Liban : le Hezbollah sort renforcé de la guerre à Gaza
Comme dans de nombreux pays arabes et du monde, un vaste mouvement de solidarité avec le peuple palestinien s’est manifesté au Liban pendant les onze jours du dernier conflit qui a fait à Gaza plus de 230 morts palestiniens, pour plus de la moitié des femmes et des enfants, et douze morts côté israélien.
Cependant, le Liban était concerné par cette guerre plus que tout autre pays en raison de sa proximité géographique avec Israël, du fait qu’il accueille aussi sur son territoire des centaines de milliers de réfugiés palestiniens depuis 1948 et, enfin, en raison de la présence du puissant Hezbollah, membre actif de « l’axe de la résistance », soutenu par l’Iran, et duquel se revendiquent le mouvement Hamas et le Jihad islamique en Palestine.
Cette solidarité s’est exprimée à travers des manifestations populaires près de la clôture frontalière avec Israël – un mort sous les balles israéliennes –, à Beyrouth et dans les grandes villes, qui ont rassemblé des milliers de personnes.
À trois reprises, des roquettes ont été tirées vers le nord de la Galilée à partir du Sud-Liban, entraînant une riposte israélienne qui n’a pas donné lieu à une escalade incontrôlée. Ces tirs n’ont pas été revendiqués.
Malgré quelques voix dissonantes et en dépit de la série de tweets du porte-parole de l’armée israélienne Avichay Adraee tournant en dérision la proclamation de la victoire par la résistance palestinienne, l’écrasante majorité de l’opinion publique libanaise et arabe estime que les Palestiniens ont effectivement emporté une manche sur leur ennemi historique.
Pour la Palestine, les Libanais oublient leurs divergences
Au-delà des célébrations populaires dans les rues de Gaza et d’autres villes du monde, les analystes tentent d’évaluer les conséquences stratégiques de ce nouveau conflit.
La première observation qu’il faut relever est qu’une majorité de Libanais, quels que soient leurs horizons politiques, ont oublié leurs divergences, aussi profondes soient-elles, pour s’unir derrière les Palestiniens dans leur lutte nationale.
« Il y a quelques semaines encore, certains au Liban, dans le monde arabe aussi, particulièrement dans le Golfe, et surtout aux États-Unis et dans les capitales occidentales pensaient que la cause palestinienne était en voie d’extinction », souligne à Middle East Eye Walid Charara, éditorialiste au quotidien Al-Akhbar.
« Cet énoncé de base servait de fondement à une nouvelle stratégie qui consistait à présenter l’Iran comme étant l’ennemi du monde arabe et du Liban. »
« La rhétorique selon laquelle l’entité sioniste n’est plus l’ennemi principal des Arabes et des musulmans et que la normalisation avec l’ennemi jusqu’à l’alignement total est le seul avenir des Arabes s’est effondrée »
- Mounir Chafiq, figure du mouvement national palestinien
Jeudi 20 mai, des partisans de l’ancienne milice chrétienne des Forces libanaises (FL, de Samir Geagea) ont attaqué à dix kilomètres au nord de Beyrouth un convoi de véhicules transportant des ressortissants syriens qui se rendaient à l’ambassade de leur pays pour participer à l’élection présidentielle. Ils s’en sont violemment pris, dans la foulée, à un bus transportant des Libanais de la ville de Tripoli, qui se rendaient à un rassemblement de soutien aux Palestiniens.
La vidéo d’un partisan des FL déchirant un drapeau palestinien a provoqué un vif émoi à Tripoli, une ville à majorité sunnite, et dans le reste du pays. « Les FL ont commis une grave erreur car ils nous ont rappelé leur alliance passée avec Israël, ce que nous voulions oublier », fustige Khalil el-Hassan, un militant du mouvement de contestation à Tripoli.
« La rhétorique selon laquelle l’entité sioniste n’est plus l’ennemi principal des Arabes et des musulmans et que la normalisation avec l’ennemi jusqu’à l’alignement total est le seul avenir des Arabes s’est effondrée », déclare à MEE Mounir Chafiq, intellectuel et figure du mouvement national palestinien.
La guerre de Gaza, couplée au soulèvement des populations de Jérusalem-Est, de Cisjordanie et des citoyens palestiniens d’Israël, a donc démenti l’espoir d’Israël, de certains États du Golfe et des pays occidentaux, États-Unis en tête, de voir la cause de la Palestine définitivement enterrée.
Celle-ci reste « bien vivante dans le cœur des Palestiniens, des Libanais et des Arabes malgré le déséquilibre des rapports de force », soutient Walid Charara. « Cela signifie que même si certains imaginent qu’ils vont réussir à construire des représentations [illusions] avec de nouveaux ennemis, aux yeux des peuples de la région, l’ennemi principal demeure Israël. »
Un front anti-israélien étalé sur 5 000 km
Pour les Libanais, c’est encore plus vrai car les images qu’ils ont vues du conflit en Palestine leur rappellent leur histoire sanglante avec Israël depuis 1948 mais surtout depuis la première invasion israélienne en 1978, la deuxième, en 1982, et les guerres successives israéliennes contre le Liban.
« Ce conflit a renforcé la position de ceux qui, au Liban, ont toujours défendu l’idée que le pays du Cèdre avait besoin de capacités de dissuasion contre les velléités d’agression d’Israël et que si la communauté internationale ne dote pas l’État libanais de ces moyens militaires, la résistance libanaise [le Hezbollah] a pu, elle, se procurer des capacités balistiques, les développer et les moderniser en permanence », fait remarquer Walid Charara.
« Ce conflit a renforcé la position de ceux qui, au Liban, ont toujours défendu l’idée que le pays du Cèdre avait besoin de capacités de dissuasion contre les velléités d’agression d’Israël et que [… le Hezbollah] a pu se procurer des capacités balistiques, les développer et les moderniser »
- Walid Charara, éditorialiste à Al-Akhbar
Nadim Koteich, journaliste et analyste politique hostile à l’Iran et proche des pays du Golfe, tire la même conclusion sans le reconnaître explicitement.
« Désormais, Israël ne fait plus face uniquement au Hamas mais à un large front et à des missiles déployés sur 5 000 kilomètres, allant de Bab-el-Mandeb [les Houthis au Yémen] au Liban, en passant par l’Irak, le tout sous le commandement du Hezbollah », écrit-il.
Pour Nadim Koteich, c’est l’une des « conclusions terrifiantes » de cette guerre. « Si Israël n’est pas appelé à disparaître, ce qui n’est pas mon impression, la prochaine guerre n’est plus qu’une question de temps et le front sera [situé] au Liban », affirme-t-il.
Ce n’est pas l’avis du secrétaire général adjoint du Hezbollah, cheikh Naïm Qassem. « L’ennemi israélien n’a pas lancé d’agression contre le Liban car il sait pertinemment qu’il essuiera un échec et une défaite », a-t-il dit dans une interview à la radio al-Nour appartenant au Hezbollah.
« La résistance est capable d’être victorieuse et cette réalité a reporté toute attaque contre le Liban ainsi que l’éventualité d’une guerre totale contre la Palestine. »
Au Liban, aussi bien les partisans que les détracteurs du Hezbollah estiment que le parti pro-iranien sort renforcé de cette confrontation. Même s’il n’a pas directement pris part aux combats, l’ombre du parti de Hassan Nasrallah planait sur le champ de bataille.
« La plupart des manifestations qui ont eu lieu à la frontière avec la Palestine occupée étaient parrainées par le Hezbollah. Nous avons soutenu tous ceux qui ont sollicité notre aide pour manifester à la frontière », a révélé cheikh Qassem.
Une salle de commandement commune basée à Beyrouth
Mais il ne s’agit pas uniquement d’une coordination de manifestations populaires. Une source informée à Beyrouth affirme à MEE que les « dirigeants de l’axe de la Résistance au Liban et dans la région suivaient minute par minute et au détail près tous les développements sur le champ de bataille dans le cadre d’une salle de commandement commune chargée de la coordination sur les plans militaire, sécuritaire, politique et diplomatique, entre toutes les composantes de l’axe ».
Cette même source indique que cette structure, basée à Beyrouth, était en contact permanent avec d’autres capitales régionales et qu’une importante délégation du Hezbollah, conduite par cheikh Naïm Qassem, a rencontré de hauts responsables du Hamas et du Jihad islamique les tout premiers jours de la guerre pour coordonner les efforts.
Les discours du numéro un du Hamas à Gaza, Yahya Sinwar, et des hauts dirigeants du Jihad islamique remerciant l’Iran pour son soutien confirment ces informations.
Les voix qui critiquent depuis des années le Hezbollah et réclament son désarmement ne trouvent plus forcément un écho favorable dans le contexte de résurgence du conflit avec Israël. Les détracteurs du parti chiite ont toutefois mis en garde contre toute « aventure » qui entraînerait le Liban, confronté à une profonde crise politique et socio-économique, dans une guerre dévastatrice.
« Le Hezbollah interviendra dans la guerre dans deux cas seulement. Le premier, s’il existe un risque réel que la résistance à Gaza soit écrasée, ce qui n’est pas probable. Le deuxième, si le moment de la libération totale de la Palestine est venu », conclut Mounir Chafiq.
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