Liban : Macron perd sa position d’arbitre
Dans les annales des relations entre États, on aura rarement entendu un discours comme celui d’Emmanuel Macron au sujet du Liban.
Dimanche 27 septembre, le président français a laissé éclater sa déception contre les dirigeants libanais, qu’il a accusés de « trahison collective » et d’avoir failli à leur engagement de faciliter la formation d’un « gouvernement de mission » chargé de mener des réformes économiques et financières.
Sa colère est compréhensible. Son offensive de charme en direction des Libanais, ses deux visites à Beyrouth en moins d’un mois et son investissement personnel dans la recherche d’une solution aux multiples crises qui frappent le Liban n’auront pas eu raison de l’opiniâtreté de la classe politique du pays.
Le délai de quinze jours qu’il a fixé pour la formation d’un gouvernement a expiré et le Premier ministre désigné, Moustapha Adib, a rendu son tablier sans avoir pu accomplir sa mission.
Dimanche soir, Emmanuel Macron était davantage dans la posture d’un professeur réprimandant ses mauvais élèves que dans les chaussures d’un chef d’État intervenant sur les relations avec un pays souverain.
« Les forces politiques libanaises, leurs dirigeants, les dirigeants des institutions libanaises n’ont pas souhaité respecter l’engagement pris devant la France et la communauté internationale. Ils ont décidé de trahir cet engagement », a-t-il accusé depuis l’Élysée.
Ces forces politiques « ont fait le choix de faire primer leurs intérêts personnels, de condamner le Liban au chaos au lieu de bénéficier de l’aide internationale dont le peuple libanais a besoin », a-t-il martelé.
Selon le président français, les partis libanais « portent l’entière et lourde responsabilité de cet échec ».
« J’ai honte pour les dirigeants libanais », a-t-il insisté avant de dénoncer un « système de corruption où tout le monde se tient parce que tout le monde a touché. Aujourd’hui, quelques dizaines de personnes sont en train de faire tomber un pays. »
Jusque-là, Emmanuel Macron est sans doute le fidèle porte-parole d’une bonne majorité de Libanais, dégoûtés par la classe politique affairiste et corrompue qui a pillé les ressources de l’État pendant des décennies, à tel point que le Liban est, aujourd’hui, un pays à genou.
Il n’a d’ailleurs épargné personne. Il a critiqué l’ancien Premier ministre Saad Hariri qui a introduit dans les tractations pour la formation du gouvernement un « critère confessionnel » qui ne figure pas dans l’initiative française.
Cependant, c’est aux partis chiites que le président français a fait clairement assumer la grande part de responsabilité des blocages actuels. Le Hezbollah et le mouvement Amal, dirigé par le chef du législatif Nabih Berry, ont décidé « explicitement que rien ne devait changer. À chaque étape, ils ont dit qu’ils voulaient nommer leurs ministres et le président Berry a reconnu que c’était une décision du Hezbollah », a-t-il dit.
« Une tentative de coup d’État politique »
Ce reproche est rejeté par une source dirigeante du Hezbollah, qui assure à Middle East Eye que les questions d’une rotation des portefeuilles, ou le fait de priver la communauté chiite du ministère des Finances, qu’elle exige de conserver, n’ont pas été abordées par l’initiative française.
« Lors de sa première visite le 6 août, Emmanuel Macron avait parlé d’un gouvernement d’union nationale, regroupant des représentants de tous les partis, dont le Hezbollah », ajoute cette source. « À peine avait-il pris l’avion qu’il s’est rétracté en plaidant pour un gouvernement neutre, puis, quelques jours plus tard, pour un cabinet de mission indépendant. »
Selon la source, l’initiative française « n’a pas prévu de mécanisme d’application, ce qui a permis à certaines parties de la détourner en leur faveur. C’est ce qu’on fait les anciens Premiers ministres [sunnites], Saad Hariri en tête, qui ont essayé de nous écarter du pouvoir exécutif alors que nous disposons avec nos alliés d’une majorité au Parlement. C’est une tentative de coup d’État politique ».
« [L’initiative française] n’a pas prévu de mécanisme d’application, ce qui a permis à certaines parties de la détourner en leur faveur »
- Une source dirigeante du Hezbollah
Poursuivant sa virulente charge contre le Hezbollah, Emmanuel Macron a martelé que l’organisation ne pouvait pas « être à la fois une armée qui fait la guerre contre Israël, une milice qui participe au conflit en Syrie et un parti respectable au Liban ! Il ne doit pas se croire plus fort qu’il ne l’est ».
Après les remontrances, le président français est passé aux menaces, évoquant le risque de « guerre civile » au Liban.
« Il existe actuellement deux lignes directrices qui pouvaient être suivies », a-t-il ajouté. « S’engager derrière notre initiative ou la politique du pire, qui consiste à dire qu’il faut déclarer maintenant la guerre au Hezbollah et que le Liban s’effondre avec le Hezbollah. J’ai décidé de ne pas suivre cette seconde voie parce que je pense qu’elle est irresponsable mais, aujourd’hui, le choix est entre les mains du Hezbollah et du président Berry : celui de la démocratie et de l’intérêt du Liban ou celui du pire. »
Au passage, il a annoncé un délai supplémentaire de quatre à six semaines, une sorte de dernière chance accordée aux Libanais pour désigner un nouveau Premier ministre et former un gouvernement.
Les chiites dénoncent l’« impolitesse » de Macron
Mais à Beyrouth, les analystes soulignent qu’Emmanuel Macron a repoussé le problème au lendemain des élections américaines, pour savoir qui sera le prochain locataire de la Maison-Blanche, car l’administration actuelle est intraitable à l’égard du Hezbollah, même si cela conduit à la destruction du Liban.
Ce ton dur et belliqueux de Macron n’est pas sans rappeler le discours américain contre le Hezbollah. C’est d’ailleurs la conclusion que tire le quotidien al-Akhbar, qui titrait, au lendemain du discours : « Macron rejoint Washington et Riyad ».
Selon ce journal proche du Hezbollah, « la raison [de la position d’Emmanuel Macron] n’est pas tant l’insistance des partis chiites à nommer le ministre des Finances, que celle des États-Unis à écarter le Hezbollah du gouvernement ».
Dénonçant « l’impolitesse » du discours du président français, al-Akhbar estime qu’Emmanuel Macron s’est « autoproclamé guide de la République libanaise ».
À peine avait-il achevé sa conférence de presse que les partisans du Hezbollah et du mouvement Amal ont laissé éclater leur colère sur les réseaux sociaux. Le hashtag #MacronRespectezVosLimites a été partagé près de 35 000 fois sur twitter.
Parfois, les commentaires étaient couplés de photos de l’attentat du poste Drakar, le 23 octobre 1983, qui avait fait 58 morts dans les rangs des parachutistes français déployés à Beyrouth. Une attaque revendiquée à l’époque par un groupe se faisant appeler le Jihad islamique et attribuée au Hezbollah.
Emmanuel Macron a voulu accabler le Hezbollah et les chiites lui ont rendu la pareille.
Mardi soir, le secrétaire général du parti, Hassan Nasrallah, enfoncera sans doute le clou lors d’une intervention télévisée programmée d’urgence pour répondre au président français.
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