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Liban : le mariage civil de nouveau au cœur d’une polémique  

La nouvelle ministre de l’Intérieur, Raya el-Hassan, a ravivé une polémique ancienne en s’affirmant favorable à un mariage civil facultatif au Liban, suscitant une levée de boucliers des institutions religieuses
Des Libanais manifestent contre l’interdiction du mariage civil devant le ministère de l’Intérieur à Beyrouth, le 23 février 2019 (AFP)
Par Jenny Saleh à BEYROUTH, Liban

Pour l’une de ses premières interviews en tant que ministre de l’Intérieur du nouveau gouvernement Hariri, Raya el-Hassan a frappé fort. Le 15 février, elle a fait part de sa volonté « d’ouvrir la porte au dialogue pour faire reconnaître le mariage civil facultatif au Liban », au cours d’un entretien accordé à la chaîne Euronews.

« Personnellement, je suis pour qu’il y ait un cadre régulant le mariage civil », a déclaré la ministre originaire de Tripoli, elle-même de confession sunnite. « Je vais essayer d’ouvrir une porte pour un dialogue sérieux et profond. Je voudrais lancer le dialogue avec toutes les instances religieuses et autres, avec le soutien, je l’espère, du Premier ministre Saad Hariri, pour que le mariage civil soit reconnu. »

Chaque année, des centaines de couples libanais se rendent sur l’île de Chypre pour contracter une union civile

Il n’en faut pas plus pour mettre le feu aux poudres. Si la société civile est séduite, les institutions représentant les dix-huit communautés religieuses du Liban condamnent les propos de Raya el-Hassan.

Dar el-Fatwa, la plus haute instance sunnite libanaise, a immédiatement rejeté l’idée même d’une union civile.

« Nous refusons le mariage civil parce qu’il va à l’encontre de la charia. […] La position contre le mariage civil du mufti de la République Abdelatif Deriane, de Dar el-Fatwa, du Conseil chérié [chargé de statuer sur les affaires religieuses] et du Conseil des muftis au Liban est connue depuis des années, car celui-ci va à l’encontre de la charia de A à Z », pouvait-on lire dans un communiqué émanant du bureau de presse de Dar el-Fatwa.

Le « oui mais non » de l’Église maronite

Côté chrétien, le patriarche maronite Béchara al-Raï souffle le chaud et le froid. Le prélat se prononce pour « un mariage civil mais sur la base d’une loi qui soit obligatoire » et « unique pour tous les Libanais ».

« Parler d’une loi qui autorise le mariage civil facultatif va diviser le pays et créer des problèmes », a-t-il estimé.

« Nous ne sommes pas contre le mariage civil dans l’absolu. Mais quelle loi au monde peut être qualifiée de facultative ? », s’est-il interrogé. Le chef de l’Église maronite a toutefois rappelé que « le mariage fait partie des sept sacrements de l’Église. Le croyant qui respecte sa religion doit se marier religieusement ».

Les politiques se sont également emparés du sujet. Le leader druze Walid Joumblatt s’est prononcé via Twitter « en faveur du mariage civil et pour un code civil unifié de statut personnel », arguant qu’il « faut cesser d’utiliser la religion pour créer la discrimination entre les citoyens ». Ironique, il a demandé s’il lui était « possible de donner son avis sans être taxé d’hérétique ».

Devant la levée de boucliers suscitée par ses déclarations, Raya el-Hassan ne s’est plus exprimée sur la question. Le président du Parlement, Nabih Berry, estimant que la ministre « n’avait rien dit d’erroné », est ensuite revenu sur sa position, jugeant qu’« à l’heure actuelle, le mariage civil n’est pas notre souci majeur ».

Le Bloc national, qui avait été le premier, en 1952, à proposer l’instauration d’une union civile facultative, a de son côté apporté son « soutien » à la ministre de l’Intérieur, « saluant son courage », et soulignant que « le mariage civil est le premier moyen de lier tous les citoyens ».

Un flou juridique à éclaircir

La question de l’union civile resurgit régulièrement au Liban. En 1998, sous la présidence d’Elias Hraoui, une proposition de loi avait été adoptée par le Conseil des ministres avant d’être enterrée par le Premier ministre de l’époque, Rafic Hariri, sous la pression des autorités religieuses.

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Le Liban ne dispose pas de code civil de statut personnel, chacune des dix-huit communautés religieuses régissant avec sa propre loi les mariages, divorces, héritages et gardes des enfants. Toutefois, les unions civiles — mariages mixtes entre deux personnes de confessions différentes et interchrétiens uniquement — contractées à l’étranger sont reconnues par l’État libanais. Chaque année, des centaines de couples se rendent sur l’île de Chypre voisine pour se marier.

En 2012, un couple mixte chiite et sunnite, Nidal Darwich et Khouloud Soukarieh, avait défrayé la chronique en rayant la mention de leur confession sur leur fiche d’état-civil afin de pouvoir s’unir civilement sur le territoire libanais, en vertu du décret 60 de 1936, datant du Mandat français.

Toutefois, après maintes péripéties juridiques, l’enregistrement de leur mariage avait été retoqué par le ministre de l’Intérieur Nohad Machnouk, en raison de l’absence de cadre législatif adéquat. Depuis, de nombreux dossiers d’unions civiles contractées au Liban seraient toujours en suspens au ministère de l’Intérieur. C’est ce qui aurait motivé Raya el-Hassan à vouloir mettre fin à ce flou juridique.

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