Syrie : pourquoi l’Arabie saoudite veut à nouveau Assad de son côté
Alors qu’un éventuel rapprochement saoudo-iranien venait d’être annoncé, les informations indiquant qu’une délégation de responsables du renseignement saoudien s’était rendue à Damas ont reçu une couverture médiatique considérable début mai. Une exclusivité de Rai al-Youm révélant que le chef du renseignement saoudien avait rencontré le président syrien Bachar al-Assad a soulevé des questions quant au moment choisi pour une telle réunion.
De telles visites de responsables sécuritaires menées en toute discrétion tendent habituellement à ne pas être annoncées officiellement, les responsables évitant de corroborer les informations publiées par les médias – or dans ce cas, l’ambassadeur syrien au Liban a publié une déclaration positive sur le sujet, un sujet que la plupart des responsables syriens fuient depuis que les relations diplomatiques bilatérales ont été rompues au début de la guerre en Syrie.
L’Arabie saoudite a besoin de l’aide de Damas pour stabiliser le Liban, étant donné que Beyrouth demeure au cœur des intérêts saoudiens au Levant
Alors que l’administration Biden aux États-Unis cherche à recalibrer les politiques peu orthodoxes de l’ère Trump au Moyen-Orient, les Saoudiens ont couvert leurs paris, incertains quant à l’avenir des intérêts de Washington à Riyad. La dernière initiative des Saoudiens intervient également à la suite du soutien public apporté par les Émirats arabes unis et Bahreïn au régime d’Assad ces dernières années.
Les événements au Liban ont également constitué un facteur clé, car l’Arabie saoudite a besoin de l’aide de Damas pour stabiliser le pays du Cèdre, étant donné que Beyrouth demeure au cœur des intérêts saoudiens au Levant. Ayant épuisé toutes les voies d’influence au Liban, Riyad revient à présent à une formule qui a fait ses preuves : le rapprochement avec la Syrie.
L’Arabie saoudite participe activement à la politique libanaise depuis l’opposition d’Ibn Saoud à de nouvelles divisions de la Syrie historique dans les années 40. Au cours des années 50 et 60, les Saoudiens se sont opposés à un plus grand ancrage au Liban de l’ancien président égyptien Gamal Abdel Nasser, préférant la seigneurie syrienne sur le pays.
Après l’arrivée au pouvoir de Hafez al-Assad en Syrie, les Saoudiens ont régulièrement favorisé la politique syrienne au Liban, même si cela signifiait donner le dessus à un opposant idéologique. Malgré de claires différences stratégiques sur la manière de stabiliser le Liban après la sortie d’Israël en 2000, Riyad a mis de côté ses divergences avec Damas à plusieurs reprises et a coopéré avec Bachar al-Assad, tout comme elle l’avait fait avec son père.
Reprendre de l’importance
Basem Shabb, ancien député libanais et proche conseiller du Premier ministre désigné Saad Hariri, a écrit sur la façon dont la Syrie avait discrètement amélioré son jeu dans la politique libanaise, ce qui a également impliqué de soutenir des groupes favorables aux objectifs principaux de la Syrie plutôt que de l’Iran au Liban. Une évaluation du Département d’État américain l’année dernière citait des preuves selon lesquelles Damas retrouvait sa place prééminente dans la politique libanaise.
La Syrie ne suit pas toujours la ligne de Téhéran, en particulier en ce qui concerne le Liban et l’Irak. C’est cet aspect de la politique syrienne qui intéresse le plus les Saoudiens
Il est important de noter que la Syrie a toujours poursuivi ses propres intérêts au Liban, plutôt que ceux de l’Iran. La Syrie ne suit pas toujours la ligne de Téhéran, en particulier en ce qui concerne le Liban et l’Irak. C’est cet aspect de la politique syrienne qui intéresse le plus les Saoudiens.
Il y a un dicton à Damas qui dit que les Saoudiens multiplieront les échecs au Liban tant qu’ils n’accepteront pas de travailler avec les Syriens, plutôt que contre eux. Après l’effondrement des banques libanaises et le fiasco de la détention de Saad Hariri à Riyad en 2017, l’Arabie saoudite avait plus ou moins rayé le Liban de sa liste de priorités. Néanmoins, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane n’a eu de cesse de chercher à faire à nouveau de Riyad un acteur au Liban.
Le prince héritier n’aime pas être écarté du Liban et y céder la place à l’Iran. Dès lors, il semble suivre la même voie que nombre de ses prédécesseurs, à partir d’Ibn Saoud, à savoir tendre la main à Damas pour ce qui a trait à la stabilité du Liban.
Un délicat exercice d’équilibriste
Bien entendu, la visite du chef du renseignement saoudien en Syrie ne concernait pas uniquement le Liban. En coulisses, les Saoudiens se tournent vers Damas depuis des années.
Assad ne voit pas la détente saoudo-iranienne comme un jeu à somme nulle pour la Syrie ; comme son père avant lui, qui a surmonté les soupçons saoudiens de soutien syrien à l’Iran contre Saddam Hussein, alors allié à Riyad, le président syrien est prêt à travailler à nouveau avec les Saoudiens, nonobstant la présence iranienne en Syrie.
Ce délicat numéro d’équilibriste pourrait amener les Saoudiens à aider Assad à surmonter officiellement la crise économique de son pays. Les Émirats arabes unis ont publiquement appelé à la levée des sanctions César imposées par les États-Unis, ils fournissent une aide médicale régulière à la Syrie et cherchent à faciliter sa réhabilitation régionale.
Bien que l’attention générale se soit concentrée sur l’inclusion de la Syrie au sein de la Ligue arabe, cela n’est que symbolique. Ce qui compte, ce sont les politiques réelles que Damas offre aux Saoudiens.
Le prince Mohammed a de grandes idées qui nécessitent la stabilité collective de la Syrie et du Liban. Compte tenu de la complexité de la politique syrienne et libanaise, l’Arabie saoudite dispose d’une certaine marge de manœuvre, mais elle doit compter sur les Syriens pour revenir au Liban de manière significative.
Le prince héritier saoudien a adressé des appels du pied au président syrien et a publiquement appelé à une reconnaissance de la victoire d’Assad en contrepartie de l’expulsion de l’Iran hors de la Syrie. Avec ou sans le facteur libanais, les Saoudiens veulent à nouveau qu’Assad soit de leur côté pour aider à façonner la région au sens large, et notamment contrer l’influence turque et iranienne au Levant.
Traduit de l’anglais (original).
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