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Une « annexion de jure » : Israël confie la gouvernance de la Cisjordanie à un ministre pro-colons

Des experts expliquent à MEE que le nouvel accord fait de Bezalel Smotrich le « gouverneur » de la Cisjordanie et approfondit la « colonisation de la Palestine »
Le ministre israélien des Finances Bezalel Smotrich assiste à un Conseil des ministres à Jérusalem, le 23 février 2023 (Reuters)

Israël a transféré de l’armée à un ministre d’extrême droite de larges sections de l’administration de la Cisjordanie occupée, ce qui, selon des experts, équivaut à une « annexion de jure ».

Le transfert a été décidé entre le Premier ministre Benyamin Netanyahou, le ministre de la Défense Yoav Galant et le ministre des Finances Bezalel Smotrich.

« C’est un changement radical de la gouvernance de la Cisjordanie et des territoires palestiniens occupés en général. […] C’est un approfondissement de l’apartheid qui met Israël encore plus en conflit avec le droit international, lequel interdit l’acquisition de souveraineté par la force »

- Michael Sfard, avocat des droits de l’homme

En vertu de l’accord annoncé jeudi, Smotrich – qui est également ministre au département de la Défense – aura de vastes pouvoirs sur les questions civiles en Cisjordanie occupée.

Il s’agit notamment des questions relatives aux avant-postes coloniaux sans autorisation gouvernementale, à la planification et à la construction de colonies, ainsi que du pouvoir de nommer des responsables au sein de l’Administration civile (l’instance dirigeante israélienne en Cisjordanie).

Cela signifierait le passage d’une gouvernance militaire, qui est la norme depuis l’occupation israélienne de la Cisjordanie en 1967, à une administration politique civile. Israël n’a jamais officiellement annexé la Cisjordanie, et même s’il le faisait, le statut de ce territoire palestinien resterait défini par le droit international comme une « occupation militaire temporaire ».

L’accord pourrait permettre à Smotrich – lui-même colon et partisan de longue date de l’annexion de la Cisjordanie – d’accélérer considérablement la construction des colonies, d’accroître la présence d’Israël en Cisjordanie et de contrecarrer le développement de la communauté palestinienne.

Plus de 600 000 colons vivent dans plus de 200 colonies à Jérusalem-Est et en Cisjordanie occupées, en violation du droit international.

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Le ministre d’extrême droite a plaidé avec acharnement pour que ces pouvoirs lui soient confiés dans le cadre de son rôle dans la coalition au pouvoir dirigée par Netanyahou.

Selon l’avocat israélien des droits de l’homme Michael Sfard, le transfert fait effectivement de Smotrich le « gouverneur de la Cisjordanie » et, s’il est mis en œuvre, équivaut à une « annexion de jure » du territoire occupé. Le terme juridique « de jure » décrit une pratique légalement reconnue, qu’elle ait lieu dans la réalité ou non.

« C’est un changement radical de la gouvernance de la Cisjordanie et des territoires palestiniens occupés en général », déclare Michael Sfard à Middle East Eye. « Le gouvernement israélien jouira désormais directement de pouvoirs administratifs sur les territoires occupés. Les fonctionnaires qui détiennent ces pouvoirs seront nommés par Smotrich, le nouveau gouverneur de Cisjordanie, et, dans une large mesure, le commandant militaire sera court-circuité. »  

Le transfert généralisé de pouvoirs à un gouvernement civil israélien est, d’après Sfard, « une manifestation de la souveraineté israélienne au-delà de la ligne verte », la frontière séparant l’Israël d’avant 1967 des territoires palestiniens occupés.

« C’est un approfondissement de l’apartheid qui met Israël encore plus en conflit avec le droit international, lequel interdit l’acquisition de souveraineté par la force. »

« La suprématie juive sur tous les Palestiniens »

Cette décision a été célébrée par Smotrich et des organisations de colons en Israël, tandis que l’Autorité palestinienne l’a condamnée.

« L’annexion formelle, que la communauté internationale a toujours considérée comme une ligne rouge, a été franchie », déclare à MEE Wesam Ahmad, de l’organisation de défense palestinienne des droits de l’homme à Al-Haq. « Malheureusement, le silence a été la principale réponse. Quel message cela envoie-t-il à Israël et au peuple palestinien ? »

« Le sentiment sur le terrain consiste à penser que peu importe le nombre de mots de condamnation, la communauté internationale ne prendra pas les mesures nécessaires pour demander à Israël de rendre des comptes. Le message que cela envoie est que nous ne pouvons pas compter sur le droit international pour nous protéger car il n’y aucune volonté politique de l’appliquer. »

« [L’accord] supprime l’écran de fumée juridique de ‘’l’occupation militaire temporaire’’ qui a jusqu’ici obscurci l’expansionnisme sioniste »

- Nimer Sultany, professeur de droit

Naomi Linder Kahn, directrice de l’organisation israélienne de défense des colons Regavim, a décrit cette décision comme « un très bon pas dans la bonne direction ».

« Nous réclamons le démantèlement de l’administration en Cisjordanie depuis des années », indique-t-elle à MEE.

Son organisation souhaite « une autorité civile israélienne complète sur la zone C, ni plus, ni moins ». La zone C, selon les accords d’Oslo, couvre environ 60 % de la Cisjordanie et est administrée par Israël.

« La situation est sans précédent dans le monde », affirme-t-elle. « Nous parlons de rendre la vie normale aux personnes qui y vivent. Le mandat de l’administration était de maîtriser les choses, mais ce n’est pas un bon gouvernement. »

Que sont les colonies israéliennes en Palestine ?

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Combien de colons israéliens ?

Quelque 475 000 Israéliens résident dans des colonies en Cisjordanie, territoire palestinien occupé depuis 1967, où vivent 2,9 millions de Palestiniens.

Ils sont également 230 000 à Jérusalem-Est, secteur palestinien occupé depuis 1967 puis annexé par Israël, où résident plus de 360 000 Palestiniens. Ceux-ci veulent faire de cette partie de la ville la capitale de l’État auquel ils aspirent.

Alors que cette coexistence est souvent conflictuelle, des dizaines de milliers de Palestiniens vont chaque jour travailler en Israël ou dans ces colonies, souvent attirés par des rémunérations plus élevées.

La colonisation, considérée par une grande partie de la communauté internationale comme un des principaux obstacles à un règlement du conflit israélo-palestinien, s’est poursuivie sous tous les gouvernements israéliens depuis la guerre des Six Jours en 1967 mais a fait un bond sous le Premier ministre Benyamin Netanyahou.

Toutes les colonies israéliennes sont illégales au regard du droit international.

Qui sont les colons ?

De nombreux colons israéliens se sont installés en Cisjordanie et à Jérusalem-Est à la recherche de logements moins chers que sur le territoire israélien. Le gouvernement les encourage à s’installer dans des colonies devenues de véritables villes, comme Ariel, Maale Adoumim ou les colonies spécialement destinées aux juifs ultra-orthodoxes telles Beitar Illit et Modiin Illit.

Pour beaucoup de juifs nationalistes religieux, vivre dans les terres bibliques de Judée et de Samarie (nom donné par les Israéliens à la Cisjordanie) est l’accomplissement d’une promesse divine. Des centaines d’entre eux vivent ainsi près du caveau des Patriarches à Hébron, un site sacré pour les juifs et les musulmans et un des lieux où se focalise la violence entre Israéliens et Palestiniens.

Que sont les colonies sauvages ?

De taille très variable, pouvant aller de quelques tentes à des préfabriqués reliés aux réseaux d’eau et d’électricité, les « avant-postes de colonie », selon l’appellation de l’ONU, ont été établis sans l’aval des autorités israéliennes.

Israël a annoncé le 12 février 2023 qu’il allait légaliser neuf de ces colonies en Cisjordanie en réponse à des attentats meurtriers à Jérusalem-Est.

Ces implantations, dont certaines existent depuis des années, se trouvent notamment dans les secteurs de Hébron (sud), de Naplouse (nord) et dans la vallée du Jourdain.

De nouveaux logements doivent également être construits dans des colonies existantes, mais le gouvernement israélien n’a pas précisé leur nombre ni leur emplacement.

L’organisation israélienne anticolonisation La Paix maintenant a fustigé une politique d’« annexion folle », tandis que Washington, Berlin, Paris, Rome et Londres se sont dits « fermement » opposés à cette légalisation.

Ils ont dénoncé « les actions unilatérales qui ne font qu’accroître les tensions entre Israéliens et Palestiniens et qui nuisent aux efforts visant à parvenir à la solution négociée des deux États ».

Comment les Palestiniens voient-ils les colonies ?

Les Palestiniens considèrent les colonies israéliennes comme un crime de guerre et un obstacle majeur à la paix. Ils veulent que les Israéliens se retirent de toutes les terres qu’ils occupent depuis la guerre de 1967 et qu’ils démantèlent toutes les colonies, bien qu’ils aient accepté le principe de petits échanges territoriaux limités égaux en taille et en valeur.

De son côté, Israël exclut un retour complet aux frontières d’avant 1967, mais se dit prêt à se retirer de certaines parties de la Cisjordanie tout en annexant les plus grands blocs de colonies, qui abritent la grande majorité des colons.

Le Premier ministre Netanyahou a redit en janvier 2023 sa volonté de « renforcer les colonies », sans afficher de volonté de relancer les négociations de paix, au point mort depuis 2014.

Nimer Sultany, maître de conférences palestinien en droit public à la School of Oriental and African Studies (SOAS) de Londres, estime pour sa part que cette décision contribue à « approfondir le processus de colonisation de la Palestine ».

« Cela supprime l’écran de fumée juridique de ‘’l’occupation militaire temporaire’’ qui a jusqu’ici obscurci l’expansionnisme sioniste », dit-il à MEE.

Selon lui, même avant l’accord, il n’était « plus crédible d’évaluer le régime de suprématie juive israélien à travers le prisme du droit international de l’occupation, car cela suppose que la plus longue occupation militaire depuis la Seconde Guerre mondiale est ‘’temporaire’’ ».

Il explique que même si l’accord concernant la Cisjordanie n’est pas l’équivalent de l’annexion de Jérusalem ou du plateau du Golan, la distinction est « insignifiante lorsqu’elle est jugée du point de vue de l’impact réel sur les Palestiniens ».

« Les colons de Cisjordanie qui siègent à la Cour suprême, au Parlement et au gouvernement cherchent à consolider la suprématie juive sur tous les Palestiniens. »

Traduit de l’anglais (original).

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