Le cinéma moyen-oriental, star du Festival international du film de Berlin
Personne n’a été surpris lorsque le Festival international du film de Berlin, qui débute ce jeudi, a annoncé que son édition 2019 serait la dernière présidée par Dieter Kosslick, depuis longtemps son directeur.
Depuis plusieurs années, le festival, communément appelé Berlinale, est sous le feu de mauvaises critiques.
Bien qu’il s’agisse d’un des plus grands événements de l’industrie cinématographique au monde, les réalisateurs gardent leurs films pour les projeter en avant-première lors d’événements plus propices aux Oscars tels que le festival de Cannes (en mai), celui de Venise (fin août) ou même de Toronto (en septembre).
Berlin n’est pas non plus un festival où les nouveaux studios tels que Netflix s’efforcent de présenter leurs films : Amazon a projeté Chi-Raq de Spike Lee, lors de la Berlinale 2016, après une première diffusion en ligne aux États-Unis. Hormis la catégorie du meilleur film étranger, ce festival n’influence pas la saison de remise des prix.
Sous la direction de Dieter Kosslick, la Berlinale s’est ouvertement politisée, tandis que la qualité des films en compétition s’est mise à baisser de manière constante
Dans sa quête ardente d’équilibre entre glamour et art, le festival a accueilli de nombreux navets américains, tels que Monuments Men (2014) et Cinquante nuances de Grey (2015), aux côtés de dizaines de longs métrages provocateurs d’art et d’essai du monde entier.
Sous la direction de Kosslick, à la tête du festival depuis 2001, la Berlinale s’est ouvertement politisée, tandis que la qualité des films en compétition, se bousculant pour remporter l’Ours d’or, s’est mise à baisser de manière constante.
Mais le plus néfaste reste le foisonnement des sections et le volume général de films.
Au-delà de la compétition principale, la sélection officielle des premières mondiales et internationales comporte désormais plusieurs sections additionnelles notamment Panorama, Forum, Forum Expanded, Generation, Perspektive Deutsches Kino, Culinary Cinema et Berlinale Shorts.
La Berlinale Series, réservée aux séries télé, s’y ajoute cette année, faisant de Berlin le plus grand festival compétitif, avec plus du double de sélections que ses rivaux de Cannes et Venise.
Perdus dans la programmation
Le cinéma émergent du Moyen-Orient a fortement tiré parti de cette expansion. Les carrières des réalisateurs du Moyen-Orient tels que le Palestinien Hany Abu-Assad (nommé aux Oscars pour Paradise Now, 2005) et l’Iranien Asghar Farhadi (primé aux Oscars pour Une Séparation, 2011) se sont faites à Berlin.
Mais même si plusieurs films ont sans aucun doute bénéficié de leur grande exposition, bien d’autres ont été enterrés, perdus dans une programmation bouffie qu’aucun organe de presse, aucune société de production, ni aucun distributeur ne peut couvrir en intégralité.
Pour un réalisateur du Moyen-Orient à Berlin, diffuser un film pour la première fois hors compétition ou lors d’un gala spécial s’avère un pari risqué : à en juger par les rares critiques des films du Moyen-Orient ces dernières années, la plupart sont négligés dans la course médiatique pour couvrir les titres majeurs.
Cependant, contrairement aux années précédentes – on peut y voir un éventuel signe de changement – la sélection du Moyen-Orient de cette 69e édition de la Berlinale est particulièrement intrigante : elle comporte des films expérimentaux, des allégories politiques, des documentaires et un classique redécouvert.
C’est également la programmation la plus resserrée depuis des années.
Le retour de la Turquie
Le provocateur turc Emin Alperfigure en tête de cette liste avec le seul film en compétition du Moyen-Orient.
A Tale of three sisters, son troisième long métrage, est un drame choral mettant en scène trois sœurs d’un village isolé et appauvri de l’Anatolie centrale des années 1980, envoyées en ville pour travailler comme domestiques. Elles finissent par rentrer chez leur père après avoir déçu leurs employeurs, profitant de cette réunion pour trouver de la force en elles-mêmes et dans les autres pour continuer.
Le cinéaste turc le plus politique en activité à ce jour, Alper, s’est fait connaître par ses allégories politiques, Derrière la colline (2012) et Frenzy (2015), qui ont exploré la manière dont l’État utilise différentes tactiques fondées sur la peur pour forcer ses citoyens à se soumettre.
Il a ensuite flirté avec la controverse en raison de son soutien public aux manifestations de Gezi en 2013 puis de la signature en 2016 de la pétition demandant la libération des universitaires raflés pour avoir dénoncé les attaques contre les Kurdes du régime d’Erdoğan. Ses actions, a-t-il souligné dans plusieurs interviews, l’ont exclu des financements publics, le poussant à rechercher des investissements privés pour son dernier projet (une coproduction turco-germano-néerlando-grecque). Reste à voir dans quelle mesure son nouveau drame peut faire avancer son agenda politique.
Le deuxième film turc de la sélection, qui apparaît dans la section Forum, est Belonging, de Burak Çevik, un thriller expérimental sur un homme qui prévoit le meurtre de sa future belle-mère.
Adoptant un récit non linéaire inspiré par l’humeur plutôt que par une intrigue tangible, le deuxième film de Çevik pourrait s’avérer plus fructueux que son début décevant, The Pillar of salt. Projeté pour la première fois l’année dernière dans la même section de la Berlinale, il avait peiné à faire d’autres festivals.
Est-ce le moment révélateur du Soudan ?
L’auteur libanais Ghassan Salhaba été vu pour la dernière fois à la Berlinale en 2015 avec sa fiction très acclamée, La Vallée. Cette année, il revient au Forum – qui s’oriente vers le film expérimental – avec An Open rose, un collage essayiste qui utilise les lettres écrites en prison par la théoricienne marxiste et éphémère dirigeante révolutionnaire germano-polonaise Rosa Luxemburg, pour examiner la militarisation du Moyen-Orient au XXe siècle.
Salhab est connu pour ses traités contemplatifs, cassant les genres définis, qui lui ont valu un panel d’admirateurs modeste mais dévoué. An Open Rose, sa deuxième œuvre factuelle consécutive, devrait poursuivre sa fascinante expérimentation thématique et formelle de mi-carrière.
Toutefois, le Soudan pourrait très bien se révéler comme la plus grande découverte du Moyen-Orient de cette édition. Ce nouveau cinéma arabe fait ses débuts dans un festival international majeur avec deux documentaires réalisés par des cinéastes débutants : Khartoum offside de Marwa Zein, présent dans la section Forum, et Talking about trees de Suhaib Gasmelbari, dans la section Panorama pick.
Le premier est une vue panoramique de l’actuelle ville de Khartoum – une ville rarement montrée au cinéma – du point de vue d’une jeune entrepreneuse qui souhaite ouvrir un bar dont les revenus pourraient lui permettre de constituer la première équipe de football du pays pour la Coupe du monde féminine.
Le second, quant à lui, retrace l’histoire inconnue du cinéma soudanais à travers l’histoire de quatre amis qui tentent de faire revivre un lieu ancien.
Buzz autour d’un mystère surnaturel
Au cours des dernières années, l’Iran a eu une présence modeste à Berlin – et cette année ne diffère en rien, avec un seul long métrage représentant le cinéma jadis puissant dans toutes les sections. S’écartant du réalisme social emblématique du pays, la nouvelle venue, Suzan Iravanian, suscite l’engouement pour sa curiosité présentée au Forum, Leakage, un mystère surnaturel à propos d’une quinquagénaire de la classe moyenne dont le corps perd de l’huile après la disparition de son mari.
Récit métaphorique sur le chaos et l’incertitude qui entoure la société iranienne, Leakage pourrait s’avérer être le coup de théâtre surprise du Moyen-Orient.
Autre curiosité majeure : le classique oublié de 1974 de Mostafa Derkaoui, About some meaningless event, un docu-fiction sur un groupe de cinéastes interrogeant les passants de Casablanca sur leurs attentes en matière de cinéma marocain, pour ensuite se concentrer sur un travailleur plein de ressentiment qui tue accidentellement son supérieur.
Enquête sur le rôle du cinéma et de l’art dans la société, cet effort militant, principalement financé par la vente de tableaux de plusieurs peintres contemporains, avait été interdit au Maroc et avait pratiquement disparu jusqu’à la découverte d’un négatif dans les archives cinématographiques espagnoles, Filmoteca de Catalunya, en 2016 et sa restauration par la suite.
La coproduction néerlando-danoise, Western Arabs, du réalisateur danois Omar Shargawi est un récit intime sur l’épineuse relation entre le réalisateur et son fougueux père palestinien qui n’a jamais réussi à s’assimiler pleinement à la société danoise. Tourné sur douze ans, Western Arabs marque un autre chapitre de la vaste œuvre de Shargawi sur la masculinité blessée et l’identité raciale conflictuelle.
Et bien sûr, il y a The Golden Glove, candidat surprise du réalisateur germano-turc, Fatih Akın. Il a toujours eu un don pour intégrer des personnages et des thèmes liés à son passé turc dans la plupart de ses films – Julie en juillet, De l’autre côté, The Cut, Crossing the Bridge et In the Fade, qui lui a valu un Golden Globe.
Dès le début, The Golden Glove semble être une histoire purement allemande : une adaptation du roman policier le plus vendu de Heinz Strunk en 2016, sur Fritz Honka, le tueur en série notoire qui a démembré et assassiné plusieurs prostituées à Hambourg entre 1970 et 1975. Conte macabre sur la déviance sexuelle, la dépravation sociale et la séparation dans les années 1970, le premier film candidat d’Akın à la Berlinale depuis son succès en 2004, Head-On, qui lui a valu l’Ours d’or, est également une étude du sexisme, du racisme et de la cupidité réprimés qui se cachent sous la façade civile d’un peuple obligé de réprimer sa haine profonde pour l’autre différent.
En ce sens, The Golden Glove pourrait s’avérer être le travail le plus urgent et le plus pertinent pour la réalité du Moyen-Orient cette année à Berlin.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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