Derrière la reconnaissance de Jérusalem, le lobby des chrétiens évangéliques
Dieu n’est pas agent immobilier, a déclaré l’ancien évêque de Jérusalem en réponse au soutien des chrétiens évangéliques américains à la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël.
Pour les experts, le plaidoyer des chrétiens évangéliques pour Israël est une position politique enracinée dans la théologie.
Allant à l’encontre des conseils de ses alliés et des avertissements de ses adversaires, le président Donald Trump a annoncé mercredi ses projets de transférer l’ambassade américaine en Israël à Jérusalem. Selon les analystes, la droite religieuse américaine joua un rôle moteur derrière cette décision, qui a provoqué l’isolement de Washington sur la scène internationale.
« Je n’ai aucun doute sur le fait que les évangélistes ont joué un rôle important dans cette décision », a affirmé à Reuters Johnnie Moore, un porte-parole de My Faith Votes, un grand groupe politique évangélique.
Cette nouvelle politique, une initiative sans précédent, a été condamnée à l’international mais aussi en interne, y compris de la part d’États et de politiques favorables à Israël.
Alors que des personnalités chrétiennes dans le monde s’opposaient à la décision de Trump, l’influence de la droite religieuse américaine a contribué à en faire une réalité.
« Vous dénigrez Dieu tout-puissant en faisant de lui un agent immobilier »
- Riah Abu el-Assal, ancien évêque de Jérusalem
Plusieurs groupes chrétiens ont fait des déclarations et ont prévenu qu’ils allaient mener des actions pour pousser à la reconnaissance de Jérusalem comme capitale.
Jérusalem-Est a été illégalement occupée par Israël en 1967 et annexée en 1980. Le statut de la ville, qui abrite les sites sacrés de toutes les religions abrahamiques, est toujours disputé. La récente décision américaine a provoqué la colère des Palestiniens, des Arabes et des musulmans, et des manifestations à travers le monde.
« Dénigrer Dieu tout-puissant »
Les militants politiques évangéliques américains voient le conflit israélo-palestinien à travers une lentille biblique. Selon leur interprétation, le manuscrit promet Jérusalem à tous les juifs pour l’éternité. Ils citent un verset du Livre des Chroniques dans lequel Dieu dit : « J’ai choisi Jérusalem, afin que mon nom y soit et j’ai choisi David pour être roi sur mon peuple, Israël ».
Un aspect théologique plus large du soutien évangélique à Israël vient de la notion fondamentaliste selon laquelle la création et la préservation d’Israël en tant qu’État juif précipitera la seconde venue du messie chrétien, Jésus-Christ.
« Tout au long de l’histoire, Jérusalem a été l’objet de l’affection à la fois des juifs et des chrétiens et la pierre angulaire des prophéties. Mais, plus important, Dieu a donné à Jérusalem – et le reste de la Terre Sainte – au peuple juif », a expliqué à CNN Robert Jeffress, un pasteur évangélique conseiller du président Trump.
Mais l’idée d’un Dieu choisissant un certain peuple et lui donnant un morceau de terre est insultant pour ses qualités divines, défend Riah Abu el-Assal, un ancien évêque anglican de Jérusalem.
« Vous dénigrez Dieu tout-puissant en faisant de lui un agent immobilier, favorisant une partie au détriment d’une autre », explique-t-il à Middle East Eye.
Ron Stockton, professeur de science politique à l’Université de Michigan-Dearborn, précise que les sionistes chrétiens qui ont fondé leur soutien à Israël sur la Bible croient que la création d’Israël en 1948 était l’accomplissement d’une prophétie divine.
« Ces gens sont extrêmement pro-israéliens », explique Stockton à MEE. « Ils soutiennent les Israéliens sur la plupart des questions… Ils n’ont vraiment aucune connaissance d’Israël ou des questions qui y sont relatives. Ils ne pensent qu’en termes d’obligations religieuses. »
Le professeur ajoute qu’en reconnaissant Jérusalem comme capitale, Trump était susceptible de plaire au lobby israélien et à la « culture évangélique », tout en apparaissant comme un président fort, fidèle à ses promesses de campagne.
Dans leur quête pour orienter la politique, les évangéliques ont trouvé en Trump un allié inattendu, un magnat des casinos pour qui la spiritualité ne semble pas être un moteur.
Même après la diffusion de la vidéo infamante dans laquelle Trump se vante d’attraper les femmes par les parties génitales, la droite chrétienne a continué à se tenir derrière le candidat républicain, avec le soutien de 80 % des votants blancs évangélistes en novembre 2016, selon les sondages à la sortie des urnes.
Les chrétiens conservateurs ont parié sur le candidat gagnant et maintenant, la mise rapporte. Après avoir interdit les transsexuels à servir dans l’armée, après avoir désigné des juges conservateurs, le président appuie l’agenda de la droite chrétienne, renversant la tendance de la guerre culturelle que les conservateurs semblaient perdre au profit de la laïcité et des valeurs libérales.
Le transfert de l’ambassade, toutefois, implique de graves conséquences internationales, et les chrétiens évangéliques s’en attribuent le mérite.
« Incendiaire et discriminatoire »
Le sud-africain Desmond Tutu, prix Nobel de la paix et archevêque émérite de Cape Town, a vivement condamné le changement de politique américaine.
« Dieu pleure la reconnaissance incendiaire et discriminatoire de Jérusalem comme capitale d’Israël par le président Donald Trump », a déclaré Tutu, avocat fervent des Palestiniens.
Le pape François a également exprimé son opposition à cette décision, en disant qu’il ne pouvait rester silencieux.
« À chaque fois que les gens ont pensé que Dieu leur a donné quelque chose, cela a conduit, historiquement, à des conséquences très déplaisantes »
- Jim Riggby, pasteur
« En même temps, je voudrais lancer un appel sincère pour que chacun s’engage à respecter le statu quo de la ville, conformément aux résolutions des Nations unies », a-t-il déclaré mercredi.
Les chrétiens palestiniens à l’intérieur de Jérusalem ont demandé à Trump ne pas faire ce transfert.
« Nous sommes certains que de telles étapes produiront de plus en plus de haine, de conflits, de violence et de souffrances pour Jérusalem et la terre sacrée, en nous éloignant un peu plus de l’objectif de l’unité et en nous enfonçant dans des divisions destructives », ont écrit mardi des archevêques chrétiens orthodoxes dans une lettre au président Trump.
Les groupes palestiniens et les églises se sont longtemps opposés aux tentatives d’utiliser la foi chrétienne pour justifier l’occupation.
« Nous déclarons que l’occupation militaire de la terre palestinienne constitue un péché contre Dieu et l’humanité. Toute théologie légitimant l’opposition et justifiant les crimes perpétrés contre le peuple palestinien est très éloigné des enseignements chrétiens », est-il dit dans l’énoncé de mission de Kairos Palestine, un mouvement palestinien appelant les chrétiens du monde entier à aider pour mettre fin à l’occupation.
L’évêque el-Assal, à qui on demandait pourquoi les chrétiens évangéliques américains semblent indifférents à la souffrance des chrétiens palestiniens, a répondu : « Parce qu’ils sont nombreux, dans les communautés chrétiennes en Amérique, à ne pas réaliser qu’il y a des chrétiens parmi les Arabes. »
À LIRE : Les quatre théories derrière le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem
El-Assal a ajouté qu’il avait expérimenté de manière directe cette idée reçue – les Américains lui ayant demandé pourquoi il s’était converti au christianisme quand ils ont réalisé qu’il était palestinien.
Une visite du vice-président américain Mike Pence en Israël et dans les Territoires occupés est prévue le 17 décembre. Trump a évoqué ce voyage après avoir annoncé sa décision de déménager l’ambassade.
Pence est une éminente figure du mouvement conservateur évangélique. « Ma foi personnelle est en grande partie à l’origine de mon soutien à Israël », a affirmé Pence au Congressional Quarterly (publications relatives au Congrès américain) en 2002, quand il était avocat.
Les officiels palestiniens ont déclaré que le vice-président américain « n’était pas le bienvenu » en Palestine.
Hanan Ashrawi, dirigeante de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), elle-même chrétienne, a prévenu Pence de ne pas entrer dans des débats bibliques. Elle a déclaré à la BBC que Dieu n’avait pas donné l’ordre au monde d’être injuste avec les Palestiniens.
« S’il souhaite parler de politique, de droit et de moralité, alors dans ce cas, il trouvera quelqu’un pour parler. S’il souhaite venir et me dire : ‘’C’est ce qui a été décidé, c’est ce que la Bible m’a dit’’, alors je pense qu’il devrait aller prêcher dans une église plutôt que de parler de politique. »
Le pape des chrétiens coptes d’Égypte, Théodore II, a également annulé une rencontre prévue avec Pence.
Jim Rigby, ministre de l’église presbytérienne St-Andrews d’Austin, au Texas, a souligné que les interprétations littérales d’écrits religieux ne devraient pas conduire les politiques.
« À chaque fois que les gens ont pensé que Dieu leur a donné quelque chose, cela a conduit, historiquement, à des conséquences très déplaisantes », relève-t-il pour MEE.
« La religion, quand elle est saine, ne pense pas comme cela. Elle ne dit pas : ‘’J’ai trouvé quelque chose dans un livre ancien que je vais maintenant utiliser pour trancher les questions de justice ou de bon sens’’. »
Traduit de l'anglais (original).
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