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L’Afrique du Sud bloque les exportations d’armes vers plusieurs pays arabes

L’instance sud-africaine qui octroie les licences d’exportation d’armement a suspendu celles accordées aux entreprises locales qui approvisionnent notamment l’Arabie saoudite ou les Émirats arabes unis, pourtant de gros clients de Pretoria
Des officiels de plusieurs grands groupes d’armement sud-africains, dont le consortium semi public Denel et Rheinmetall Denel Munition (RDM), ont déclaré que le refus des deux pays arabes d’appliquer une clause contractuelle provoque un refus systématique de licences d’exportation depuis mars 2019 (Denel)
Par Akram Kharief à ALGER, Algérie

Que s’est-il passé dans la tête des membres du National Conventional Arms Control Committee (NCACC) pour décider de suspendre les exportations d’armes vers de nombreux pays arabes, principalement l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis (EAU), Oman et l’Algérie ? 

Cet organisme, qui dépend du Parlement sud-africain et qui accorde les licences d’exportation aux entreprises locales d’armement et de technologies militaires, a décidé, le 22 novembre, de suspendre les exportations d’armes vers l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.

En cause : une clause contractuelle permettant à l’organisme d’effectuer des inspections inopinées chez le client pour s’assurer qu’il n’y a pas eu de réexportation vers une tierce partie ou de tentative de copie locale de la technologie sud-africaine.

L’Arabie saoudite et les Émirats représentent un tiers du volume des exportations d’armes de Pretoria

Des officiels de plusieurs grands groupes d’armement sud-africains, dont le consortium semi public Denel et Rheinmetall Denel Munition (RDM), ont déclaré à Reuters que le refus des deux pays arabes d’appliquer cette clause provoque un refus systématique de licences d’exportation depuis mars 2019.

Un troisième grand groupe privé, probablement Paramount, a aussi fait part de difficultés à exporter vers la région, qui représente le plus gros volume d’exportation pour l’industrie sud-africaine d’armement.

L’Arabie saoudite et les Émirats représentent un tiers du volume des exportations d’armes de Pretoria. Riyad, toujours empêtrée dans la guerre qu’elle mène au Yémen, dépend grandement de l’approvisionnement en munitions de l’Afrique du Sud.

Des Yéménites défilent avec les drapeaux du sud du Yémen, des Émirats arabes unis et de l’Arabie saoudite, à Aden, le 5 septembre 2019 (AFP)

Les Émirats, quant à eux, ont été une bouffée d’oxygène pour la recherche et développement des entreprises sud-africaines en finançant de nombreux projets dans les tiroirs depuis des années et en intégrant les sociétés privées et publiques sud-africaines dans le complexe militaro-industriel naissant aux Émirats.

À titre d’exemple, l’ensemble des missiles produits aux Émirats ont été conçus sur la base de technologies sud-africaines. Même chose pour les engins blindés dans la région qui sont le fruit de l’expérience sud-africaine en la matière.

Cette décision impactera lourdement l’industrie de défense émiratie et les différents projets liant des entreprises comme Nimr et Tawazun qui fabriquent de nombreux systèmes et véhicules blindés en commun. Ainsi que les projets saoudiens dans le domaine de la fabrication militaire.

« Une faille de sécurité majeure »

Le 8 novembre, la Saudi Arabian Military Industries (SAMI) a mis sur la table un milliard de dollars pour prendre 49 % de Rheinmetall Denel Munition (RDM), fabricant d’obus et de munitions de petit et moyen calibre et faire un transfert de production vers l’Arabie saoudite.

Une semaine plus tard, des officiels de Denel avaient été accusé d’avoir divulgué des informations confidentielles vers l’Arabie saoudite en se faisant recruter par la SAMI. Ces révélations avaient provoqué la colère du président sud-africain, Cyril Ramaphosa, qui avait instruit la Special Investigating Unit (SIU) afin d’enquêter sur ce que le président a appelé une « faille de sécurité majeure contre la République ».

« L’Afrique du Sud doit repenser cette disposition »

- Darren Olivier, spécialiste de la défense et de la sécurité en Afrique du Sud

Contacté par Middle East Eye, Darren Olivier, spécialiste de la défense et de la sécurité en Afrique du Sud a expliqué que cette décision était à reconsidérer par les autorités. « S’il est nécessaire que l’Afrique du Sud mette en place des mécanismes pour empêcher le détournement d’armes exportées au profit de tiers, à la fois en raison de ses lois nationales et de la ratification du Traité sur le commerce des armes, il n’est pas clair que l’application d’une obligation stricte de non-notification sur place doive nécessiter l’inspection des sites militaires d’un client pour atteindre cet objectif », commente-t-il en précisant que par ailleurs, peu de pays, voire aucun, ne seraient « disposés à accorder ce niveau d’accès de leurs sites les plus sûrs et les plus stratégiques aux inspecteurs sud-africains qu’ils ne peuvent pas contrôler ».

« C’est un problème, mais c’est quelque chose qui peut tout aussi bien être contrôlé par d’autres méthodes de renforcement de la confiance et par le refus d’exportations futures à destination de tout pays dont il a été prouvé qu’il avait réexporté illégalement des armes ou les avait utilisées de toute autre manière en violation des accords convenus. L’Afrique du Sud doit repenser cette disposition. »

Selon les sources sud-africaines de Reuters, Oman et l’Algérie ont aussi vu leurs importations d’armes suspendues pour ne pas avoir répondu aux sollicitations d’inspection de la NCACC.

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L’Algérie a été un grand acheteur d’équipements militaires sud-africains durant les années 1990 et jusqu’au changement de chef d’état-major. Le précédent, Mohamed Lamari, avait une relation personnelle particulière avec Nelson Mandela, dont il fut l’instructeur militaire en 1962. Cette amitié avait débouché sur un accord de défense signé au début des années 2000 et une grande coopération.

Aujourd’hui, les achats d’armes sud-africaines par l’Algérie se limitent aux missiles qui équipent les hélicoptères, les missiles antiaériens qui se trouvent sur les frégates Meko et quelques bombes guidées. 

Parfois, l’Algérie a recours aux technologies sud-africaines en passant par d’autres pays comme les Émirats ou l’Ukraine : ce fut le cas pour la rénovation des hélicoptères Mi 24 MKIII algériens réalisée en Ukraine il y a trois ans et qui avait impliqué des ingénieurs sud-africains et des équipements de ce pays.

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