Amal, une adolescente dans l’ère post-Tahrir
Les premières scènes d’Amal se situent au Caire au début de l’année 2012. La révolution a eu lieu, Moubarak est tombé. Pourtant, après le drame du stade de Port-Saïd le 1er février 2012, au cours duquel l’armée a laissé dégénérer une rixe entre les supporters du club de football d’Al-Ahly et ceux du Masry SC, causant la mort de 73 personnes, les manifestations ont repris au Caire.
Ces « Ultras » d’Al-Ahly, qui comptent parmi les fers de lance de la révolution de Tahrir, continuent la lutte contre les abus de la police et de l’armée, après la victoire de Frères musulmans aux élections parlementaires, en janvier 2012.
Ces moments de grande tension sont exceptionnellement bien documentés par le réalisateur égyptien Mohamed Siam, qui s’introduit au milieu des groupes de protestataires. Dans ces scènes de confrontation avec la police, les mouvements de foules à l’énergie électrisante se mêlent aux histoires individuelles. Comme celle d’Amal, une adolescente aux allures de garçon manqué que le documentaire suit alors qu’elle est âgée de 15 à 20 ans.
Jeune fille cachée sous une capuche, Amal insulte les forces de l’ordre, chante des refrains révolutionnaires et joue au football. Le documentariste s’intéresse immédiatement à ce personnage féminin audacieux, qui s’oppose à la fois aux forces de l’ordre et aux manifestants masculins qui lui conseillent de rentrer chez elle pour sa sécurité.
Violences policières
Le réalisateur ne limite pas Amal à un symbole, lui offrant une voix off pour raconter son histoire. La jeune fille a été victime de violences policières et a failli perdre la vie lors des manifestations de la place Tahrir, début 2011. Le documentaire prend une tournure plus engagée et montre les images de son passage à tabac enregistrées par des caméras de sécurité. Partagées sur les réseaux sociaux, celles-ci étaient devenues virales à l’époque.
L’adolescente témoigne de coups et blessures et d’actes de torture du fait des forces de l’ordre : « genoux brisés », « cheveux arrachés » et « chocs électriques ».
« Des voyous payés pour tuer », commente-t-elle plus loin, prenant position en même temps que le réalisateur sur la responsabilité de Hosni Moubarak dans l’assassinat de manifestants en 2011.
Mohamed Siam avait déjà traité de la question de la violence policière dans son premier documentaire, Force majeure (2016), qui explorait le quotidien de la police du Caire à travers le témoignage sur trois ans d’un officier auxiliaire fidèle à Moubarak au moment où éclate la révolution.
Conflit générationnel
La dénonciation des crimes de la police et de la corruption du pouvoir est au centre des revendications d’Amal, qui, au moment des élections démocratiques de 2012, se refuse à choisir un candidat : « la peste ou le choléra », dit-elle.
La scène où elle s’oppose à sa mère au sujet des élections présidentielles de mai 2012 illustre la confrontation de deux générations : celle d’Amal, voulant faire table rase du passé et qui ne peut soutenir Ahmed Chafik, l’ancien Premier ministre de Moubarak, et celle de sa mère, qui votera Chafik par crainte de voir arriver au pouvoir les Frères musulmans.
La lucidité et la combativité d’Amal fascinent le réalisateur, qui la suit jusque devant les bureaux de vote. Trop jeune pour voter, elle questionne les passants avec humour et déclare que si les Frères musulmans étaient au pouvoir, ils feraient fuir les touristes.
Révolutionnaire représentant une jeunesse égyptienne éduquée et engagée, Amal est aussi une adolescente en lutte contre les traditions patriarcales de son pays.
La caméra de Mohamed Siam s’autorise à filmer une jeune fille devant son miroir, se coupant les cheveux, portant le voile à l’arrivée au pouvoir des Frères musulmans, puis le retirant à nouveau après le coup d’État des forces armées égyptiennes du maréchal Abdel Fattah al-Sissi en juillet 2013.
Elle est aussi une jeune fille en deuil d’un père qui l’a éduquée pour « faire ce qui lui plaît et ne pas avoir peur ». La fin du documentaire montre Amal plus détachée des affaires politiques, mais décidée à s’engager autrement : elle projette d’entrer dans la police pour « changer le système de l’intérieur ».
Amal a reçu en 2018 le prix de la première œuvre au festival Cinémed de Montpellier, le prix des droits humains du festival international du documentaire FIDADOC d’Agadir, au Maroc, et le prix du jeune public au festival international du documentaire Doc/Fest de Sheffield, au Royaume-Uni.
Sortie en France le 20 février 2019.
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