Légaliser le cannabis : le Maroc sur les pas d’Israël
Le 2 décembre 2020, lors de la 63e session de la Commission des stupéfiants des Nations unies (CND), le Maroc a voté pour la reconnaissance des vertus thérapeutiques du cannabis.
Le 12 mars 2021, le pays a adopté le projet de loi autorisant un usage médical, cosmétique et industriel du cannabis. La loi prévoit la création d’une agence nationale de régulation qui sera chargée de développer un circuit agricole et industriel, et cela passera par la création de coopératives d’agriculteurs autorisés à cultiver des plants certifiés.
Le but est de créer une nouvelle forme d’activité génératrice de revenus et respectueuse de l’environnement. Mais comment faire pour adapter des pratiques génératrices de richesse, et comment faire aussi pour implanter des comportements respectueux de l’environnement ?
Selon le rapport annuel 2020 de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC), le Maroc est le premier producteur de résine. Le rapport estime que la surface cultivée est d’environ 47 500 hectares, avec presque 135 tonnes saisies annuellement.
Cette économie permet à 90 000 ménages de vivre, soit plus de 760 000 personnes dans la région de Tanger-Tétouan-Al Hoceima, notamment dans les provinces de Chefchaouen et Ouezzane.
Selon les données du ministère marocain de la Justice, 66 750 personnes ont été poursuivies en 2014 pour des affaires liées à la culture du cannabis : commerce, trafic et consommation.
En se positionnant sur la légalité du produit, le gouvernement doit mettre en place de nouvelles normes juridiques qui réglementent la production, ouvrir de nouvelles voies de commercialisation, mettre en place des partenariats public-privé.
La production légale se présente comme un nouveau circuit avec de nouvelles normes sociales qui vont émerger. Le marché légal du cannabis est ainsi considéré comme un modèle plus prometteur.
Le choix de la légalisation est né de l’échec de quelques projets de développement alternatif mis en place dans le Rif. Certains de ces projets ont eu des conséquences inattendues, comme c’est le cas du projet de développement rural intégré PMH Nord, dirigé par l’Agence française de développement (AFD) entre 1997 et 2002, qui a coûté 4 millions d’euros et qui, au lieu de réduire la culture du cannabis, a permis d’élargir les zones de culture grâce à l’introduction de nouveaux moyens d’irrigation.
Une courte histoire de l’interdiction
Si la production, la consommation et la commercialisation du cannabis sont interdites au Maroc par le dahir (décret) de 1954, le Maroc s’est inscrit, depuis l’indépendance en 1956, dans une politique prohibitionniste dans la lignée de celle imposée par les États-Unis au reste du monde, dès les années 1930.
Le 22 octobre 1966, le pays a ratifié la convention unique du 30 mars 1961 visant à lutter contre une liste de stupéfiants. En 1974, l’article 8 du dahir du 21 mai du code pénal punit l’usage des produits illicites d’un mois à un an de prison et d’une amende de 500 à 5 000 dirhams (de 47 à 470 euros), mais prévoit aussi l’internement de l’usager dans une structure de désintoxication reconnue par le ministère de la Santé.
Depuis, la politique publique en matière de drogues au Maroc (production-trafic-consommation) a globalement reposé sur quatre stratégies : l’interdiction, l’éradication, la coopération internationale et, enfin, la réduction de la demande.
Dans la pratique, le territoire de production est partagé entre une zone dite historique (Ketama, Beni Khaled et Beni Sadet) et une zone récente (notamment Ouezzane et Taouanant) qui remonte aux années 1980-1990. Le nom de « bled du kif » est ainsi donné par les acteurs locaux au territoire historique, pour exclure les autres zones de la loi de légalisation du cannabis.
L’histoire orale s’est chargée de transmettre des récits sur les zones dites historiques, où la légalisation apparaît légitime. Mais la loi laisse émerger des enjeux complexes politiques, géographiques, juridiques et économiques dans les zones dites récentes.
Cependant, la légalisation du cannabis offre un moyen dorénavant économique à l’État de maintenir des relations de pouvoir sur une activité illégale. En effet, le légalisme n’a pas comme objectif d’éradiquer la production illégale, ni les espaces illégaux de production.
Dans les pays, notamment du Sud, où le légalisme a été mis en place, on assiste plutôt à des activités « semi légales », qui se déroulent à la fois légalement et illégalement, de nombreux acteurs passant de la légalité à l’illégalité, voire opérant sur les deux types d’activité.
Cette position de semi-légalité permet le développement d’échanges à la fois légaux et clandestins. Cela est aussi vrai dans le contexte marocain, qui continue à interdire l’usage récréatif du cannabis, et où la légalisation ne concerne que la zone dite historique, qui représente 30 % de la zone de production actuelle.
L’environnement et la question de légalisation
L’expansion du marché du cannabis s’est faite au détriment de l’écologie, car le défrichage de la forêt est devenu le seul moyen d’accès à la terre. Les acteurs locaux, comme les acteurs étatiques, sont conscients des enjeux et des risques environnementaux dans la région.
L’environnement génère dans cette région une injustice structurelle, entre une minorité qui privatise l’accès à l’eau à travers la construction de mini-barrages clandestins et une majorité de producteurs qui se trouvent parfois obligés d’alterner entre travail dans les champs et une semi-migration vers les villes pour travailler, en raison de l’accès limité aux ressources nécessaires à la culture : graine hybride plus rentable, eau, etc.
L’arrivée depuis des décennies de nouvelles plantes hybrides dans la région a accéléré la dégradation des terres et l’exploitation des ressources en eau, car ces hybrides en sont très demandeuses.
Avec ses 60 000 patients utilisant le cannabis médical, Israël fait office de leader mondial dans le domaine de la production du cannabis thérapeutique et commercial
Il existe aujourd’hui dans la région quelques exemples de producteurs de cannabis qui plaident pour la durabilité de l’environnement, en cultivant les graines classiques cultivées de manière éthique et sans pesticide.
Toutefois, la réglementation ne garantit pas la bonne gestion de l’environnement ; elle introduit une nouvelle demande et un nouveau marché, car la production légale n’échappera pas aux abus qui marquent l’agriculture marocaine.
Alors que les cultivateurs de cannabis ne sont pas éduqués aux effets négatifs que la production agroalimentaire peut avoir sur l’environnement, les consommateurs des produits thérapeutiques voient ces produits réglementés, et vendus en pharmacie, comme sûrs et éthiques.
Cette situation devient plus inquiétante quand on observe l’intérêt que les médias marocains accordent au cas israélien.
Avec ses 60 000 patients utilisant le cannabis médical par an, Israël fait office de leader mondial dans le domaine de la production du cannabis thérapeutique et commercial. Il est représenté ainsi par les médias comme un modèle à suivre, et les décideurs marocains semblent séduits par ce qu’ils nomment « un business prometteur ».
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