Pourquoi Assad a-t-il restructuré l’appareil militaro-sécuritaire ?
Les changements sécuritaires auxquels le président syrien Bachar al-Assad a procédé, ce lundi 8 juillet, constituent le plus vaste remaniement à la tête de l’appareil militaro-sécuritaire depuis les nominations effectuées au lendemain de l’attentat qui a décimé la cellule de crise, le 18 juillet 2012.
Ce jour-là, un kamikaze avait actionné sa charge explosive en pleine réunion des plus hauts responsables militaires et sécuritaires du pays. L’explosion avait tué le chef de la cellule de crise, le général Hassan Turkmani, le ministre de la Défense Daoud Rajha, le beau-frère du président, le général Assef Chaoukat, et le chef de la Sécurité nationale, Hicham Ikhtiar.
Les nominations du lundi 8 juillet concernent cinq postes-clé. Le général Jamil al-Hassan, qui dirige le puissant service de renseignement de l’armée de l’air (dont les prérogatives s’étendent en fait sur l’ensemble du territoire) depuis huit ans, a été remercié et remplacé par son adjoint Ghassan Ismaïl.
Le général Mohamed Dib Zeitoun, chef de la Sécurité de l’État, a également été remplacé, par le général Houssam Louka, qui cède son poste de directeur de la Sécurité politique au général Nasser al-Ali.
Un vice-président pour les affaires sécuritaires
Le changement le plus notable est la promotion accordée au chef du Bureau de la sécurité nationale, le général Ali Mamlouk, qui devient vice-président pour les affaires sécuritaires.
Le Bureau de la sécurité nationale avait été créé au lendemain de la décapitation de la cellule de crise pour chapeauter les multiples services de sécurité dans un souci de meilleure coordination pour faire face à la révolte, qui a muté en insurrection armée au fil des mois.
Ali Mamlouk était devenu l’une des figures sunnites les plus en vue du régime et sa nomination au poste de vice-président en fait aujourd’hui la personnalité sunnite la plus puissante du pays.
Il est remplacé à la tête du Bureau de la sécurité nationale par Mohamed Dib Zeitoun, un général sunnite baasiste proche du président Assad.
Autre changement passé presque inaperçu dans les médias, la nomination du général Ali Turkmani, fils de l’ancien chef de la cellule de crise, au poste de conseiller présidentiel à la sécurité. Ce médecin discret avait été dernièrement dépêché en mission à l’étranger à plusieurs reprises par le président Assad et le général Mamlouk.
Ce vaste remaniement a donné lieu à des analyses sérieuses ou parfois extravagantes dans la presse arabe et internationale. Certains médias ont inscrit ces changements dans le cadre d’une lutte d’influence entre la Russie et l’Iran pour le contrôle de l’armée et des services de sécurité en Syrie, dans le cadre d’une rivalité géopolitique entre alliés supposés.
Le journal russe Kommersant établit un lien implicite entre ce remaniement et la réunion sécuritaire tripartite qui a rassemblé en Israël pour la première fois, le 24 juin, les conseillers de la sécurité nationale d’Israël, des États-Unis et de la Russie.
Al-Hassan limogé à la demande des Russes ?
Des sources citées par le quotidien russe indiquent que le « limogeage » du général Jamil al-Hassan intervient après une réunion, fin juin à Quneitra (Golan), qui a regroupé l’officier syrien, des militaires russes, des représentants du 5e corps de l’armée syrienne (réputé proche de la Russie) et des officiers Israéliens.
Lors de cette rencontre, qui n’a pas été officiellement confirmée par Damas, Moscou ou Tel Aviv, le général al-Hassan, qualifié de « proche des Iraniens » par le colonel Fateh Hassoun, l’un des leaders de l’opposition armée syrienne interrogé par le journal, « n’a pas répondu aux exigences d’Israël de retirer les forces pro-iraniennes de la frontière israélienne ».
« La Syrie est entrée dans une nouvelle phase qui voit l’émergence de figures nouvelles susceptibles de renforcer la position de la Russie et d’affaiblir l’influence de l’Iran. Celui qui restructure l’armée syrienne aura le dernier mot »
- Elias Hanna, expert des questions militaires
Cette version est également relayée par un article du site libanais al-Modon, proche de l’opposition syrienne.
D’autres milieux de l’opposition syrienne à Beyrouth estiment que les Russes sont les « grands bénéficiaires » des changements sécuritaires opérés par le président Assad, qui leur permettent d’asseoir leur emprise au détriment de l’Iran « après avoir imposé leur candidat à la tête de l’état-major de l’armée syrienne ».
Interrogé par Middle East Eye, l’ancien général libanais Elias Hanna estime que les changements en Syrie inaugurent une « ère nouvelle caractérisée par la primauté du sécuritaire sur le politique. » Cet expert des questions militaires, professeur dans les universités de Beyrouth, pense que les remaniements du 8 juillet « donnent la haute main à la Russie au détriment de l’Iran. »
« La Syrie est entrée dans une nouvelle phase qui voit l’émergence de figures nouvelles susceptibles de renforcer la position de la Russie et d’affaiblir l’influence de l’Iran. Celui qui restructure l’armée syrienne aura le dernier mot », ajoute le général Hanna.
L’expert précise cependant que la promotion d’Ali Mamlouk n’en fait pas un « successeur potentiel de Bachar al-Assad » dans la perspective d’une solution politique. « Le président Assad reste l’acteur essentiel qui accorde une légitimité aussi bien au rôle russe qu’iranien en Syrie », estime-t-il.
Un autre expert, Amin Hoteit, écarte les analyses qui inscrivent les changements décidés par Bachar al-Assad dans le cadre d’une rivalité russo-iranienne. Interrogé par MEE, cet ancien général de l’armée libanaise, qui a supervisé le tracé de la ligne bleue à la frontière libano-israélienne lors du retrait d’Israël du Liban-Sud en 2000, tourne en dérision les informations selon lesquelles Jamil al-Hassan aurait été écarté à la demande de la Russie.
« Le général al-Hassan est très malade depuis plus d’un an, il était dans l’incapacité d’exercer ses fonctions », affirme-t-il.
Effectivement, le tout puissant officier syrien, inscrit sur la liste noire européenne pour son rôle présumé dans la répression en Syrie, souffre d’une grave maladie et son transfert au Liban pour y être soigné avait été envisagé en février dernier. Les autorités allemandes auraient réclamé son arrestation en raison des accusations qui pèsent contre lui. Finalement, sa venue au Liban a été annulée.
« Le fait que Jamil al-Hassan ait été remplacé par son adjoint est un signe de continuité », ajoute Hoteit.
L’ancien général met le vaste remaniement opéré par Assad, notamment la création du poste de vice-président pour les affaires sécuritaires, sur le compte d’une volonté de restructurer les services de sécurité aux fins d’une « plus grande centralisation et d’une meilleure coordination. »
« Les services seront désormais chapeautés par Ali Mamlouk, ce qui permet au président Assad de se concentrer davantage sur les dossiers politiques et ceux de la reconstruction », dit-il.
Les protégés des Russes et des Iraniens
Bien que présentés par de nombreux médias comme inattendus et exceptionnels, les changements décidés par le président Assad ne surprennent pas les experts. D’abord, aucune figure vraiment nouvelle n’a été propulsée aux commandes. Il s’agit en fait de permutations ou de remplacements de chefs de services par leurs adjoints.
Ensuite, ces mesures sont intervenues selon le calendrier habituel en vigueur en Syrie, où les promotions et les passages à la retraite sont décidés par décret présidentiel en janvier ou en juillet de chaque année.
Il n’en reste pas moins que les Russes et les Iraniens, bien que combattant dans une même tranchée et contre les mêmes ennemis, n’ont pas forcément des objectifs ou des méthodes similaires. Ils n’adoptent pas, par exemple, une position identique concernant Israël et il existe entre eux des divergences au sujet du processus politique.
Des diplomates des deux pays rencontrés à Beyrouth ont confirmé ces différences de points de vue. Selon eux, la Russie souhaiterait que le président Assad fasse des concessions politiques, tandis que les Iraniens l’encourageraient à rester inflexible.
Il est aussi de notoriété publique que la Russie préfère « travailler » avec des unités spécifiques de l’armée syrienne, comme par exemple les « Forces du tigre », dirigées par le général Souhail al-Hassan, et le 5e corps d’armée.
Les Iraniens, eux, entretiennent d’excellentes relations avec la 4e division d’élite de la Garde républicaine, dirigée par le général Maher al-Assad, le frère du président. Mais de là à dire que les deux pays imposent leurs candidats respectifs à la tête des services de sécurité ou des divisions de l’armée syrienne, c’est aller trop vite en besogne.
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