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Iran : espoir, colère et désespoir après quatre mois de manifestations

Alors que les protestations et actes de désobéissance civile se poursuivent à petite échelle en Iran, la jeune génération espère une autre vague de manifestations nationales pour bientôt, mais les experts demeurent sceptiques quant à la survie du mouvement
Manifestation faisant suite à la mort de Mahsa Amini, décédée après son arrestation par la « police des mœurs » à Téhéran, le 19 septembre 2022 (Wana via Reuters)
Manifestation faisant suite à la mort de Mahsa Amini, décédée après son arrestation par la « police des mœurs » à Téhéran, le 19 septembre 2022 (Wana via Reuters)
Par Correspondant de MEE à TÉHÉRAN, Iran

La place Valiasr au centre de la capitale iranienne, Téhéran, ressemblait à un champ de bataille le jour où Soorena* a été arrêté dans une grande rue qui y mène.

« Un canon à eau blindé noir au milieu de la rue arrosait les manifestants qui, en réaction, lançaient tout ce qui leur tombait sous la main sur les vitres et les roues du camion », raconte le lycéen de 17 ans qui se rappelle ce jour de la fin de septembre 2022.

Un peu avant, Soorena avait quitté le magasin de son père, à un pâté de maison de la place, pour voir ce qui se passait et d’où venait cette forte odeur de gaz lacrymogène.

Mais cet après-midi-là, il n’est pas rentré à l’échoppe où, après l’école, il aide son père à vendre des sacs à dos. Pas plus que les sept jours suivants.

Soorena a été arrêté lors des premiers jours des manifestations nationales qui ont suivi la mort de Mahsa Amini en garde à vue. Cette jeune Kurde de 22 ans est décédée le 16 septembre après avoir été transférée, inconsciente, depuis un centre de la « police des mœurs » vers l’hôpital de Kasra à Téhéran.

« L’atmosphère m’a hypnotisé », confie Soorena, se remémorant le jour de son arrestation. « Je ne pouvais pas rester là sans rien faire. Soudain, je me suis retrouvé parmi les gens qui attaquaient le camion. »

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Une heure plus tard, alors qu’il rentrait au magasin de son père, cinq bassidjis (paramilitaires) l’ont jeté sur le trottoir, lui ont bandé les yeux et l’ont embarqué à l’arrière d’un fourgon de police. 

Soorena a toutefois eu de la chance : après une nuit en garde à vue, il a été transféré dans une maison de correction et traduit devant un tribunal pour enfants. Une semaine plus tard, il a été relâché avec une condamnation de six mois de prison assortie de deux ans de sursis, parce qu’il était mineur. 

Quatre mois plus tard, alors que Soorena se rappelle les événements qui ont conduit à son arrestation, la place Valiasr et les rues qui l’entourent ont l’air bien différentes. L’importante circulation à Téhéran avance lentement, les motos se faufilent rapidement entre les voitures et les piétons. On ne voit plus le moindre signe de contestation dans ces rues.

« Oui, les rues sont calmes, mais on sent encore la tension partout », assure Soorena à Middle East Eye

« Pendant ma semaine de détention, j’ai vu de nombreux autres détenus de mon âge et je ne pense pas que le gouvernement puisse tous nous réprimer pendant longtemps. En particulier les étudiants de l’université, qui avaient un ou deux ans de plus que moi, qui étaient bien organisés et informés en matière politique. »

Les étudiants de l’université à l’avant-garde

En cette journée calme de janvier 2023 sur la place Valiasr, à environ un kilomètre au sud, deux Mercedes de la police sont garées devant le complexe du théâtre municipal.

Ces voitures de luxe ont été importées d’Allemagne lorsque l’actuel président du Parlement était chef de la police au début des années 2000, juste après la répression meurtrière du soulèvement étudiant en 1999.

Six policiers en uniforme vert olive se tiennent à côté des deux Mercedes, montant négligemment la garde dans la rue. Tout semble calme. Mais plus on avance en direction de l’ouest, vers l’entrée principale de l’université de Téhéran, plus la présence des voitures de police, des officiers en civil et des miliciens Basij à moto se densifie.

Malgré la répression meurtrière des manifestations, qui a fait au moins 481 morts, l’agitation et les manifestations se poursuivent au sein des campus à Téhéran et dans d’autres grandes villes.

« Je pense qu’une nouvelle grande vague de manifestations commencera très bientôt, même s’ils continuent à exécuter des innocents »

- Ronak, étudiante

« Les forces de sécurité gèrent et s’en prennent aux étudiants plus prudemment », indique Ronak, étudiante en master à l’université de Téhéran. « On se sert de ce petit privilège et on poursuit le combat tandis que la police et les Gardiens de la révolution répriment les manifestations dans les rues en tuant des gens. »

Cependant, les forces de sécurité ne tirent pas à balles réelles contre les étudiants sur les campus. Au lieu de cela, la direction des universités gère la situation en suspendant et en expulsant des étudiants. 

Les étudiants suspendus ne peuvent pénétrer sur les campus et le seul lieu où ils peuvent montrer leur opposition au gouvernement, c’est dans la rue où sont tirées des balles réelles.

Malgré les pressions sur les universitaires et les activistes étudiants, Ronak espère que ces petites manifestations dans différents quartiers de Téhéran, les slogans criés depuis les toits la nuit, les manifestations sur les campus et la désobéissance civile contre le hijab obligatoire permettront de garder le mouvement en vie.

« Je pense qu’une nouvelle grande vague de manifestations commencera très bientôt, même s’ils continuent à exécuter des innocents », affirme-t-elle à MEE, deux jours après la pendaison de deux jeunes hommes arrêtés lors des manifestations à Karaj en novembre dernier.

« Les condamnations à mort ne font qu’ajouter à ma frustration. Lorsque je lis des informations sur les exécutions, ma gorge se serre mais je ne vais pas renoncer. Moi et les autres jeunes crierons aussi fort que possible pour pouvoir respirer librement. »

Une attaque en deux temps contre les médias

Mettre à exécution quatre peines de mort liées aux manifestations, s’en prendre aux petits rassemblements contre le gouvernement dans les villes, selon la presse locale, arrêter plus de 15 000 personnes, condamner à de longues peines de prison les manifestants et suspendre les activistes étudiants ne sont pas les seules méthodes utilisées par le gouvernement iranien pour contenir le mouvement anti-establishment de 2022.

Les journalistes sont aussi particulièrement visés par la justice et les forces de sécurité. Plus de 75 journalistes ont été arrêtés et au moins une trentaine restent en détention depuis la mi-septembre.

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Le 10 janvier, un tribunal révolutionnaire islamique a prononcé l’une des plus lourdes peines de prison contre un journaliste iranien. Le tribunal de la ville de Sari au nord a condamné le journaliste sportif Ehsan Pirbornash à dix-huit ans de prison.

« Rien de nouveau, on savait que les journalistes paieraient un prix élevé pour être la voix des gens lambda », déclare une journaliste chevronnée qui a été témoin de plusieurs grandes attaques contre les médias ces vingt dernières années. 

Cette journaliste explique que l’opération du gouvernement contre les médias s’est déroulée en deux temps. D’abord, les forces de sécurité ont arrêté des journalistes qui couvraient la mort de Mahsa Amini, interviewaient les membres de la famille de ceux tués lors des manifestations, ainsi que les journalistes actifs sur les réseaux sociaux.

« Depuis la fin décembre, on est entrés dans une nouvelle phase et le [gouvernement] a commencé à arrêter ceux qui ont interrogé les membres des familles des détenus condamnés à mort. En outre, les journalistes qui ont publié les remarques des avocats défendant les détenus ont également été arrêtés », ajoute-t-elle. 

« Je ne sais pas, mais on pourrait assister à une troisième phase. »

Une lumière au bout du tunnel ? 

Contrairement à la jeune génération, cette journaliste chevronnée et ceux qui ont été témoins ou ont participé au mouvement estudiantin de 1999, au mouvement vert de 2009 et à l’agitation de 2019 ne pensent pas que ces petits rassemblements et ces slogans criés depuis les toits insuffleront une nouvelle vie au mouvement de 2022.

« Lorsque les mouvements sociaux sous les systèmes dictatoriaux rencontrent des pressions insupportables, ils entrent généralement dans une phase de sommeil, et c’est ce à quoi on assiste maintenant en Iran »

- Un politologue basé à Téhéran

« Lorsque les mouvements sociaux sous les systèmes dictatoriaux rencontrent des pressions insupportables, ils entrent généralement dans une phase de sommeil, et c’est ce à quoi on assiste maintenant en Iran », indique à MEE un politologue qui vit à Téhéran, sous le couvert de l’anonymat en raison des risques de représailles du gouvernement.

Cet universitaire, expulsé d’une université lors de la révolution culturelle iranienne (1980-1983), ajoute que le gouvernement a mis en place une vieille stratégie, en parallèle des manifestations, pour accroître l’impact de la répression.

« L’analyse des précédents mouvements sociaux montre que le gouvernement s’en est d’abord pris aux leaders et personnalités connues qui étaient les voix de ces mouvements. Ensuite, les mouvements, déjà durement réprimés, ne pouvaient plus s’organiser et se mobiliser. Et c’est ce qui se passe encore une fois aujourd’hui », explique-t-il.

« C’est l’une des principales raisons pour lesquelles il n’y a qu’à Zahedan que les gens peuvent organiser des manifestations à grande échelle. Je pense que Molavi Abdol Hamid sera bientôt visé d’une façon ou d’une autre. »

Molavi Abdol Hamid est le plus connu et respecté des chefs religieux sunnites de Zahedan, la capitale provinciale du Sistan-et-Baloutchistan. Depuis le 30 septembre, il exprime ouvertement son soutien aux manifestants et critique le système clérical chaque semaine dans son sermon du vendredi, après lequel des milliers de personnes manifestent dans la ville. 

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Le politologue prévoit également que le gouvernement iranien continuera à exercer des pressions sur les dissidents, les activistes et même la population lambda. 

Chaque jour lorsqu’il se rend à son bureau dans le centre de Téhéran, cet analyste emprunte les mêmes rues que Soorena et Ronak. Mais son point de vue sur l’avenir est totalement différent de celui de la jeunesse.

Selon lui, la récente nomination du tristement célèbre général de brigade Ahmad Reza Radan en tant que chef de la police iranienne est le signe d’une répression plus dure à venir.

« Maintenant, l’establishment se sent victorieux », souligne-t-il.

« Donc, les autorités continueront certainement les arrestations, les condamnations à des peines de prison et les exécutions, à moins qu’un événement suscite une nouvelle vague de manifestations nationales. »

* Les noms ont été changés pour des raisons de sécurité.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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