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Les universités, autres victimes de la crise qui secoue le Liban

Les problèmes économiques, politiques et sanitaires qui accablent le pays du Cèdre n’ont pas épargné ses universités y compris parmi les plus prestigieuses, qui risquent de mettre la clé sous la porte
Des étudiantes libanaises manifestent devant le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur à Beyrouth, le 8 novembre 2019 (AFP)
Des étudiantes libanaises manifestent devant le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur à Beyrouth, le 8 novembre 2019 (AFP)

Rue de Damas, 10 heures du matin. Les routes sont vides. Ce chemin est celui qu’empruntent, au quotidien, étudiants, employés et professeurs de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (USJ) pour accéder aux trois des cinq campus de l’institution.

Sur les trottoirs, devant chaque bâtisse, des camions, transportant d’énormes quantités de verre et de bois, sont stationnés. Il faut dire que l’explosion du port de Beyrouth le 4 août dernier n’a épargné aucune construction.

Un peu plus loin, dans l’ouest de la capitale libanaise, nous retrouvons le même paysage au niveau de la rue Bliss, où est érigée l’Université américaine de Beyrouth (AUB), fondée en 1866. C’est au mois de juillet 2019 que tout a commencé… à régresser.

Quand la crise actuelle ronge le secteur éducatif

Été 2019. Une crise économique sans pareil éclate au Liban. Les réserves en dollars de la banque centrale sont déclarées être au plus bas. Conséquence ? Des restrictions imposées par les banques libanaises. Celles-ci limitent d’abord, pour interdire ensuite, tout retrait ou tout transfert en dollars.

Depuis 1997, le Liban utilise, à côté de la monnaie officielle qui est la livre libanaise, le dollar américain. En temps normal, la valeur de la livre libanaise est ancrée à celle du dollar, au taux officiel d’un dollar pour 1 507,50 livres.

À l’Université américaine de Beyrouth, ce sont 70 % des étudiants qui comptent sur les aides sociales pour poursuivre leur parcours, sans pour autant être sûrs de trouver du travail une fois diplômés

Aujourd’hui, avec la dépréciation de la livre libanaise, un dollar vaut désormais 3 800 livres, tel que l’affichent les banques. Au marché noir, c’est une tout autre affaire : un dollar peut s’échanger aussi bien à 7 000 livres qu’à 8 000 voire 10 000 livres dans certains cas.

Difficile pour les universités libanaises de s’adapter à une telle situation. À quel taux faudra-t-il fixer les droits d’inscription (vu que, dans la plupart des cas, une partie du versement est réglée en dollars américains et une autre en livres) ? S’agira-t-il d’augmenter le coût du crédit (unité de cours) pour essayer d’établir un certain équilibre financier ?

Malgré de lourds déficits budgétaires (environ 20 millions d’euros pour l’USJ, 7 à 9 millions d’euros pour l’AUB et 26 millions d’euros pour l’AUBMC, hôpital universitaire rattaché à cette dernière), les deux prestigieuses et plus anciennes institutions d’enseignement supérieur libanaises ont choisi de préserver le tarif de base de l’année dernière pour le crédit d’enseignement.

Et pourtant, toutes deux ont connu une baisse de l’effectif de leurs étudiants et une hausse du nombre de ceux qui présentent des difficultés financières. Ainsi, le budget annuel de l’USJ consacré aux bourses est passé, entre 2019 et 2020, de 19 à 25 millions de dollars, l’équivalent de 22 millions d’euros.

À l’AUB, ce sont 70 % des étudiants qui comptent sur les aides sociales pour poursuivre leur parcours, sans pour autant être sûrs de trouver du travail une fois diplômés, surtout lorsque l’on sait que le taux de chômage au Liban a atteint les 50 %.

Faut-il partir ? Rester ? Si ces étudiants universitaires n’ont pas encore tourné le dos à leur pays, c’est souvent parce qu’ils n’ont pas les moyens de le faire.

La France, un point d’appui ?

Le brin d’espoir que leur avait semblé incarner Emmanuel Macron lors de sa dernière visite à Beyrouth s’est rapidement essoufflé. Le président français avait promis de secourir le secteur éducatif, « première ligne de défense du Liban en ces temps qui courent », comme aime à le dire le recteur de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, le professeur Salim Daccache.

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« L’idée du Liban a été conjointement conçue par les Français et par les Libanais, et nous devons reprendre cette formule, la rendre viable dans un moment où tout concourt à la débandade », déclare le père jésuite à Middle East Eye.  

Or, à ce jour, aucune somme n’a été déversée à cet effet. L’USJ, du moins, n’a pu bénéficier d’aucun soutien financier en provenance de la France, elle dont quatre de ses campus ainsi que l’hôpital qui lui est rattaché, l’Hôtel-Dieu de France, ont entièrement été dévastés par l’explosion du port.

Pour achever les travaux de restauration et de reconstruction, la somme de 4 millions d’euros s’impose, selon Salim Daccache.

Un poids lourd qui s’ajoute à une souffrance morale, celle de voir les jeunes Libanais – ceux qui le peuvent – quitter le Liban, parce qu’encouragés par Emmanuel Macron à faire leurs études en France, pays qui leur garantira, au vu des annonces officielles de maintes universités parisiennes, une exemption totale des droits d’inscription.

Un coup fatal pour le Liban, qui ne fait qu’être témoin d’une fuite vertigineuse des cerveaux (environ 66 000 Libanais ont émigré en 2019) et qui espérait pouvoir compter sur la France pour une éventuelle renaissance.

Appels au secours

Difficile de concevoir ou d’imaginer une sortie de crise dans un futur proche. Et le blocage de la formation du gouvernement n’aide en rien.

« Nous lançons un appel aux pays occidentaux. Ceux-ci devraient se retourner davantage vers le Liban, et, plus particulièrement, vers le secteur éducatif, avant qu’il ne soit trop tard »

- Salim Daccache, recteur de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth

« Nous lançons un appel aux pays occidentaux. Ceux-ci devraient se retourner davantage vers le Liban, et, plus particulièrement, vers le secteur éducatif, avant qu’il ne soit trop tard », déclare le professeur Daccache.

Même son de cloche du côté de l’AUB. « Nous risquons d’être dans l’impossibilité de pouvoir perdurer au-delà du mois de décembre 2020 », prévient son président, Fadlo Khuri.

C’est pourtant sur les bancs de ces deux universités qu’ont été formés des présidents de la République libanaise (notamment Bachir Gemayel et Camille Chamoun), des journalistes de grande renommée (Ghassan Tuéni, Samir Kassir, etc.), des écrivains et poètes (Georges Schéhadé, Salah Stétié, etc.).

« C’est en son capital humain que réside la richesse du Liban », déclare à MEE Lina Choueiri, doyenne par intérim à l’AUB. « Ceci dit, ce sont les compétences, les expériences, les savoirs de chacun et chacune d’entre nous qui sauveront le Liban. Investir dans l’humain, dans l’éducation et dans la santé, telle serait la solution pour un avenir prometteur. »

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