Les inondations en Iran, une illustration dramatique de la crise systémique qui touche le pays
Au moins 70 morts et plus de 500 blessés, 6 provinces en situation d’urgence, 36 % du réseau routier du pays endommagé, 84 ponts détruits, plus de 140 rivières débordées. Les inondations qui frappent l’Iran depuis la fin du mois de mars sont particulièrement dévastatrices. Survenant peu après les fêtes de Norouz, le nouvel an iranien, elles ont surpris par leur intensité et leur étendue.
Les ravages encourus par des villes symboles font ainsi l’objet de nombreux partages sur les réseaux sociaux. Des vidéos de la localité de Pol-e Dokhtar, dans le Lorestan, ont été particulièrement commentées. De même que les coulées importantes qui ont traversé la ville de Chiraz, dans le sud du pays.
Face à l’ampleur des inondations, le pouvoir iranien a annoncé la mobilisation de l’armée régulière ainsi que des Pasdaran (Gardiens de la révolution islamique) et des Bassidji (jeunes miliciens en civil). Dans un même élan, le ministre du pétrole, Bijan Zangeneh, a sollicité l’aide des compagnies pétrolières, notamment dans la mise à disposition de leurs capacités de pompage afin d’évacuer les eaux des localités submergées.
D’une crise naturelle à une crise politique
Ces mobilisations à plusieurs niveaux reflètent pourtant mal les reproches adressés dans les premières heures des intempéries, aussi bien par une partie de la population que par les opposants à Rohani. Ce dernier a été accusé par les Pasdaran d’avoir mal géré la crise, en ayant ni réagi à temps ni anticipé l’ampleur des dégâts.
De nombreux reproches ont également été adressés aux différentes administrations locales et régionales pour leur manque de préparation face à des inondations pourtant annoncées parfois plusieurs jours à l’avance.
D’une crise naturelle, l’Iran serait en train de passer à une crise politique fragilisant encore un peu plus une administration présidentielle déjà décriée de toutes parts
D’une crise naturelle, l’Iran serait en train de passer à une crise politique fragilisant encore un peu plus une administration présidentielle déjà décriée de toutes parts. Se joignant aux reproches, le Guide suprême a de son côté pointé le manque de mesures de protection face aux inondations annoncées.
Tentant de reprendre le contrôle de la crise, l’administration Rohani s’est engagée dans la désignation des responsables de l’ampleur des dégâts. Plusieurs personnalités politiques ont accusé les États-Unis d’aggraver la situation. Tandis que l’administration Trump a accusé les autorités iraniennes de mal gérer les inondations, le ministre des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif a rappelé aux dirigeants américains qu’ils n’avaient pas fourni une aide adéquate aux citoyens touchés par des ouragans à Porto Rico et aux États-Unis.
Javad Zarif a également dénoncé les sanctions américaines qui empêchent le Croissant rouge iranien de recevoir les fonds nécessaires aux opérations d’urgence. L’organisation humanitaire iranienne pâtit, en effet, d’un manque d’investissements dû aux différents embargos, l’ayant notamment empêché de renouveler sa flotte d’hélicoptères de secours.
Cependant, si les sanctions pèsent sur les capacités d’action des services de secours iraniens, leur poids reste relatif face à des politiques qui, depuis les années 80, détériorent petit à petit le cadre environnemental du pays.
Un pays fragile face aux risques environnementaux
Les causes de ces inondations sont, de fait, multiples. L’Iran est régulièrement confronté à des séquences environnementales ou climatiques de grande ampleur. Sécheresses et tempêtes de poussière rythment la vie du pays. Des inondations importantes ont déjà frappé la République islamique par le passé, notamment en 2001 dans le Golestan, entraînant la mort de 300 personnes. Diverses recommandations avaient d’ailleurs été faites à l’époque afin d’éviter la répétition de telles catastrophes.
Si les sanctions pèsent sur les capacités d’action des services de secours iraniens, leur poids reste relatif face à des politiques qui, depuis les années 80, détériorent petit à petit le cadre environnemental du pays
Cependant, misant sur son développement industriel et économique ainsi que sur une croissance forte, les différentes autorités régionales et nationales sont longtemps restées frileuses à l’idée d’imposer des contraintes environnementales. Le résultat en est une fragilisation accrue du pays face aux chocs naturels, lesquels surviennent à des fréquences de plus en plus rapprochées, réchauffement climatique aidant.
Les forêts sont en première ligne de ces dégradations environnementales. Devant pourtant jouer un rôle important dans l’atténuation des impacts des inondations, les zones forestières sont aujourd’hui largement dévastées et ce pour plusieurs raisons.
Déjà, de par sa configuration géographique, le pays fait figure de parent pauvre en matière de surfaces boisées : alors que la moyenne mondiale d’hectares de forêts par habitant est de 1,1, l’Iran atteint à peine celle de 0,5 hectare par habitant. Ensuite, les surfaces forestières du pays sont soumises à d’intenses pressions, fragilisant leur écosystème.
L’exploitation industrielle et l’accroissement de la population entraînent une réduction des espaces verts, avec un impact plus important dans le nord-est. Les principales forêts du Zagros et de la zone de la mer Caspienne ont ainsi vu leur surface diminuer suite à une commercialisation intensive de leur bois.
Outre ces deux facteurs, la raréfaction des ressources en eau, les tempêtes de poussière et l’absence d’une gouvernance efficace accélèrent le processus de déforestation via un assèchement des zones boisées.
La présence de sols nus dans le bassin versant, de pentes rendues abruptes par la déforestation, la détérioration des pâturages ainsi que des pratiques agricoles inappropriées finissent de déstabiliser des terres déjà fragiles. Le choc des fortes intempéries est ainsi décuplé, les eaux de pluie n’ayant plus aucune retenue naturelle pouvant ralentir leur vitesse.
Un coût économique et social
Les conséquences sont lourdes pour le pays. L’estimation des coûts des inondations de mars et avril 2019 atteindraient des niveaux importants. Le 2 avril, Abdolreza Rahmani Fazli, ministre de l’Intérieur, évaluait les dommages à plusieurs centaines de millions de dollars, avec des effets qui se feraient encore sentir pendant au moins un an. Annonçant plusieurs mesures, dont une prise en charge financière des sinistrés, le ministère affirmait également que certaines localités devraient être abandonnées, les destructions étant irréparables par endroits.
Le pays se retrouve au final confronté à une crise multifactorielle pouvant entraîner, vers la fin du siècle, des déstabilisations dramatiques
Si le coût économique des inondations parvient à être précisé, le coût social, lui, reste inconnu. Alors que les eaux commencent à se retirer, les débats s’ouvrent sur les étapes de la reconstruction et sur l’hébergement des personnes déplacées. Déjà touchés par les effets de la crise économique frappant le pays et par le poids des sanctions, nombre d’habitants s’interrogent sur leur avenir.
Tous ces facteurs sont autant d’éléments rendant l’Iran vulnérable à court terme.
Les conséquences en seront des migrations internes importantes et une réduction des ressources de base. Le pays se retrouve au final confronté à une crise multifactorielle pouvant entraîner, vers la fin du siècle, des déstabilisations dramatiques si des mesures importantes ne sont pas adoptées à court et moyen termes.
L’étude des différents phénomènes entrant en jeu dans la dégradation environnementale en cours en Iran démontre que les réponses devront être à la fois locales, nationales et régionales. Débordant des frontières de la République islamique, les perturbations environnementales nécessitent un traitement passant par une nouvelle coopération régionale.
Enfin, les défis environnementaux représentent un facteur d’engagement citoyen important. Sans cet engagement, la mise en place des politiques d’adaptation et d’atténuation ne peuvent être efficaces.
Partageant des images de la cité de Persépolis, épargnée des inondations grâce à son système d’évacuation des eaux remontant à l’époque achéménide, de nombreux Iraniens ont fustigé l’incompétence des autorités actuelles au vu de la résilience des systèmes anciens.
Moins anecdotique qu’on pourrait le croire, ce comparatif met en évidence la situation précaire dans laquelle l’Iran se trouve face aux enjeux climatiques et environnementaux du fait de l’absence de mesures protectrices efficaces. Le facteur environnemental devient un élément désormais incontournable dans la crise systémique qui touche le pays.
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