Au Liban, le mouvement de contestation ouvre des opportunités au féminisme
« Ce n’est pas le moment. » Voilà ce qu’ont entendu Zoulikha Tahar et Sawsan Zakzak, deux militantes des droits des femmes respectivement algérienne et syrienne qui se sont exprimées samedi dernier lors du premier Festival international des féminismes, quatre jour de débats, ateliers et performances artistiques pour dresser un état des lieux des féminismes à travers le monde, et en particulier dans les pays arabes.
Une rhétorique du « il y a plus urgent à faire » qui est reprise à chaque grand événement politique où les femmes veulent prendre part afin d’ajouter leurs listes de revendications à celles qui sont plus communes à l’ensemble de la société.
Au Liban, le rôle de la femme a évolué tout au long des cinq mois de manifestations antigouvernementales qui secouent le pays. Au début, les femmes se contentaient d’empêcher les violences, formant des cordons sécuritaires entre la police et les manifestants.
Rapidement, elles se sont détachées de ce rôle protecteur, prenant part à la révolution comme tout homme présent.
Alors que les violences de ces précédentes semaines, commises par une jeunesse désespérée face à ce qu’elle perçoit comme la violence – cette fois économique et politique – du système, ont vu les familles quitter les manifestations, les femmes sont restées, affrontant en première ligne la police au même titre que les hommes.
Leurs actions sont cependant plus retentissantes, plus relayées, à l’image de celle de Sanaa el-Cheikh, une jeune Tripolitaine devenue une icône pour avoir grimpé sur le barrage en métal érigé par les forces de sécurité.
Une nouvelle ère
Les femmes libanaises ont forcé leur présence dans la rue, elles se sont détachées de leur image et ont profité de ce « nouveau Liban » en construction pour tenter d’effacer le machisme de la législation du pays.
La Libanaise a en effet de quoi manifester. Selon la Banque mondiale, elle ne jouit que de 58,5 % des droits dont jouit un homme.
La loi ne lui permet notamment pas de transmettre sa nationalité à ses enfants. Dès les premiers jours de manifestation, une tente rassemblant des signatures pour la passation de nationalité d’une mère à sa fille a vu le jour.
Il y a toutefois d’autres questions moins évoquées mais tout aussi importantes. Au niveau administratif, c’est l’homme qui est considéré comme le chef de famille. Une femme ne peut ainsi pas ouvrir un compte en banque au nom de l’un de ses enfants. Les femmes sont rattachées au registre civil de leur père, puis de leur mari.
En cas de divorce, c’est alors le statut personnel (régi par les dix-huit différentes confessions que compte le pays) qui prend le dessus. La femme, selon la législation libanaise, a la garde de ses enfants jusqu’à environ 12 ans. Elle est considérée par la loi comme étant plus apte à élever sa progéniture, la rattachant naturellement à son rôle de mère.
Par la suite, le père peut demander la garde exclusive et elle lui sera rarement refusée.
Si une femme se remarie, quelle que soit sa religion, elle perdra, dans la plupart des cas, la garde de ses enfants.
Des injustices qui sont soulevées à de nombreuses reprises par les manifestantes, qui voient en cette « thawra » (révolution) une possibilité d’avancer leurs pions, en vue d’une nouvelle société égalitaire.
La politique, un autre plafond de verre
Dans la vie politique, la femme est quasiment absente. Elles sont 6 députées sur 128 à siéger au Parlement, ce qui représente moins de 5 % des élus. Bien que six femmes soient ministres dans le gouvernement Diab, elles ont été victimes de sexisme.
L’immense majorité de la classe politique demeure dominée par les hommes.
« Ce sont eux qui restent en place pendant des décennies et qui pillent le pays », a déclaré George Azzi, cofondateur de l’ONG Helem, qui lutte pour une reconnaissance des communautés LGBT+ dans le pays, durant le Festival des féminismes.
Pour certains Libanais qui souhaitent un changement radical, le coupable est tout trouvé : les institutions religieuses. Ce sont elles qui régissent les statuts personnels et accordent si peu de droits aux femmes, en disant se baser sur les livres saints. Ce sont elles également qui se mêlent à la vie politique du pays.
Depuis le début du mouvement de protestation, les marches pour les femmes, pour leurs droits, ont eu un retentissement énorme. La dernière en date a été surnommée « la plus belle marche de la révolution » sur les réseaux sociaux. Une autre est prévue ce dimanche 8 mars pour la Journée internationale de la femme.
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