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Quatrième élection consécutive en Israël : rien n’est différent, mais tout a changé

Si Benyamin Netanyahou a l’air fort, autour de lui, son dernier gouvernement s’effondre. Et des changements fondamentaux au sein de la société israélienne font que les électeurs sont plus polarisés que jamais
Des Israéliens membres des Social Justice Centers et portant des masques représentant le Premier ministre Benjamin Netanyahou (à gauche) et le Premier ministre suppléant Benny Gantz manifestent pour l’adoption du budget social et la dissolution de la Knesset (AFP)
Par Meron Rapoport à TEL AVIV, Israël

Au cours du premier semestre 2021, entre mars et juin, Israël deviendra la première démocratie de l’histoire à organiser une quatrième élection législative en l’espace de deux ans.

Si on examine l’Italie, célèbre pour son instabilité politique avec 66 gouvernements différents depuis la Seconde Guerre mondiale, on constate que ses citoyens se sont rendus aux urnes « seulement » 19 fois au cours de ces 75 années. La période la plus courte englobant quatre élections successives en Italie fut de neuf ans.

L’Allemagne de Weimar s’en rapproche le plus avec trois élections en deux ans et deux mois, entre septembre 1930 et novembre 1932. Les suivantes eurent lieu alors que l’Allemagne avait cessé d’être une démocratie pour devenir une dictature nazie.

La fréquence des élections témoigne de la profonde crise politique dans laquelle est plongé Israël

La fréquence des élections témoigne de la profonde crise politique dans laquelle est plongé Israël. Lors des trois dernières élections (avril 2019, septembre 2019 et mars 2020), Netanyahou et ses alliés n’ont pas réussi à obtenir les 61 sièges du Parlement nécessaires à la formation d’un gouvernement (60, 55 et 58 respectivement).

Par ailleurs, les partis qui s’opposaient à lui n’ont pas su former une coalition alternative – à commencer parce que certains et probablement la plupart d’entre eux n’ont pas accepté le concept tout à fait fondamental selon lequel le vote d’un citoyen palestinien vaut celui d’un citoyen juif.

Cette perception erronée et raciste de la légitimité des électeurs vouait à l’échec toute tentative de former un gouvernement dépendant des quinze sièges détenus par les législateurs de la Liste unifiée, qui représente les citoyens palestiniens en Israël.

Histoire malheureuse

Après les élections de mars 2020, un soi-disant gouvernement d’unité nationale a été réuni sous l’égide de Netanyahou, conjointement avec Benny Gantz, son rival de Bleu Blanc, qui devait le remplacer au poste de Premier ministre après dix-huit mois.

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Compte tenu de l’impasse politique d’une part, et de l’urgence liée au COVID-19 d’autre part, cela semblait une étape logique à l’époque.

Cette tentative a toutefois échoué dès le premier jour. De larges pans de ce camp réputé s’étendre « de gauche à droite » ont refusé d’admettre Netanyahou, inculpé dans plusieurs affaires, comme Premier ministre légitime.

Cela a déclenché un tsunami de grandes manifestations hebdomadaires qui durent depuis près de cinq mois à ce jour, autre record historique pour la démocratie israélienne.

Netanyahou affirme quant à lui, dès qu’il le peut, qu’il n’a aucunement l’intention de remplir sa part du marché et de céder le poste de Premier ministre à Gantz comme convenu à l’origine.

Mercredi dernier, l’ensemble s’est effondré lorsque que Gantz a rejoint l’appel à dissoudre le Parlement, la Knesset.

Benjamin Netanyahou et Benny Gantz au Parlement en mai (Reuters)
Benjamin Netanyahou et Benny Gantz au Parlement en mai (Reuters)

La politique israélienne a prouvé une fois de plus que dans les circonstances actuelles, il n’y a aucune chance de s’entendre sur quoi que ce soit : sur la façon de gérer la crise du coronavirus, sur l’approbation d’un budget (le dernier approuvé remonte à 2018), sur la désignation d’un procureur général, d’un commissaire de police, d’un directeur général du ministère des Finances ou d’une longue liste d’autres postes importants qui attendent d’être pourvus.

La société israélienne a perdu sa capacité à nouer un dialogue englobant ses différentes composantes.

Normalisation de l’occupation

Mais cette impasse ne signifie pas qu’Israël reste figé. Les positions prises par l’establishment politique israélien vis-à-vis des territoires palestiniens occupés ont nettement glissé vers la droite au cours des deux dernières années.

En fin de compte, l’unilatéral « accord du siècle » du président américain sortant Donald Trump pour faire face au conflit israélo-palestinien n’a jamais été mis en œuvre, et l’annexion de certaines régions de Cisjordanie occupée a été officiellement retardée par les accords de normalisation conclus par Israël avec les Émirats arabes unis et Bahreïn. Cela dit, l’impact de l’accord de Trump (ou plutôt de son non-accord) se fera sentir pendant un certain temps.

Exceptés deux députés du parti Meretz (gauche) et quinze députés de la Liste unifiée, plus d’une centaine de députés, de l’extrême droite à la gauche modérée, soutenaient le plan de Trump, qui prévoyait l’annexion de toutes les colonies israéliennes.

Les positions prises par l’establishment politique israélien vis-à-vis des territoires palestiniens occupés ont nettement glissé vers la droite au cours des deux dernières années

L’annexion des colonies, une étape longtemps embourbée dans la controverse, même parmi l’opinion publique juive en Israël, fait désormais presque consensus.

De même, les accords de normalisation avec les États du Golfe, qui évitent de mentionner un « État palestinien » ou la fin de l’occupation, ont obtenu le soutien de tous les partis juifs de la Knesset, de droite comme de gauche, à l’exception de la Liste unifiée.

Les résultats sont manifestes sur le terrain. L’administration civile de Cisjordanie, qui relève du ministère de la Défense dirigé par Gantz, soi-disant de centre-gauche, a approuvé en octobre la construction de 5 400 nouvelles habitations pour colons en Cisjordanie.

Il y a environ deux semaines, 1 200 nouvelles habitations ont à leur tour été approuvées à Givat Hamatos (Jérusalem-Est), finalisant ainsi la séparation physique intentionnelle entre Bethléem et les quartiers palestiniens de la partie occupée de la ville.

Diviser pour mieux régner

Sur le plan politique, Netanyahou a également réussi à fragmenter le camp qui s’opposait à lui.

Bleu et Blanc, qui avait réussi à obtenir plus d’une trentaine de sièges à chacun des trois derniers tours des élections et à empêcher un nouveau gouvernement Netanyahou, s’est effondré dès l’instant où il a rejoint le gouvernement actuel dirigé par la droite.

Le camp anti-Netanyahou n’a pas été en mesure d’offrir un leadership alternatif. Dans les derniers sondages d’opinion, les partis opposés au Premier ministre sont passés d’un total de 62 sièges aux élections de mars 2020 à 55 voire 53 sièges selon certains sondages pour la prochaine échéance électorale.

Pour la première fois depuis 1992, et peut-être la première fois dans l’histoire d’Israël, les parties représentant les Palestiniens obtiennent une légitimité presque totale

Le Likoud (parti de Netanyahou), la star montante de l’extrême droite dans les sondages Naftali Bennett et les partis ultra-orthodoxes apparaissent actuellement comme les candidats les plus sûrs pour remporter une majorité sans précédent aux prochaines élections.

Le Premier ministre a réussi à démolir même la Liste unifiée. Ces dernières semaines, Netanyahou est parvenu à obtenir une alliance avec Mansour Abbas, chef du Parti islamique, qui détient quatre des quinze sièges de la Liste unifiée.

En échange de promesses floues de budgets pour la société arabe afin de lutter contre la violence de plus en plus endémique dans les villes palestiniennes d’Israël (près d’une centaine de meurtres depuis le début de 2020, le plus haut niveau jamais atteint), Abbas a annoncé qu’il « n’[était] engagé ni à droite ni à gauche ».

Lors du vote préliminaire de dissolution du Parlement mercredi, les quatre députés du Parti islamique se sont abstenus, bien que le reste de la Liste unifiée ait voté pour de nouvelles élections.

Compter avec les Palestiniens

Mais le tableau n’est pas complet. En mars 2020, Gantz est devenu le premier dirigeant juif de centre-gauche depuis Yitzhak Rabin en 1992 à parvenir à un accord avec les représentants de la minorité palestinienne d’Israël sur la mise en place d’un gouvernement qui s’appuierait sur leurs voix.

Mais l’opposition de certains députés du parti de Gantz à un gouvernement s’appuyant sur les voix des « partisans du terrorisme », selon l’expression raciste utilisée par la droite israélienne pour désigner les parlementaires palestiniens, a sabordé cette mesure.

Aujourd’hui, évidemment, ce scénario ne se répétera pas : les députés qui ont sabordé la formation d’un gouvernement dépendant de la Liste unifiée ne devraient pas se représenter dans les rangs du centre-gauche.

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Le centre-gauche en cours d’organisation maintenant (apparemment dirigé par le maire de Tel Aviv Ron Huldai et d’autres) s’engage à gouverner avec les Palestiniens.

Les partis centristes autrefois opposés, comme Yesh Atid dirigé par Yaïr Lapid et même Israel Beytenou dirigé par Avigdor Lieberman, qui a créé son personnage politique au moyen de déclarations racistes visant les Palestiniens, expriment explicitement leur soutien à un gouvernement qui s’appuierait sur les votes de la Liste unifiée.

On peut raisonnablement supposer à ce stade que si les partis anti-Netanyahou remportent 61 sièges aux prochaines élections, rien ne s’opposera à la formation d’un gouvernement incluant la participation de la Liste unifiée, que ce soit par son soutien au sein d’une administration ou de l’extérieur.

Comme Netanyahou lui-même tâte la coopération avec le Parti islamique, il aura du mal à accuser de traîtrise ceux qui envisagent de siéger avec la Liste unifiée. En bref, pour la première fois depuis 1992, et peut-être la première fois dans l’histoire d’Israël, les parties représentant les Palestiniens obtiennent une légitimité presque totale.

Désobéissance civile

Dans la sphère publique, le changement pourrait être encore plus important.

Le mouvement de protestation connu sous le nom de « manifestations Balfour » (du nom de la rue de Jérusalem où se situe la résidence du Premier ministre) a débuté en tant que rassemblements contre la corruption dont Netanyahou est accusé.

Mais peu à peu, ils se sont élargis, voyant un plus grand nombre de manifestants et, surtout, une plus grande diversité dans les questions abordées. Les revendications des différents groupes qui participent à ces manifestations pourraient se résumer à un mot : « démocratie ».

Compte tenu de la nature décentralisée et non hiérarchique des manifestations, ces groupes n’ont pas une définition précise de ce qu’est la « démocratie », mais il ne fait aucun doute que celle-ci comprend l’opposition à la légitimité du règne de Netanyahou et peut-être de la droite en général.

Le centre-gauche juif, qui a toujours été très conservateur et se considérait comme faisant partie de l’establishment, a commencé à jouer avec des idées de désobéissance civile afin de lutter contre le règne de la droite

Que des milliers de manifestants soient prêts à affronter la police et même à être arrêtés est un phénomène nouveau. À certains stades des manifestations, il semble que le centre-gauche juif, qui a toujours été très conservateur et se considérait comme faisant partie de l’establishment, a commencé à jouer avec des idées de désobéissance civile afin de lutter contre le règne de la droite.

Dans ce contexte, la présence importante d’un groupe se faisant appeler « Gush Neged Kibush » (bloc contre l’occupation), arborant des slogans tels que « Démocratie pour tous entre le fleuve et la mer », a été acceptée comme presque naturelle lors des protestations, alors même que la grande majorité des manifestants étaient juifs.

Les voix qui se sont élevées contre les violences policières et le meurtre du jeune Palestinien Iyad al-Halak par la police dans la vieille ville de Jérusalem ont été intégrées sans anicroches dans les manifestations. Les députés de la Liste unifiée qui ont participé à ces manifestations ont été accueillis avec sympathie.

La date définitive de la nouvelle élection n’a pas encore été fixée, mais il est difficile de croire que l’on pourrait y échapper après le vote de mercredi dernier à la Knesset. L’élection pourrait avoir lieu en mars 2021 ou il pourrait y avoir un accord pour la reporter à mai, voire juin.

Les sondages, comme indiqué plus haut, prédisent actuellement un succès pour les partis de droite et la probabilité qu’ils l’emportent est non négligeable. Mais même si cela devait se produire – et il faut dire qu’il reste encore beaucoup de temps jusque-là et que les choses peuvent changer –, une victoire de cette nature serait vraisemblablement incapable de combler le fossé au sein de la société israélienne.

Aujourd’hui, Israël est un occupant implacable, en désintégration perpétuelle. Il est encore trop tôt pour savoir où ces tendances contradictoires peuvent mener.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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