La suspension des ventes d’armes allemandes à l’Arabie saoudite dépasse l’axe Berlin-Riyad
La chancelière allemande Angela Merkel avait affirmé fin octobre que faute d’explications convaincantes sur l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, « les exportations d’armes [vers l’Arabie saoudite] ne pouvaient avoir lieu dans un tel contexte ».
Ce qui n’était qu’une suspension s’est transformé en décision définitive jusqu’à nouvel ordre puisque lundi, le ministère allemand de l’Économie a annoncé que le Conseil des ministres « prévoyait la suspension de l’application de toutes les licences soumises aux entreprises et aux institutions pour la fourniture d’armes allemandes à l’Arabie saoudite ».
Par ailleurs, Peter Altmeyer, le ministre de l’Économie, a précisé que son gouvernement avait décidé de ne pas approuver de nouvelles exportations d’armes vers l’Arabie saoudite. Selon lui, les interprétations de la mort de Jamal Khashoggi par Riyad ne sont pas satisfaisantes. « Nous voulons savoir ce qui s’est réellement passé », a-t-il déclaré.
Le ministre a également appelé ses homologues européens à adopter une position unifiée sur la question de la mort de Khashoggi, affirmant que le silence européen actuel donnait une impression favorable pour l’Arabie saoudite.
Avec environ 400 millions d’euros par an, l’Arabie saoudite est, sur la durée, le plus gros client non OTAN de l’Allemagne
Cette décision n’est pas sans conséquences, d’abord pour l’industrie de l’armement allemande.
Le volume des exportations d’armes allemandes vers l’Arabie saoudite est stable depuis une quinzaine d’années et tourne autour de 400 millions d’euros par an, ce qui en fait sur la durée le plus gros client non OTAN de l’Allemagne. Berlin a exporté de l’électronique de défense, des systèmes de défense anti aériens et s’apprêtait à vendre son char le plus moderne le Léopard 2, avant qu’elle ne se rétracte en raison de la guerre au Yémen.
Égypte et Maroc
Les répercussions pourraient aussi se faire sentir en l’Égypte où un contrat essentiel devrait logiquement être remis en question. Le 20 septembre dernier, Le Caire avait signé un contrat d’acquisition de deux frégates de type Meko avec l’entreprise allemande Thiessen Krupp Marine Systems (TKMS), pour près d’un milliard d’euros. Or ce contrat, qui prévoit un financement partiel saoudien, ne pourrait donc être concrétisé.
De même, des officiels marocains contactés par Middle East Eye ont exprimé leurs craintes après cette décision, qui pourraient également affecter leurs achats – en partie soutenus par l’Arabie saoudite. Ils craignent que la décision de Berlin « inspire » d’autres pays de l’Union européenne.
Ce n’est pas la première fois que l’Allemagne suspend ses exportations d’armement : Berlin avait en janvier, à l’instar du Canada, pris des mesures contre les livraisons d’armes à l’Arabie saoudite en raison de la guerre au Yémen et à la famine qui a suivi le blocus de régions entières du pays.
Cette nouvelle suspension des livraisons d’armes à l’Arabie saoudite est survenue alors que le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, a annoncé mardi que dix-huit ressortissants saoudiens impliqués dans le meurtre de Jamal Khashoggi seraient frappés d’interdiction du territoire.
Selon un parlementaire du Parti social-démocrate (SPD), de manière plus globale, il semblerait que Berlin s’achemine vers l’interdiction pure et simple des exportations d’armes pour les pays non membres de l’OTAN.
Une idée qui pourrait bien voir le jour très prochainement, au grand dam des industriels de l’armement qui ont réalisé d’excellents chiffres ces dernières années, notamment avec l’Algérie, à laquelle l’Allemagne a vendu pour dix milliards de dollars d’équipements militaires.
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