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Turquie : les nouveaux cas de VIH ont grimpé en flèche ces dix dernières années

Les experts attribuent cette hausse aux tabous sociétaux et à un manque d’éducation en matière de santé sexuelle, suggérant en outre que le nombre réel de cas serait bien plus élevé
Des activistes turcs ont organisé une manifestation pour la Journée mondiale de lutte contre le SIDA, le 1er décembre 2010, devant le monument Atatürk à Istanbul (AFP)
Par Ragip Soylu à ANKARA, Turquie

Le nombre de personnes ayant été dépistées séropositives a été multiplié par six au cours des dix dernières années en Turquie, selon des statistiques publiées la semaine dernière par le ministère de la Santé.

En novembre, le ministère recensait 22 345 personnes séropositives pour le VIH. Dans un pays de 80 millions d’habitants, ce nombre représente seulement 0,0027 % de la population – mais contraste fortement avec les 3 671 cas recensés en 2009

Le nombre de cas de SIDA – dernier stade du VIH si celui-ci n’est pas traité – recensés ont augmenté de près de 250 % pendant cette période, passant de 771 cas en 2009 à 1 861 cette année.

Certains experts médicaux affirment que la Turquie pourrait détenir le plus fort taux d’augmentation des nouveaux cas de VIH au monde.

Selon Necla Tülek, une microbiologiste clinicienne citée par CNN Türk, les experts estiment qu’au moins 25 000 personnes sont infectées par le VIH dans le pays – un nombre qui serait bien plus élevé selon d’autres estimations.

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« Nous nous attendons à ce que ce nombre augmente vers la fin de cette année. Alors que le VIH décline dans le monde, il progresse en Turquie ainsi qu’en Europe de l’Est et au Moyen-Orient », a-t-elle déclaré.

Pour Canberk Noyan Harmanci, de la Positive Living Association, une ONG stambouliote dont la mission est d’informer le public sur le VIH, l’augmentation du nombre de nouveaux cas est probablement due en partie au manque d’éducation sur la question.

D’après lui, environ 40 millions de citoyens turcs – presque toutes les personnes sexuellement actives dans le pays – n’ont jamais reçu d’éducation en matière de santé sexuelle, notamment sur les maladies et infections sexuellement transmissibles et la façon d’avoir des relations sexuelles sans risque.

« Nous n’avons pas [de données] sur la probabilité ou la fréquence des maladies sexuellement transmissibles [MST], mais il semble assez habituel dans ce cadre de constater une augmentation de la fréquence des MST – pas uniquement le VIH, mais les choses comme la syphilis, qui est quasiment éradiquée [dans le monde] », explique-t-il à MEE.

« Nous devons accroître la sensibilisation, en commençant au sein des établissements d’enseignement »

- Serhat Ünal, Université Hacettepe

Grâce aux progrès de la médecine, les patients séropositifs peuvent maintenir une charge virale indétectable et non transmissible avec un traitement, et empêcher le VIH d’évoluer en SIDA. Bien que le VIH ne soit plus une condamnation à mort, comme c’était le cas dans les années 1980 et 1990, de nombreuses personnes n’ont pas accès à un traitement et risquent de propager la maladie en raison du faible taux de dépistage des MST.

Les facteurs culturels jouent un rôle majeur dans ce problème. Parler de sexe demeure généralement tabou au sein de la société turque, et le VIH reste associé dans la conscience publique aux relations homosexuelles ou à la prostitution.

Par ailleurs, dans un sondage réalisé par DTK International en 2016, 45 % des personnes sexuellement actives interrogées ont répondu qu’elles n’avaient jamais utilisé de préservatifs, tandis qu’un tiers ont également dit qu’elles avaient honte d’acheter des préservatifs dans les magasins.

« [En tant que société], présupposer que nous ne faisons l’expérience du sexe que dans les liens du mariage avec une fidélité totale n’est pas compatible avec la réalité », relève Harmanci – ajoutant que ce postulat a laissé de nombreuses personnes, en particulier les femmes mariées, « encore plus vulnérables ».

Ces dernières années, le ministère turc de la Santé a pris certaines mesures, telles que la sensibilisation par le biais de canaux formels d’éducation. Le ministère offre déjà des tests de dépistage ainsi que des soins gratuits aux patients atteints du VIH et du SIDA qui sont couverts par l’assurance maladie générale, un système de santé public universel en Turquie.

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Cependant, les experts affirment que le gouvernement turc et la société civile doivent prendre d’autres mesures pour lutter contre l’épidémie. Le docteur Serhat Ünal, professeur à l’Université Hacettepe à Ankara, a déclaré au journal Milliyet que le nombre de centres médicaux fournissant des tests de dépistage des MST anonymes et gratuits devait augmenter.

« Nous devons accroître la sensibilisation, en commençant au sein des établissements d’enseignement », a-t-il déclaré.

Harmanci est du même avis, ajoutant que les écoles, les médias traditionnels, les réseaux sociaux et autres canaux de communication devaient être utilisés pour informer le public turc sur la santé sexuelle. « Les préservatifs doivent être facilement accessibles et gratuits pour les communautés clés », ajoute-t-il.

Lors d’une récente conférence sur le VIH, la vice-ministre turc de la Santé Emine Alp Meşe a annoncé que le ministère avait mis en place un conseil consultatif sur le VIH/SIDA et avait préparé un « programme national de lutte contre le VIH/SIDA pour la période 2019-2024 » publié en juillet.

Les militants affirment que même si le projet du ministère sur le VIH – préparé en consultation avec des ONG et des médecins des secteurs public et privé – est raisonnable, il exigerait quand même des mises à jour fréquentes et une solide mise en œuvre.

« Plus important encore, il devrait entrer en action », déclare Harmanci. « Et les fonds nécessaires à ces actions devraient être fournis par des organismes nationaux et internationaux. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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