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« Le son de la mort » : comment Israël terrorise le Liban depuis le ciel

Les violations constantes de l’espace aérien libanais par l’aviation israélienne et ses bangs supersoniques s’ajoutent aux traumatismes des Libanais, toujours sous le choc de l’explosion de Beyrouth et accablés par une catastrophe économique et sanitaire
Des soldats libanais exposent un drone israélien capturé après sa chute à Beyrouth en 2019 (AFP)

Aux petites heures du matin de Noël, j’ai reçu un SMS d’un ami palestino-libanais vivant à Beyrouth, envoyé depuis le couloir de son appartement. Il s’y était précipité après avoir été extirpé soudainement de son sommeil par le bruit de jets israéliens – plus tard signalés comme étant des avions et/ou des missiles en route vers des cibles en Syrie – et la sensation que quelque chose dans les environs était sur le point d’exploser.

Bien entendu, les violations israéliennes de l’espace aérien libanais ne sont pas nouvelles. Israël est connu depuis longtemps pour violer non seulement le ciel du Liban – et son territoire en général – mais aussi les tympans des Libanais et leur bien-être mental et émotionnel.

Israël a intériorisé la vision du monde de son compère impérial américain, selon laquelle les frontières de la patrie sont sacrosaintes, mais celles de tous les autres pays peuvent être piétinées à volonté

Dans son livre Pity the Nation sur la guerre civile libanaise (1975-90), le journaliste Robert Fisk décrivait le bruit terrible généré en 1978 par deux avions israéliens ayant « franchi le mur du son alors qu’ils volaient à basse altitude au-dessus de Beyrouth-Ouest, brisant les vitres des vitrines de l’[emblématique] rue Hamra avec leurs bangs supersoniques ».

Et depuis, c’est quasiment un grabuge continu. Ce n’est certes pas un sujet qui suscite beaucoup d’attention médiatique, mais si l’on passe un peu de temps sur Google, la question fait surface. Il y a cette dépêche de Reuters de 2017 sur les bangs supersoniques qui « ont brisé des fenêtres et fait trembler des bâtiments » dans la ville de Saïda, dans le sud du Liban, tout en provoquant la « panique ».

On trouve aussi cet article du Jerusalem Post de 2007 sur les bangs supersoniques sur Nabatieh, également dans le sud, et Marjayoun, une ville à majorité chrétienne qui servait autrefois de quartier général de l’Armée du Liban-Sud, une milice supplétive d’Israël qui tortura et terrorisa à outrance la population pendant les deux décennies de l’occupation israélienne du sud du Liban, jusqu’en mai 2000.

Et il y a ce titre de la BBC de 1998 : « Les avions israéliens créent la confusion avec leurs bangs supersonique sur le Liban », au sujet de faux raids organisés par l’armée de l’air israélienne au-dessus de Beyrouth et des environs.

Le désintérêt relatif des médias n’est pas dû à un manque d’information. Le Liban n’hésite guère à rendre publiques les violations flagrantes et illégales de son espace aérien par son hostile voisin méridional, et a déposé à plusieurs reprises des plaintes auprès des Nations unies, dont une pas plus tard que le mois dernier.

Une histoire vicieuse

En mars 2019, le secrétaire général de l’ONU António Guterres a rapporté qu’Israël « continuait de violer l’espace aérien libanais presque quotidiennement, en violation de la résolution 1701 et de la souveraineté libanaise ». La résolution 1701 a été adoptée en 2006, à la fin de la guerre israélienne contre le Liban qui, en l’espace de 34 jours, a fait quelque 1 200 morts dans le pays, en majorité des civils.

Compte tenu des antécédents d’Israël au Liban, une histoire vicieuse qui inclut l’invasion de 1982 qui tua environ 20 000 personnes – dont, comme d’habitude, une très grande majorité de civils –, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi les survols et les bangs supersoniques peuvent déclencher la « panique » et la terreur.

Les Casques bleus de l’ONU surveillent la frontière entre le Liban et Israël en 2019 (AFP)
Les Casques bleus de l’ONU surveillent la frontière entre le Liban et Israël en 2019 (AFP)

Dans son rapport, Guterres a noté que de novembre 2018 à février 2019, la Force intérimaire des Nations unies au Liban (la FINUL, en fait pas si intérimaire que ça puisqu’elle opère depuis 1978) avait enregistré « 96,5 violations de l’espace aérien par mois, avec une moyenne de 262 heures de survol ». Les véhicules aériens sans pilote, a-t-il précisé, « représentaient environ 77 % des violations, tandis que les violations restantes concernaient des avions de combat ou des appareils non identifiés ».

On ne peut qu’imaginer la crise massive et/ou la guerre régionale qui s’ensuivrait si ne serait-ce qu’une fraction de ces violations se produisait dans le sens inverse. En effet, Israël a intériorisé la vision du monde de son compère impérial américain, selon laquelle les frontières de la patrie sont sacrosaintes, mais celles de tous les autres pays peuvent être piétinées à volonté.

Guerre psychologique

La bande de Gaza est un autre territoire où Israël fait de ses violations continues de l’espace aérien un moyen de guerre psychologique – pour, en d’autres termes, assujettir la population en la traumatisant.

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Dans un article de 2013 pour Al Jazeera, le journaliste Jonathan Cook a cité Hamdi Shaqura du Centre palestinien pour les droits de l’homme au sujet de l’omniprésence des drones israéliens à Gaza, malgré le prétendu « retrait » d’Israël du territoire en 2005 : « Le bourdonnement est le son de la mort. Il n’y a pas d’échappatoire, aucun endroit n’est privé. C’est un rappel que, quoi que disent Israël et la communauté internationale, l’occupation n’a pas pris fin. »

Il convient de souligner que parler de « son de la mort » n’est pas une exagération. Parmi la myriade de civils palestiniens massacrés par des drones israéliens équipés de missiles, on déplore notamment ces quatre enfants qui jouaient sur une plage de Gaza en 2014 – un crime pour lequel Israël s’est charitablement exonéré l’année suivante.

Au Liban, une récente augmentation des activités de l’armée de l’air israélienne a poussé l’Associated Press à titrer le 10 janvier dernier : « Des jets israéliens quotidiens à basse altitude au-dessus du Liban sèment la nervosité. »

Mentionnant la « terreur » des habitants de Beyrouth le jour de Noël, l’article poursuit en relayant les calculs de la FINUL selon lesquels, entre juin et octobre 2020, Israël a commis en moyenne 12,63 violations de l’espace aérien libanais chaque jour, les drones comptant pour environ 95 % de ces chiffres.

Les véritables terroristes

La « nervosité » libanaise a été particulièrement aiguë ces derniers temps, même si la perspective d’une sorte de conflagration régionale dans les derniers jours de la présidence Trump aux États-Unis ne s’est pas réalisée. Et la situation actuelle du Liban ne fait qu’aggraver le tourment psychologique induit par la punition collective aérienne imposée par Israël.

Le pays est toujours sous le choc de l’explosion d’août 2020 qui a dévasté Beyrouth, en plus de connaître un effondrement économique national et une flambée des taux de COVID-19. Comme si ces maux n’étaient pas suffisamment traumatisants à eux seuls, les Libanais doivent également endurer les bangs supersoniques et les drones d’Israël au-dessus de leurs têtes.

Alors qu’Israël persiste sans relâche à se présenter comme la principale victime du terrorisme de par le monde, il est bon de rappeler qui, véritablement, s’acharne à terroriser les autres.

Belen Fernandez est l’auteure de Exile: Rejecting America and Finding the World et The Imperial Messenger: Thomas Friedman at Work. Elle collabore à la rédaction du magazine Jacobin.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original).

Belen Fernandez is the author of Exile: Rejecting America and Finding the World and The Imperial Messenger: Thomas Friedman at Work. She is a contributing editor at Jacobin magazine.
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