CPI en mars dernier, s’il… pic.twitter.com/Un8Kp8kUEN
On constate néanmoins une politisation croissante du groupe, notamment depuis l’accentuation de la rivalité sino-américaine ces dernières années et la mise en place des sanctions occidentales à l’égard de Moscou à la suite de l’annexion de la Crimée puis l’invasion de l’Ukraine.
Aujourd’hui, les BRICS se présentent comme les garants de la transition vers un nouvel ordre économique international plus multilatéral et qui viendrait renverser à terme l’hégémonie du dollar américain dans les transactions internationales.
Un discours qui attire, particulièrement dans les pays en développement ou en quête d’une plus grande autonomie stratégique, d’autant que les BRICS ont récemment dépassé le G7 en matière de contribution au PIB mondial et discutent dès à présent d’une future monnaie commune propre aux échanges entre États membres.
Bousculer les alliances traditionnelles
Pas moins d’une quinzaine de pays ont émis ou laissé entendre leur intention de rejoindre le groupe des BRICS ces deux dernières années, parmi lesquels l’Argentine, le Mexique, la Turquie, le Sénégal, l’Iran, l’Indonésie, le Kazakhstan mais aussi des pays arabes tels que l’Algérie, l’Arabie saoudite, Bahreïn, l’Égypte, les Émirats arabes unis, le Koweit ou encore la Tunisie.
Longtemps alliés incontestables des Américains et encore très dépendants de ces derniers sur le plan sécuritaire, les monarchies du Golfe sont en recherche de plus d’autonomie vis-à-vis de Washington.
Très récemment, cela s’est manifesté par le biais de la normalisation des relations irano-saoudiennes sous mais aussi par la réintégration de la Syrie – principalement grâce aux efforts de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis – au sein de la Ligue arabe, sous le regard impuissant des États-Unis et des chancelleries européennes qui refusent catégoriquement de traiter avec Bachar al-Assad, lequel est, de surcroît, ouvertement aligné sur Moscou sur le dossier ukrainien.
L’objectif affiché pour les pays du Golfe est désormais celui d’entretenir des relations apaisées avec leur voisinage proche, quitte à bousculer les alliances traditionnelles.
L’autre enjeu, particulièrement pour l’Arabie saoudite, est celui de la sortie de la dépendance au pétrole – secteur sur lequel elle coopère étroitement avec les Américains mais aussi de plus en plus avec les Chinois. À cet effet, de nombreux mégaprojets naissent dans le royaume de sorte à diversifier au maximum son économie et ses partenaires par la même occasion.
Il faut aussi dire que depuis l’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche, l’administration américaine se montre moins conciliante à l’égard de Riyad. Biden avait par ailleurs lui-même appelé à un réexamen des relations américano-saoudiennes après que le royaume et l’OPEP+ eurent décidé d’abaisser leur production de pétrole en octobre 2022, dans un contexte de crise énergétique en Europe.
Auparavant, il n’avait également pas manqué de rappeler Mohammed ben Salmane à l’ordre sur la question des droits de l’homme, ce qui n’avait guère plu aux Saoudiens.
Qu’il s’agisse de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, de Bahreïn ou encore de l’Égypte, dont le régime entretient une proximité particulière avec Riyad et Abou Dabi, tous tentent de profiter de la brèche laissée ouverte par le conflit russo-ukrainien pour s’émanciper de leurs alliés historiques
Tous tentent de profiter de la brèche laissée ouverte par le conflit russo-ukrainien pour s’émanciper de leurs alliés historiques et s’imposer comme acteurs à part entière dans ce système international en pleine mutation.
Quoi de plus naturel pour cela que d’aller frapper à la porte des BRICS, qui leur promettent ce nouveau monde multipolaire tant souhaité. En ce sens, la Nouvelle banque de développement (NBD) basée à Shanghai – qui se veut une alternative à la Banque mondiale et au Fonds monétaire international (FMI) – avait déjà annoncé accueillir les Émirats arabes unis à l’automne 2021 et, plus récemment cette année, l’Égypte.
Aujourd’hui, c’est l’Arabie saoudite qui manifeste son intérêt à obtenir des prêts de sa part et qui devrait donc la rejoindre sous peu.
Présent lors de la dernière réunion des ministres des Affaires étrangères du groupe, le ministre saoudien Faisal ben Farhan al-Saoud a affirmé que son pays était le plus grand partenaire commercial arabe du groupe BRICS.
La valeur totale du commerce entre Riyad et les pays des BRICS est passée de 81 milliards de dollars en 2017 à 128 milliards de dollars en 2021 pour dépasser 160 milliards de dollars l’année dernière.
L’Algérie, une candidature cohérente
Au mois d’août 2022, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a émis son intention de rejoindre les BRICS. Officialisée, la candidature algérienne a très rapidement obtenu l’assentiment de la Russie puis de la Chine.
Le président algérien avance l’argument selon lequel les BRICS constitueraient une « puissance économique et politique considérable » en mesure de préserver son pays, « pionnier du non-alignement », de « l’extrême polarisation du monde ».
Contrairement à celles des monarchies, la candidature algérienne a davantage une teinte politique qu’économique. Le paysage international ayant considérablement évolué et le concept de « tiers-monde » ayant laissé place à celui de « Sud global », Alger perçoit en ce club des puissances émergentes une sorte de réincarnation du Mouvement des non-alignés dont elle était l’un des porte-drapeaux à l’époque.
En 1974, Houari Boumediene avait de surcroît été le premier chef d’État au monde à évoquer officiellement la notion de « nouvel ordre économique international » lors de son discours à l’Assemblée générale des Nations unies.
L’Algérie était également, avec des États comme le Brésil, le Mexique, l’Inde et le Venezuela, membre fondateur du G15, un groupement fondé à Belgrade en 1989 dont l’objectif était de faire contrepoids au G7, tombé en désuétude dans le courant des années 2000.
Les ambitions de l’Algérie en matière de réforme du système international sont donc loin d’être récentes et sont même ancrées dans l’ADN de sa diplomatie.
La candidature algérienne intervient à un moment d’autant plus opportun que le gouvernement en place affiche sa volonté de renouer avec les principes qui ont fait le rayonnement passé du pays et que les BRICS tendent à davantage se présenter sous un aspect politico-stratégique.
Les nouveaux membre probable du #BRICS :#Argentine#Iran #Algérie #Égypte pic.twitter.com/0dcmtxT1YH
— Investing Today For The World Of Tomorrow (@DZ_Investing) August 1, 2023
Mais l’identité du groupe repose – du moins pour le moment – toujours prioritairement sur des standards économiques auxquels Alger peine à se conformer, bien que le président Tebboune ait annoncé sa volonté d’accélérer les réformes en ce sens.
Avec une économie aussi peu diversifiée et des échanges commerciaux relativement faibles avec les États membres (Chine mise à part), l’Algérie pourrait passer après les puissantes monarchies du Golfe voire l’Égypte, qui constitue un marché de 109 millions d’habitants.
Alger aura toutefois une carte à jouer en promouvant son nouveau code l’investissement, qui se veut moins contraignant vis-à-vis des investisseurs étrangers, ainsi que des infrastructures telles que la route transsaharienne et le futur port d’El Hamdania (à l’ouest d’Alger), qui en feraient une porte privilégiée d’entrée vers l’Afrique.
Le cas de la Tunisie, bluff ou vision à long terme ?
Concernant la Tunisie, elle a fait part de son intérêt pour les BRICS au début du printemps, sans pour autant déposer de candidature officielle. Les motivations de ce vœu d’adhésion sont toutefois assez singulières.
La Tunisie est plongée depuis plusieurs années dans une crise économique profonde, qui s’est accentuée depuis 2021. La dette publique du pays a atteint 90 % du PIB et l’État tunisien rencontre de sérieuses difficultés à se financer.
Le soutien financier de ses partenaires, et notamment de l’Algérie, qui lui a octroyé plusieurs aides, ne s’avère pas suffisant et Tunis se voit donc désormais contraint de chercher l’appui d’institutions financières internationales.
Mais le très souverainiste et populiste Kais Saied se montre réticent à se plier aux conditions et réformes budgétaires qu’imposent les prêteurs traditionnels, notamment le Fonds monétaire international.
Il a déclaré le 14 juin, lors d’une visite dans la ville de Gafsa, que son peuple « ne se prosterne que devant Allah » et « qu’aucune sourate du Coran ne porte le nom de ‘’FMI’’».
Les traditionnels alliés occidentaux de la Tunisie se montrent eux bien moins enclins à la soutenir inconditionnellement, du fait du coup de force constitutionnel opéré à l’été 2021 par le président tunisien, qu’ils perçoivent comme une atteinte grave aux acquis démocratiques du pays.
Et si un accord sur l’immigration amenant de facto Tunis à jouer le rôle de gendarme en Méditerranée en échange d’aides de l’Union européenne a été conclu au début de l’été, ces dernières demeurent insuffisantes face à la gravité de la situation.
Le gouvernement tunisien semble donc déterminé à chercher de l’aide auprès d’organismes alternatifs, parmi lesquels le groupe des BRICS et sa NBD. Cependant, cette banque a moins vocation à appuyer financièrement des États en difficulté qu’à contribuer au financement de projets au sein de ceux qui la rejoignent.
Kais Saied cherche probablement à brandir son désir de rapprochement avec les BRICS comme une menace auprès de ses partenaires occidentaux, qui ont tout intérêt à maintenir la Tunisie dans leur giron. Quant aux BRICS, ils ne peuvent que se réjouir de l’intérêt qui leur est porté – la Chine ayant déjà fait part de sa satisfaction –, bien qu’il ne faille pas s’attendre à une adhésion imminente de la Tunisie, sa moindre portée stratégique et ses relations limitées avec les membres n’offrant pas de base solide à sa possible future candidature.
Malgré les ambitions distinctes des États arabes, ces nombreuses candidatures traduisent une volonté d’entrer pleinement dans la mondialisation et surtout d’en devenir des acteurs majeurs – et non d’en rester les spectateurs. Les BRICS vont à présent, en fonction de leurs intérêts, se mettre d’accord sur les critères politiques et économiques à privilégier dans leur processus d’élargissement.
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