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L’Iran trouve de nouvelles façons de réprimer les femmes qui ne portent pas le hijab

Parmi ces nouvelles stratégies figurent la privation de services aux aéroports et dans les restaurants, dans l’éducation, le blocage des lignes téléphoniques et l’utilisation de caméras de surveillance
Selon un nouveau projet de loi, la police iranienne aurait recours à des « systèmes intelligents » pour identifier les femmes sans hijab et les prévenir par SMS. Si les avertissements sont ignorés, elles seront convoquées devant les tribunaux (AP)
Par Correspondant de MEE à TÉHÉRAN, Iran

Dans la petite ville iranienne de Shandiz, près de la ville religieuse de Machhad, bastion des radicaux, un homme est entré dans un magasin et y a vu deux femmes ne portant pas le hijab. Furieux de voir ces femmes transgresser le code vestimentaire islamique, cet homme les a aspergées de yaourt, les laissant sous le choc.

Quelques heures plus tard, on a appris que l’agresseur était un chantre de la religion.

L’incident, qui a eu lieu le 31 mars, est le dernier d’une série d’événements qui ont accru les tensions en Iran concernant le hijab obligatoire alors que beaucoup de jeunes femmes continuent de défier le droit islamique en vigueur dans le pays. 

Traduction : « Un homme jette violemment du yaourt sur le visage de deux femmes dans un magasin de la ville de Shandiz parce qu’une d’entre elles ne porte pas le hijab. »

De nombreux Iraniens ont condamné cette agression sur les réseaux sociaux, la qualifiant de « danger » qu’il faut éliminer. 

Ehsan Alikhani, présentateur télé populaire, a évoqué le danger du jet d’acide et estimé qu’il fallait s’estimer heureux qu’il ne s’agissait que de yaourt cette fois. Il a ajouté que si une réponse ferme n’était pas apportée à ces actes, ils pourraient engendrer le chaos dans le pays.

Alikhani a souligné que cet incident était le « résultat le plus mineur » de la « violence » profondément ancrée dans les déclarations de certains radicaux contre les jeunes femmes qui choisissent de ne pas porter le hijab.

Réagissant à cette agression, le juriste réputé Mohsen Borhani a écrit sur Twitter que toute action contre ces femmes au-delà des simples remarques verbales était illégale et constituait une infraction, ajoutant que dans ces circonstances, ces dernières avaient « le droit à la légitime défense » d’après la loi.

Fait surprenant, même certains conservateurs ont dénoncé l’agression.

Dirigeant les prières du vendredi à Ardebil, Hassan Ameli a déclaré que cette « mauvaise action » ne devait pas être associée à la religion et que la « religion ne vous dit pas de faire cela ».

Cependant, pour le journal radical Kayhan, considéré comme un porte-parole des conservateurs et de l’establishment de la République islamique, « l’acte de ces deux femmes, qui ont insulté la loi, les croyances religieuses et les fondements moraux de la société en ne portant pas le hijab, est pire que celui de l’homme qui a jeté le yaourt ».

La justice a quant à elle émis un mandat d’arrêt pour l’agresseur ainsi que les deux femmes qui ont bafoué la loi sur le hijab.

« Si vous ne pouvez rien faire, nous agirons »

Ces dernières semaines, les radicaux iraniens musclent leur discours contre les femmes qui choisissent de ne pas porter le hijab.

Le sujet est de plus en plus controversé depuis septembre, quand une jeune femme de 22 ans est décédée en garde à vue après avoir été arrêtée par la police des mœurs pour port « inapproprié » du hijab. La mort de Mahsa Amini a suscité des mois de manifestations, au cours desquelles des centaines de personnes ont été tuées.

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La décision de ne pas porter le hijab est devenue un symbole de résistance et de défi à l’encontre du code vestimentaire de la République islamique.

Nombreuses sont les jeunes femmes qui déambulent aujourd’hui dans les rues et les espaces publics sans foulard sur les cheveux, phénomène qui prend de l’ampleur avec la hausse des températures. Avec l’arrivée du printemps, beaucoup de femmes ne portent pas le hijab, ce qui suscite l’inquiétude croissante des radicaux.

Les partisans des radicaux et des ultraconservateurs organisent des rassemblements devant les édifices publics et exhortent les autorités à gérer la situation.

Dernièrement, un groupe d’ultraconservateurs s’est présenté devant le gouverneur de Mazandéran, province du nord de l’Iran, et lui a déclaré : « Si vous ne pouvez rien faire, nous agirons. Tous les restaurants de la ville sont ouverts et toutes les [filles] sont [presque] nues. »

Dans un discours prononcé à Qom, diffusé par la télé d’État, Naser Rafiee Mohammadi, un religieux radical, s’est adressé à l’establishment : « Pourquoi avez-vous aisément renoncé sur le sujet ? De quoi avez-vous peur ? »

Pas un service pour les femmes

Sous la présidence du radical Ebrahim Raïssi, le gouvernement iranien a récemment affiché sa détermination à maintenir le code vestimentaire strict pour les femmes.

En réaction à la récente vague de remise en cause des lois sur le hijab, le gouvernement a affirmé que le sujet n’était pas ouvert au retrait ou au compromis.

Pour pousser indirectement les femmes à respecter le code vestimentaire, le gouvernement a pris des mesures contre les entreprises qui permettent à ces dernières d’entrer sans foulard.

Des supportrices de foot iraniennes soutiennent leur équipe nationale pendant un match amical entre l’Iran et la Russie au stade Azadi à Téhéran, le 23 mars 2023 (AFP)
Des supportrices de foot iraniennes soutiennent leur équipe nationale pendant un match amical entre l’Iran et la Russie au stade Azadi à Téhéran, le 23 mars 2023 (AFP)

Ces dernières semaines, de nombreux magasins, centres commerciaux, hôtels et restaurants ont été fermés par le gouvernement et l’establishment ; leurs propriétaires ont été informés que leur fermeture était motivée par le fait qu’ils avaient autorisé des femmes sans hijab dans leurs locaux. 

« Il n’est pas légal pour le gouvernement ou la justice de tenir pour responsables les gérants ou de fermer leur établissement parce qu’une femme ne porte pas le hijab », assure à Middle East Eye une avocate qui souhaite rester anonyme.

Récemment, il a été signalé que les autorités empêchaient des femmes de prendre l’avion dans certains aéroports à travers le pays.

Dans une vidéo qui a circulé sur les réseaux sociaux, les autorités aéroportuaires de l’aéroport de Shiraz dans le sud-ouest de l’Iran informent des femmes qu’elles ne pourront pas embarquer sur leur vol à moins de respecter les lois sur le hijab.

On les entend dire qu’ils ne « fourniront pas de services » aux femmes qui ne portent pas de voile et, par conséquent, ne leur délivreront pas de carte d'embarquement. 

Le projet controversé

Refuser de fournir des services dans les aéroports n’est que l’une des punitions figurant dans un projet du Parlement, dominé par les radicaux, pour réagir au non-respect de la loi sur le hijab par certaines femmes.

Ce projet précise sept domaines où les infractions seraient enregistrées : en voiture, en intérieur (restaurants par exemple), dans les édifices gouvernementaux, les établissements éducatifs, les universités, les aéroports et terminaux, dans la rue et sur internet.

Les contrevenantes seraient passibles d’amendes entre 5 millions et 30 milliards de rials (entre 108 et 651 000 euros). En outre, les femmes qui ne respectent pas les avertissements verront leur lignes téléphonique et leur accès internet suspendus.

Parmi les autres sanctions esquissées dans ce projet figure la révocation du permis de conduire et du passeport.

Le ministère de l’Éducation et celui des Sciences, de la Recherche et de la Technologie ont prévenu que les étudiantes qui ne porteraient pas le hijab le jour de la réouverture des établissements scolaires se verraient privées d’« enseignement ».

« Les femmes de la société iranienne ne sont pas les femmes que désire la République islamique »

- Une sociologue iranienne

Ce projet n’est pas bien accueilli sur les réseaux sociaux, où beaucoup d’internautes mettent en garde contre les répercussions de telles mesures.

Une sociologue et militante pour les droits des femmes qui s’est confiée à MEE sous le couvert de l’anonymat a prévenu que toute mesure stricte ou extrême du gouvernement ou de l’establishment susciterait certainement une réaction tout aussi forte.

« Les femmes de la société iranienne ne sont pas les femmes que désire la République islamique », estime-t-elle.

« Le vrai visage des femmes dans la société apparaît dans les rues. Ces femmes sont présentes depuis des années mais leur présence était ignorée par la République islamique. »

La sociologue explique que la loi sur le port obligatoire du hijab a eu des effets notables sur la société iranienne : de nombreux Iraniens ont choisi de quitter le pays en raison de son code vestimentaire strict, lequel fait paraître d’autres endroits comme un « paradis » en comparaison.

Malgré la richesse du patrimoine culturel iranien, la sociologue fait observer que la liberté de choisir de porter ou non le hijab a fait de pays musulmans comme la Turquie des destinations de choix pour certaines Iraniennes désirant une plus grande liberté individuelle.

Rendre les femmes plus furieuses encore

Le projet du Parlement a beau être critiqué, il semble que l’establishment souhaite le mettre en œuvre à grande échelle même sans l’approbation des députés.

Le député radical Hossein Jalali disait fin mars qu’un accord avait été conclu entre la justice, la police, le ministère de l’Intérieur, le Conseil national de sécurité et le Parlement concernant l’entrée en vigueur de ce projet et l’application du code vestimentaire islamique.

Il précisait que, dans le cadre de cette nouvelle stratégie, les châtiments corporels ne seraient pas autorisés ; les caméras surveilleront l’espace public et les femmes qui enfreindront la loi sur le hijab seront poursuivies et sanctionnées ultérieurement.

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Dans une déclaration indiquant l’application au moins partielle de la proposition de loi, le juge en chef Gholam-Hossein Mohseni Ejei a annoncé début avril que la police aurait recours à des « systèmes intelligents » pour identifier les femmes sans hijab et les prévenir par SMS. Si les avertissements sont ignorés, elles seront convoquées devant les tribunaux.

Plus important, le guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, a commenté au sujet du hijab : « L’ennemi a abordé ce sujet avec un plan, nous devons nous aussi l’aborder avec un plan », ajoutant que « [les mauvaises réactions] devaient cesser ».

Selon un commentateur politique réformiste qui a parlé à MEE sous le couvert de l’anonymat, Téhéran a pris une décision concernant l’entrée en vigueur de la proposition de loi.

D’après lui, le Parlement ne l’adoptera pas pour éviter les réactions négatives et de se mettre à dos les femmes, mais le gouvernement l’appliquera en grande partie.

« À la lumière des récentes remarques de Khamenei, il apparaît que l’establishment n’aura pas recours à l’implication physique de la police des mœurs comme cela a été le cas par le passé, mais il va compter sur les caméras intelligentes placées dans la ville pour faire pression sur les femmes et leur faire respecter le code vestimentaire », affirme-t-il.

« Ce projet consiste à se reposer sur la surveillance, laquelle est plus dangereuse et place l’Iran sur la trajectoire de la Chine, où tout le monde est officiellement sous surveillance »

- Un commentateur iranien

« Les derniers propos de Khamenei suggèrent que le gouvernement et l’establishment n’ont absolument pas l’intention de soutenir les interventions physiques, telles que l’incident du yaourt.

« Cependant, ce projet consiste à se reposer sur la surveillance, laquelle est plus dangereuse et place l’Iran sur la trajectoire de la Chine, où tout le monde est officiellement sous surveillance. »

Ce commentateur dit néanmoins ne pas croire au succès de l’establishment.

« Le nouvel Iran est totalement différent de ce qu’il était avant le mois de septembre. Il suffit que les responsables sortent et le réalisent. Les projets de ce genre ne feraient que rendre les femmes plus furieuses et les pousseront à les défier davantage. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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