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Le vote de confiance au gouvernement Mechichi bouleverse les équilibres politiques

Le Parlement vient d’accorder sa confiance au gouvernement de Hichem Mechichi. Si le nouveau locataire de la Kasbah réunit sur son nom plus de députés que son prédécesseur, il dispose d’une majorité fragile et s’installe dans une rivalité avec Kais Saied
Les députés tunisiens ont approuvé mardi un gouvernement de technocrates mené par Hichem Mechichi (en photo), le second cabinet en six mois, écartant la possibilité d’une dissolution sans pour autant mettre fin aux tensions politiques (AFP)
Les députés tunisiens ont approuvé mardi un gouvernement de technocrates mené par Hichem Mechichi (en photo), le second cabinet en six mois, écartant la possibilité d’une dissolution sans pour autant mettre fin aux tensions politiques (AFP)
Par Hatem Nafti à TUNIS, Tunisie

L’enchaînement est devenu récurrent : un candidat au poste de chef du gouvernement qui présente son programme et son équipe, une centaine d’interventions de députés, quelques attaques visant les binationaux, la réponse du candidat et un vote de confiance intervenant tard dans la nuit.

Pour la troisième fois en moins de neuf mois, aucun élément n’est venu déroger à cette règle. Après plus de 144 interventions – certaines s’attaquant violemment au président de la République et à sa directrice de cabinet, plusieurs affirmant voter à contrecœur la confiance au gouvernement –, il est 1 h 17 quand Hichem Mechichi monte à la tribune de l’Assemblée pour tenter de répondre aux parlementaires. 

À 1 h 38, le scrutin est ouvert : avec 134 voix pour, 67 contre, et aucune abstention, la Tunisie se dote d’un nouveau gouvernement. C’est la fin, au moins provisoire, du feuilleton estival de la politique tunisienne.

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Chargé le 25 juillet par le président Kais Saied de former un gouvernement, celui qui est toujours le ministre de l’Intérieur n’a pas eu le temps de préparer un programme de gouvernement. 

Par conséquent, son allocution de 25 minutes s’attache à faire le constat de la difficulté de la situation et de dresser les priorités de sa future équipe. Quand il présente les différents axes sur lesquels son gouvernement entend travailler, on retrouve les mêmes éléments de langage employés par ses prédécesseurs : s’attaquer à la dette, orienter les subventions vers les classes nécessiteuses, soutenir les entreprises privées, rétablir la confiance des investissements extérieurs, promouvoir l’investissement privé, réformer le secteur public, combattre l’économie de rente et promouvoir la concurrence, tout en intégrant les conséquences du coronavirus sur les plans économique, social et sanitaire. 

Une annonce a été particulièrement commentée, elle concerne une réforme fiscale dont les contours n’ont pas été esquissés. La lutte contre la corruption et les conflits d’intérêt, principal credo du précédent gouvernement mais aussi facteur de sa chute, semble être reléguée à l’arrière-plan.  

Son discours commence par un hommage appuyé au président de la République Kais Saied, un hommage qui semble vouloir cacher les tensions existantes entre les deux hommes qui apparaissent depuis une semaine.

Si le président de la République doit être consulté sur le choix des ministres de la Défense et des Affaires étrangères, il n’a théoriquement pas à intervenir pour les candidats aux autres postes

Tout commence le jour de l’annonce de la composition de l’équipe de Mechichi, rendue publique trois minutes avant l’écoulement du délai constitutionnel. 

On découvre que des proches du président ont été nommés à des postes importants. C’est notamment le cas de Taoufik Charfeddine, proposé pour le ministère de l’Intérieur, ex-coordinateur régional de la campagne de Kais Saied. 

Or, si le locataire de Carthage doit être consulté sur le choix des ministres de la Défense et des Affaires étrangères, il n’a théoriquement pas à intervenir pour les candidats aux autres postes. 

Deux autres éléments sont venus étayer cette accusation d’ingérence dans la composition de l’équipe gouvernementale. 

Tout d’abord, la liste envoyée par la présidence de la République au Parlement proposait Kamel Om Ezzine pour le ministère de l’Équipement alors que l’annonce de Mechichi parlait de Kamel Eddoukh. Ce cafouillage a été réglé par une missive de la présidence expliquant qu’il s’agissait d’une erreur imputable à Hichem Mechichi et le poste a été attribué à Kamel Eddoukh. 

Braquer les partis

Mais c’est le cas du ministre de la Culture qui a exacerbé les tensions. Son titulaire, Walid Zidi, un universitaire malvoyant, s’est fendu d’un texte sur Facebook où il faisait part de son intention de jeter l’éponge avant de… se rétracter. Une réaction qui n’a pas du tout plu à Hichem Mechichi qui a annoncé, lors d’un point presse, le limogeage de Zidi avant même le vote de confiance. 

Le jour-même, Kais Saied recevait le candidat au poste pour lui affirmer son soutien. Le bras de fer se soldera finalement par le maintien de l’universitaire dans l’équipe gouvernementale.

Le lundi 31 août, le président a convoqué les principaux partis du gouvernement Fakhfakh (Ennahdha – dont les ministres ont été démis mi-juillet, le Courant démocratique, le mouvement al-Chaâb et Tahya Tounes). 

D’après Mustapha ben Ahmed, président du groupe parlementaire Tahya Tounes, le chef de l’État aurait fait part de son refus de dissoudre l’Assemblée si le gouvernement Mechichi n’obtenait pas la confiance du Parlement – ce qui aurait impliqué le maintien du gouvernement Fakhfakh. Ce dernier étant démissionnaire, il ne pouvait plus faire l’objet d’une motion de censure. 

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Alors que le président pensait rassurer les partis (Ennahdha en tête), il a réussi à les braquer. Le soir même, le Conseil de la Choura d’Ennahdha décide de voter en faveur du gouvernement Mechichi, quitte à l’amender ultérieurement. 

Cette position est également partagée par le président de Qalb Tounes, Nabil Karoui, qui se montre plus explicite, parlant de censurer les ministres proposés par la directrice du cabinet de Kais Saied, Nadia Akécha. 

Seuls le bloc démocratique (regroupant les députés du Courant démocratique et du mouvement al-Chaâb) et le Parti destourien libre (PDL) d’Abir Moussi ont annoncé leur refus de voter pour le gouvernement Mechichi. La coalition al-Karama, fidèle alliée d’Ennahdha, a également annoncé son rejet de la nouvelle équipe, mais plusieurs de ses députés ont finalement voté, à main levée, en faveur du nouveau gouvernement.

Au moment de la démission d’Elyes Fakhfakh en juillet, Kais Saied était en position de force dans la guerre qui l’oppose aux partis en général et à Ennahdha et Qalb Tounes en particulier. 

Il a imposé son candidat contre l’avis de toutes les formations politiques et, profitant du discrédit de l’institution parlementaire, a obtenu d’avoir un gouvernement apartisan

Ce vote bouleverse les équilibres politiques. D’abord au Parlement, où le groupe démocratique, véritable colonne vertébrale du gouvernement Fakhfakh, passe dans l’opposition

Mais son désir de faire de Hichem Mechichi un simple exécutant s’est retourné contre lui. Dénonçant une dérive présidentialiste du régime, les poids lourds de l’Assemblée ont opéré un retournement d’alliance en attirant à eux le futur chef du gouvernement. 

Les dernières décisions de Fakhfakh, notamment le limogeage du président de l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC) Chawki Tabib, ont sans doute convaincu plus d’un député de la nécessité de changer le locataire de la Kasbah.

Ce vote bouleverse les équilibres politiques. D’abord au Parlement, où le groupe démocratique, véritable colonne vertébrale du gouvernement Fakhfakh, passe dans l’opposition. 

À l’inverse, Qalb Tounes, arrivé deuxième aux législatives, fera partie de la nouvelle majorité et devra céder la présidence de la commission des Finances. Le parti de Nabil Karoui assumera enfin son alliance avec Ennahdha. 

À la merci de l’Assemblée

Kais Saied va se retrouver isolé même s’il dispose de plusieurs outils constitutionnels pour s’imposer : il peut présider tous les conseils ministériels et donc avoir un droit de regard sur l’agenda gouvernemental. 

Il a également la possibilité de demander au Parlement de renouveler la confiance au gouvernement. 

Enfin, il peut déclarer l’état d’exception, qui lui donnerait d’importantes prérogatives. Cette « bombe » requiert l’aval d’une Cour constitutionnelle qui n’est toujours pas mise en place. Mais, paradoxalement, l’absence de cette juridiction suprême fait du président le seul interprète de la Constitution. 

Quant à Hichem Mechichi, en dépit du nombre d’élus qui lui ont accordé leur confiance, il ne dispose pas d’une réelle assise parlementaire. Il sera donc à la merci d’une Assemblée qui sait se montrer tatillonne et qui est prête à tous les marchandages même en pleine crise sanitaire.

Dans ces conditions, il va lui être difficile de réaliser de grandes réformes ou de s’attaquer aux sujets qui fâchent, tels que les affaires pouvant impliquer les cercles proches des groupes de la majorité. 

Alors que le pays s’enlise dans une grave crise économique, sociale et sanitaire, le bout du tunnel semble loin.

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