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Israël dans les Balkans : pourquoi la Serbie et le Kosovo ont-ils signé l’accord de Trump ?

L’accord de normalisation économique entre la Serbie et le Kosovo signé sous l’égide de Trump à la Maison-Blanche a cimenté le statut d’Israël en tant que nouvel acteur géopolitique dans les Balkans
Le président américain Donald Trump participe à une cérémonie de signature avec le président serbe Aleksandar Vučić et le Premier ministre kosovar Avdullah Hoti dans le Bureau ovale le 4 septembre (AFP)

Le 4 septembre, la Maison-Blanche a été le théâtre d’un étrange événement politique. Le président américain Donald Trump a observé la signature d’un accord de normalisation économique entre le président serbe Aleksandar Vučić et le Premier ministre kosovar Avdullah Hoti.

La rencontre n’était pas étrange parce que la Serbie signait un accord concernant une entité, le Kosovo, qu’elle ne reconnaît pas et considère toujours officiellement comme faisant partie de son territoire. Ce n’était pas le cas parce que l’on peut douter que les documents signés correspondent à la description d’un accord international juridiquement contraignant.

Ce qui était étrange, c’est que la partie qui en a le plus profité est un pays qui n’a rien à voir avec le différend territorial dans les Balkans, à savoir Israël. L’accord stipule que la Serbie transférera son ambassade en Israël de Tel Aviv à Jérusalem. Le Kosovo a également accepté la reconnaissance mutuelle avec Israël, suivie de l’ouverture d’une ambassade à Jérusalem.

À la recherche d’une victoire

Comment est-ce arrivé ? À la recherche d’une victoire majeure en politique étrangère à utiliser pendant sa campagne électorale, Trump, par l’intermédiaire de son envoyé Richard Grenell, s’est engagé dans le long différend non résolu entre la Serbie et le Kosovo.

Mais alors que les chances de réélection de l’actuel président américain sont compromises par sa mauvaise gestion de la pandémie de coronavirus, le règlement des différends dans les Balkans n’est pas un problème susceptible de parler à un grand nombre d’Américains, alors il y a ajouté une question qui puisse le faire : Israël.

Un jour après que Trump a aidé à négocier un accord de normalisation entre Israël et les Émirats arabes unis, Grenell a invité Vučić et Hoti à la Maison-Blanche. Pour Trump, remporter une victoire pour Israël en augmentant le nombre de pays islamiques qui le reconnaissent, ainsi que le nombre de pays ayant des ambassades à Jérusalem, est un moyen de courtiser divers groupes nécessaires à sa réélection.

Avec l’accord impliquant le Kosovo et la Serbie, Trump vise également à gagner des voix parmi les communautés juives de Floride et de Pennsylvanie ainsi que les Albanais du Michigan – des États nécessaires à sa victoire électorale

Trump n’a jamais caché le fait que sa décision en 2017 de déplacer l’ambassade des États-Unis de Tel Aviv à Jérusalem était une manière de gagner les votes des évangéliques conservateurs proches d’Israël. Avec l’accord impliquant le Kosovo et la Serbie, Trump vise également à gagner des voix parmi les communautés juives de Floride et de Pennsylvanie ainsi que les Albanais du Michigan – des États nécessaires à sa victoire électorale.

Trump a salué le fait que le Kosovo, pays à majorité musulmane, ait reconnu Israël, tout en félicitant Vučić pour le déplacement de l’ambassade serbe. Peu de temps après, Bahreïn a également annoncé qu’il normaliserait ses relations avec Israël.

Pour l’accord avec les Émirats arabes unis et celui entre le Kosovo et la Serbie, Trump a été nominé deux fois pour le prix Nobel de la paix, ce qui lui donne du matériel de marketing politique en vue de sa réélection.

La renaissance de la politique israélienne dans les Balkans

Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a encore plus de raisons d’être satisfait, comme en témoigne son approbation enthousiaste de l’accord Serbie-Kosovo. Israël a rapidement rendu la pareille en reconnaissant le Kosovo, quelques minutes seulement après l’accord signé à la Maison-Blanche.

La politique étrangère israélienne dans les Balkans a connu une renaissance complète. Ces dernières années, la politique d’Israël dans la région a consisté à affaiblir la position de l’Union européenne (UE) sur la Palestine et à établir des partenariats avec des pays situés au-delà de sa périphérie islamique et moyen-orientale.

Sur le premier point, le fait que la Serbie ouvre une ambassade à Jérusalem serait une victoire, venant d’un candidat à l’adhésion à l’UE et d’un pays qui – contrairement à la plupart des autres pays des Balkans – a fréquemment voté en faveur de l’adhésion de la Palestine aux institutions internationales.

Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou serre la main du président serbe Aleksandar Vučić à Jérusalem en 2014 (AFP)
Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou serre la main du président serbe Aleksandar Vučić à Jérusalem en 2014 (AFP)

Les accords à la Maison-Blanche ont également consolidé le statut d’Israël en tant que nouvel acteur géopolitique dans les Balkans en liant fermement le pays aux deux groupes ethniques les plus stratégiques de la région, à savoir les Serbes et les Albanais.

En suivant la direction de Trump, le Kosovo a fait ce qu’il avait réussi à éviter pendant longtemps et s’est laissé entraîner dans la politique tumultueuse du Moyen-Orient

Certains calculs à Pristina et Belgrade ont également aidé Israël. La campagne de la Serbie pour convaincre certains pays d’annuler leur reconnaissance du Kosovo a reçu un coup dur, tandis que le Kosovo a évité de mettre en colère son principal mécène, les États-Unis, après avoir refusé par le passé de lever les droits de douane et les restrictions contre la Serbie.

Certains rapports ont indiqué que la Serbie ne déménagerait pas son ambassade à Jérusalem si Israël reconnaissait le Kosovo, mais ce n’était probablement qu’une manière de gagner du temps et d’afficher une position intransigeante dans les négociations. Vučić connaît le prix de la colère du président américain.

Risques et défis

La reconnaissance du Kosovo par Israël peut représenter un sacrifice qui en vaut la peine en vue de construire un partenariat plus fort avec les États-Unis, ce que Belgrade a échoué à faire pendant des décennies.

L’idée d’accéder aux États-Unis via Israël était certainement dans l’esprit de Vučić lorsqu’il a pris la parole lors de la conférence annuelle de l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee) en mars. À l’issue de la rencontre à la Maison-Blanche, Vučić s’est vanté d’avoir pu ouvrir les portes de Washington aux Serbes.

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Il existe néanmoins des risques pour les parties concernées. L’UE a déjà mis en garde tant la Serbie que le Kosovo contre l’ouverture de leurs ambassades à Jérusalem. En suivant la direction de Trump, le Kosovo a fait ce qu’il avait réussi à éviter pendant longtemps et s’est laissé entraîner dans la politique tumultueuse du Moyen-Orient.

La Serbie met également en danger son partenariat avec de nombreux acteurs du monde islamique. L’ambassadeur de Palestine en Serbie s’est dit préoccupé par l’accord, tout comme un autre partenaire majeur de la Serbie, la Turquie.

La Serbie a abandonné sa position diplomatique traditionnelle, qui consiste à faire profil bas au sujet des grands conflits internationaux, et s’est de fait alignée sur la politique de Trump au Moyen-Orient. Elle a même désigné le Hezbollah comme un groupe terroriste, risquant des représailles contre ses soldats dans le cadre de la mission de maintien de la paix de l’ONU au Liban (FINUL).

Trump n’a pas la garantie d’être toujours à la Maison-Blanche en 2021, malgré ses accords dans les Balkans et au Moyen-Orient. Les seuls à ne pas avoir à s’inquiéter outre-mesure sont Netanyahou et son gouvernement, peu importe qui remportera l’élection en novembre.

- Vuk Vuksanović est un chercheur doctorant en relations internationales à la London School of Economics and Political Science (LSE) et un associé de LSE IDEAS, le think tank de politique étrangère de l’université. Il écrit abondamment sur les questions de politique étrangère et de sécurité contemporaines. 

Traduit de l’anglais (original).

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