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Que reste-t-il de la révolution égyptienne ?

Malgré son immense capacité à réprimer, contenir et désinformer, la contre-révolution sera en fin de compte incapable de barrer la route de l’histoire

La révolution égyptienne du 25 janvier 2011 demeure l’un des plus grands événements politiques du siècle écoulé dans le monde arabe et peut-être même au-delà. Malgré toutes les critiques, il n’existe aucun événement comparable du point de vue de l’ampleur comme de l’impact.

Lorsque les Tunisiens ont réussi à renverser leur régime le 14 janvier 2011, leurs frères et sœurs égyptiens ont partagé leur joie de s’être débarrassés d’un tyran arabe. Dans le même temps, les Égyptiens ont éprouvé un certain ressentiment du fait qu’ils étaient eux-mêmes gouvernés par le même homme depuis 1981.

Ce que veut le peuple

Les réseaux sociaux et les chaînes satellitaires ont pu transmettre à la vitesse de l’éclair ce qui se passait en Tunisie et ont introduit les scènes de la révolution dans chaque foyer arabe, ébranlant ainsi une fausse stabilité fondée sur le pouvoir brut de la répression et de la force brutale.

La révolution tunisienne a débuté spontanément dans des zones rurales de la Tunisie profonde avant de se déplacer à Sfax, deuxième plus grande ville du pays, puis jusqu’à la capitale Tunis. La révolution a tout d’abord pris la forme de revendications socioéconomiques portant sur le développement et l’emploi, avant de prendre un caractère politique qui a produit le célèbre slogan « Le peuple veut renverser le régime ».

En réalité, le coup d’État contre la révolution égyptienne a commencé dès le premier jour de la révolution elle-même

En revanche, la révolution égyptienne est née au cœur de la capitale, Le Caire. Son épicentre était la place Tahrir, depuis laquelle elle s’est étendue aux autres grandes villes égyptiennes, qui ont ensuite créé leur propre place Tahrir, d’Alexandrie à Gizeh.

La révolution comportait dès le départ une revendication politique claire. La jeunesse égyptienne éduquée et sensibilisée sur le plan politique a été le moteur de la révolution du 25 janvier, associant une bonne organisation et un degré élevé de politisation. 

Malgré les efforts déployés par les hommes de Moubarak et le Conseil suprême des forces armées dans le but de les diviser et de les fragmenter en ouvrant des canaux de dialogue avec certains activistes tout en recourant à la violence et à l’intimidation pour mettre fin au sit-in de la place Tahrir, la jeunesse égyptienne a maintenu son unité et son objectif, à savoir la fin du régime de Moubarak.

« Les gens du ministère de l’Intérieur sont des voyous », indique une pancarte brandie au cours d’une manifestation organisée le 25 janvier 2016 (MEE)

Les images les plus célèbres de la révolution sont celles où l’on voit l’armée de voyous et de barbares de Moubarak attaquer des manifestants à dos de chameau, armés d’épées et de bâtons.

Ils n’ont pas réussi à disperser les manifestations, tandis que la jeunesse égyptienne est restée dans la rue jusqu’à ce qu’elle ait atteint son objectif. Celui-ci s’est finalement concrétisé le 12 février lorsqu’Omar Souleiman, alors chef des services de renseignement de Moubarak, a déclaré : « Le président Mohammed Hosni Moubarak a décidé d’abandonner le poste de président de la République. »

Une occasion en or

En réalité, le coup d’État contre la révolution égyptienne a commencé dès le premier jour de la révolution elle-même. Celui-ci a débuté avec la propagation de la notion trompeuse selon laquelle la révolution avait été produite conjointement par l’armée et le peuple, puis, immédiatement après le retrait de Moubarak, par la prise de pouvoir du Conseil suprême des forces armées, qui a géré la phase de transition.

L’armée égyptienne considérait la révolution du 25 janvier comme une occasion en or de se repositionner après s’être débarrassée de Moubarak, qui était devenu un fardeau pour l’armée.

Même lorsque l’armée a été forcée d’organiser des élections en mai 2012, celles-ci se sont avérées être une simple redistribution tactique du pouvoir au sein du même système de gouvernance que l’ancien, ce qui a permis à l’armée de conserver tous les leviers du pouvoir, même si elle a été contrainte d’opérer en coulisses.

Aussi sévères que soient la brutalité et la répression, le coup d’État du 3 juillet ne peut freiner l’avenir de l’Égypte et du monde arabe tout entier

À une époque où les forces politiques et révolutionnaires auraient dû travailler à la construction d’un front uni pour assurer le transfert du pouvoir à une autorité civile et le retour de l’armée dans ses casernes, ces dernières se sont plutôt préoccupées de la lutte pour le pouvoir et se sont positionnées en vue des élections qui se profilaient à l’horizon. 

Cette situation a été aggravée par la polarisation profonde entre les islamistes et les laïcs et par le fossé grandissant entre la jeunesse révolutionnaire et les Frères musulmans.

Le recours à des élections n’a pas été une erreur en soi, mais leur organisation sous la supervision de l’armée et dans le cadre imposé par l’armée n’a fait qu’approfondir les querelles politiques et mettre la révolution égyptienne sur le chemin d’une destruction assurée. 

Il est finalement devenu manifeste que l’armée avait seulement relâché son emprise sur le pouvoir après la révolution du 25 janvier sous la pression de la rue, mais qu’elle avait commencé à la resserrer progressivement jusqu’à ce que la révolution fût complètement étouffée par un coup d’État à part entière le 3 juillet 2013.

Une réalité sombre

Ce coup d’État était simplement la suite du coup d’État à plus petite échelle qui avait commencé avec l’annonce de la prise du pouvoir par la junte militaire après le retrait de Moubarak.

Aujourd’hui, la contre-révolution a resserré l’étau autour de la révolution du 25 janvier, assiégeant le peuple égyptien avec un appareil militaire brutal dirigé par Abdel Fattah al-Sissi. 

Des manifestants égyptiens agitent leur drapeau national sur la place Tahrir, dans le centre du Caire, le 30 janvier 2011 (AFP)

Mais que reste-t-il aujourd’hui de la révolution du 25 janvier ? Est-il vrai que ce qu’on a appelé à tort la « révolution du 30 juin », qui a mené au coup d’État du 3 juillet, a écrasé de façon irréversible la révolution du 25 janvier ?

Les observateurs de la scène égyptienne sont confrontés à une réalité sombre à tous les niveaux, de sorte que l’ère Moubarak apparaît aujourd’hui comme un âge d’or perdu. Néanmoins, la révolution du 25 janvier vit toujours dans l’esprit des Égyptiens et dans la conscience qu’ils ont désormais de leur droit à la liberté et à la dignité après avoir vu leur propre capacité à briser le mur de la peur et à renverser un dictateur.

Mais surtout, ils ont découvert qu’un despote qu’ils pensaient être un pharaon s’était avéré n’être rien de plus qu’un tigre de papier.

Il est vrai que l’Égypte a connu une énorme régression, mais au niveau de la conscience individuelle et collective, il n’est plus possible de revenir à la case départ.

La révolution du 25 janvier a introduit une nouvelle dynamique dans la réalité égyptienne et arabe, malgré la résistance farouche de l’armée et des forces contre-révolutionnaires. Tôt ou tard, cette nouvelle conscience politique et ce rejet de la dictature se traduiront par de véritables actes sur le terrain.

La contre-révolution, aussi capable soit-elle de réprimer, contenir et désinformer, sera en fin de compte incapable de barrer la route de l’histoire. La révolution du 25 janvier a été arrêtée sur sa lancée lorsqu’elle a accepté le mensonge selon lequel « l’armée et le peuple [étaient] une seule main ». 

Aujourd’hui, tout le monde sait que le cycle de la révolution achèvera inévitablement sa course avec la remise du pouvoir à des forces civiles qui exprimeront la volonté du peuple et avec le retour de l’armée dans ses casernes.

Aussi sévères que soient la brutalité et la répression, le coup d’État du 3 juillet ne peut freiner l’avenir de l’Égypte et du monde arabe tout entier.

- Soumaya Ghannoushi est une écrivaine britanno-tunisienne spécialisée en politique du Moyen-Orient. Vous pouvez la suivre sur Twitter : @SMGhannoushi

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : portrait de Khaled Saïd peint sur un fragment du mur de Berlin par Andreas von Chrzanowski (Twitter/@wustelbalad).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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