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Algérie : le hirak face à l’offre de « dialogue » du président Tebboune 

Le plus grand défi du nouveau président est de concrétiser son offre de « dialogue » avec un hirak qui refuse toute représentation, par crainte des risques de récupération et de manipulation 
Manifestation à Alger le 13 décembre 2019, au lendemain de la présidentielle (AFP)
Par MEE

Face à l’appel au dialogue formulé par le nouveau président algérien Abdelmadjid Tebboune vendredi 13 décembre, classe politique et activistes du hirak semblent partagés. 

« Nous avons reçu beaucoup de signaux positifs de certains activistes du hirak »

- Mohamed Lagab, porte-parole de l’ex-candidat Tebboune

« Je m’adresse directement au hirak, que j’ai à maintes reprises qualifié de béni, pour lui tendre la main afin d’amorcer un dialogue sérieux au service de l’Algérie et seulement l’Algérie », a déclaré le chef de l’État élu dans un contexte tendu, marqué par une très forte abstention et le refus des manifestants de cautionner la présidentielle. 

« Nous avons reçu beaucoup de signaux positifs de certains activistes du hirak », a précisé à une chaîne de télévision privée Mohamed Lagab, porte-parole de l’ex-candidat Tebboune.   

Une classe politique divisée

Ces annonces ont été rejetées par la majorité des activistes qui s’expriment sur les réseaux sociaux et qui refusent de reconnaître le vote, accusant les autorités d’avoir organisé une « mascarade électorale ». 

Du côté de la classe politique, certains partis de l’opposition tentent de saisir la perche tendue par le nouveau président. Abdallah Djaballah, président du parti islamiste Adala, a notamment appelé, le 15 décembre, Abdelmadjid Tebboune à organiser « un dialogue sur les réformes et les conditions permettant de protéger la volonté et les droits du peuple ».

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Ce parti qui a refusé de s’impliquer dans la présidentielle du 12 décembre s’engage aussi à « collaborer avec les acteurs de la société, partis politiques, personnalités du hirak, pour adopter un programme lisible et objectif à même de créer l’ensemble des conditions qui garantissent l’unité nationale, et traduisent une véritable démocratie inclusive ».

« Un régime illégitime »

Pour le Front des forces socialistes (FFS), l’offre du dialogue officielle ne serait pas crédible. « D’avance, nous mettons en garde le pouvoir contre la tentation d’organiser un pseudo-dialogue sous son égide dans une conférence non souveraine visant à valider une feuille de route préétablie avec un ordre du jour déjà fixé et des participants de son choix », a prévenu Ali Laskri, un des dirigeants du vieux parti d’opposition. 

« Comment un régime illégitime qui a refusé d’écouter la volonté populaire pendant des mois peut-il, alors que sa désignation officielle n’a pas été encore officialisée, appeler à dialoguer avec le hirak ? », se demande le politologue Raouf Farrah, membre du mouvement Ibtykar.

« Pour l’instant, le régime n’a aucune intention de le faire puisque le pouvoir réel est entre les mains de la hiérarchie militaire, et non son représentant civil. Le hirak devra être attentif à tous les ‘’pseudo-représentants’’ et à une frange de la classe politique actuelle, qui au nom de la nécessité politique et de la gravité de la crise, pourrait être tentée de jouer le jeu du régime », appuie l’activiste dans une tribune publiée sur les réseaux sociaux. 

La problématique de la représentation du hirak n’a cessé d’accompagner ce mouvement depuis son déclenchement le 22 février

Ce même texte pose la problématique de la représentation du hirak, un questionnement qui n’a cessé d’accompagner ce mouvement depuis son déclenchement le 22 février dernier.  

« Pour ceux qui appellent à structurer le hirak, celui-ci est un mouvement révolutionnaire. Il n’est pas une organisation politique. Sa forme horizontale évite notamment la cooptation de potentiels représentants et les possibles dissensions propres à tout mouvement structuré », écrit Raouf Farrah. 

Le piège de la structuration 

« Le défi auquel fait face aujourd’hui la société civile algérienne est la libération du champ politique, ou peut-être même sa reconstruction. Cette opération ne peut se réaliser à travers la constitution d’un parti politique mais nécessite plutôt une pression révolutionnaire pacifique permanente pour obliger le pouvoir à retourner à ses propres espaces délimités par les lois », écrit sur son mur Facebook le journaliste Nadjib Belhimer. 

Pour des activistes du hirak, « la structuration de ce mouvement – afin de désigner des ‘’représentants’’ face aux autorités – serait une manière de créer les conditions pour se mouler dans le schéma partisan. Ce dernier permettrait plus aisément au régime de récupérer de nouveaux leaders en distribuant postes et avantages ».    

« Certains se posent la question s’il faut ou non négocier avec le régime pour mettre fin à la crise. L’essentiel n’est pas le principe de la négociation ; l’essentiel, c’est l’objet de la négociation. Le FLN a bien signé les accords d’Évian avec la France coloniale. Maintenant que les généraux ont un représentant civil officiel en la personne d’Abdelmadjid Tebboune, il faut négocier avec lui la transition vers un État de droit », défend le politologue Laddi Lahouari.

Ce dernier pose néanmoins une série de « conditions » pour entamer de telles « négociations », à commencer par la « libération inconditionnelle de tous les détenus politiques » et la « dissolution de la police politique ». 

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