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Erdoğan veut relancer la production de Cannabis… et les islamistes turcs apprécient l’idée

Le président turc espère que la relance du secteur préfigurera une période faste pour l’économie et l’environnement de son pays
Des sacs de haschisch et de marijuana saisis par les autorités turques au cours d’une opération dans la région sont exposés à Diyarbakır, une ville du sud-est de la Turquie, le 24 mai 2013 (AFP)

ISTANBUL, Turquie – Lorsque des responsables municipaux venus de toute la Turquie sont arrivés mercredi 9 janvier au complexe présidentiel pour assister à un discours du président Recep Tayyip Erdoğan, ils ne s’attendaient pas à ce qu’il parle de Cannabis.

Ils assistaient à ce symposium pour discuter d’une question tout à fait différente : le rôle des administrations locales dans le nouveau système présidentiel.

« Nous avons détruit le Cannabis dans ce pays à cause de certains ennemis déguisés en amis »

– Recep Tayyip Erdoğan

Toutefois, Erdoğan, qui est connu pour changer le contenu de ses discours au moment de les prononcer malgré le nombre important de rédacteurs de discours dont il dispose, a emprunté un chemin différent.

À la surprise des responsables réunis, il a commencé à se plaindre des sacs en plastique et de la nécessité de protéger l’environnement. Sa solution ? Le Cannabis Sativa L.

« Je me souviens que ma mère tricotait des sacs à provisions que nous pouvions utiliser pour faire nos courses. Vous ne les jetez pas tout de suite et refaites vos courses avec. C’est écologique, même quand vous voulez les jeter », a-t-il déclaré.

« Ils sont faits en Cannabis. »

Erdoğan a révélé que le ministère de l’Agriculture et des Forêts était sur le point de relancer l’industrie de la culture du Cannabis dans le but d’encourager la production d’une série de produits locaux grâce à de nouvelles incitations. 

« Nous avons détruit le Cannabis dans ce pays à cause de certains ennemis déguisés en amis », a déclaré le président turc.

Des soldats turcs prennent position dans un champ de marijuana lors d’une opération dans le quartier de Lice de la ville de Diyarbakır, dans le sud-est du pays, le 8 juillet 2013 (AFP)

Des explications contradictoires expliquent la raison de la diminution de la production de Cannabis en Turquie. 

Certains, comme le journaliste et écrivain Yunus Ekşi, expert du Centre d’études stratégiques eurasiennes (ASAM) qui s’est entretenu avec des médias turcs la semaine dernière, estiment que la politique américaine a contraint la Turquie à mettre un terme à ses activités de culture du Cannabis.

« Le gouvernement américain, en tirant parti de sa puissance financière, a fait pression sur d’autres pays pour qu’ils retirent les médicaments à base de Cannabis de leur codex national », a-t-il déclaré à l’agence russe Sputnik.

« Après que les États-Unis ont interdit 37 médicaments à base de Cannabis, les pays européens ont suivi leur exemple. La Turquie a également exclu les produits à base de Cannabis de son système médical dès 1940. » 

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La rhétorique d’Erdoğan à ce sujet suggère que son gouvernement est également d’accord avec cette théorie.

L’opposition turque affirme quant à elle que la politique du Parti de la justice et du développement (AKP), au pouvoir, est l’une des raisons fondamentales de la faible production de Cannabis dans le pays.

Le vice-président du Parti républicain du peuple (CHP), parti d’opposition, Orhan Sarıbal, a déclaré à l’agence russe Sputnik que l’industrie de la culture du Cannabis avait été détruite par le gouvernement en raison d’une réglementation agricole bancale.

« Elle a été en grande partie détruite avant ce gouvernement en raison du manque d’incitations et de la hausse des coûts. Cependant, elle a totalement cessé d’exister grâce au parti au pouvoir », a-t-il affirmé.

Réaction directe

Depuis cette annonce, la situation a évolué rapidement.

Jeudi dernier, le ministre de l’Agriculture, Berat Pakdemirli, a dévoilé le projet. Il a déclaré que le gouvernement avait déjà autorisé la production de Cannabis dans dix-neuf provinces et qu’il était prévu d’augmenter le nombre de fermes en fonction de la demande. 

« L’Institut agricole de la mer Noire Samsun et l’Université Ondokuz Mayıs mènent un projet de recherche sur le Cannabis. Nous approuverons de nouveaux sites de production de Cannabis biologique », a-t-il déclaré.

Le gouverneur de Kırklareli Osman Bilgin a emboîté le pas plus tard dans la journée.

« Il y a 2,5 millions de plants de Cannabis qui poussent naturellement dans notre ville. Nous ne les brûlerons plus. Avec eux, nous contribuerons à l’économie », a-t-il déclaré, ajoutant que cette récolte pourrait être utilisée pour la fabrication de cordes de bateau.

Les déclarations de Bilgin ont rapidement été tournées en ridicule sur Twitter, les internautes moquant ses affirmations selon lesquelles les plantes de Cannabis n’avaient pas été plantées par des agriculteurs mais poussaient naturellement. Un Twitto a plaisanté en disant que c’était à cause de ces plantes que le taux de criminalité à Kırklareli était très bas.

Un homme porte une pancarte pour la légalisation de la marijuana lors d’un rassemblement dans le district de Bakırköy dans le cadre de la manifestation du 1er mai à Istanbul (AFP)

Cela peut paraître surprenant, mais l’idée de relancer l’industrie du Cannabis a suscité un vif soutien de la part des médias turcs de tendance plus islamiste.

Dimanche, le quotidien Diriliş Postası a publié une couverture complète du sujet, intitulée « La production de Cannabis est un sujet national. » L’article comprenait une très grande infographie exposant les avantages du Cannabis selon le journal, du secteur de l’énergie à l’industrie textile.

L’article accusait également les « impérialistes occidentaux » d’assécher le sol turc « partout où ils mettent les pieds » afin d’empêcher le travail agricole dans le pays.

Abdurrahman Dilipak, l’un des écrivains islamistes les plus en vue qui défend la légalisation de la production de Cannabis et de son utilisation à des fins médicales, a écrit une chronique dans le journal Yeni Akit le même jour où la couverture de Diriliş Postası a été publiée.

Dilipak a fait valoir que le Cannabis ne crée qu’une dépendance psychologique et est sans danger par rapport à l’héroïne et à d’autres drogues, et qu’il ne devrait donc pas être traité comme tel.

« L’administration turque de la sécurité sociale [SGK] devrait produire des médicaments à base de Cannabis et les distribuer gratuitement sous la supervision d’un médecin », a-t-il déclaré, ajoutant que de cette manière, le Cannabis ne serait plus aux mains du crime organisé qui en retire des bénéfices.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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