L’environnement, prochaine cause d’affrontement entre les États-Unis et l’Iran ?
Une série d’arrestations d’écologistes et d’activistes de la faune sur des accusations liées à la sécurité a suscité une profonde anxiété et une grande incertitude parmi la société civile iranienne. Ces dernières arrestations ont eu lieu à la suite de la mise en détention fin janvier de huit militants écologistes accusés d’espionnage.
Avant ces arrestations hautement médiatisées, la dynamique communauté iranienne pour la protection de l’environnement était un secteur de la société civile qui avait réussi à échapper au contrôle de l’État.
Les enjeux ont été revus à la hausse après la mort en prison de l’universitaire Kavous Seyed-Emami quelques jours après son arrestation. Seyed-Emami, qui avait été arrêté pour espionnage, se serait suicidé dans sa cellule après un interrogatoire.
Ciblage par les renseignements occidentaux
L’opinion dominante en Occident semble être que le gouvernement se sert des préoccupations sécuritaires comme couverture pour réprimer l’activisme environnemental. Ceci reposerait sur la crainte des autorités que les questions environnementales deviennent de plus en plus politiquement sensibles dans les mois et les années à venir.
Cependant, il existe des explications plus nuancées derrière ces arrestations inhabituelles, qui ne rejettent pas par réflexe les préoccupations de l’establishment sécuritaire iranien. Il n’est pas inconcevable que les services de renseignements occidentaux ciblent de manière agressive les causes environnementales iraniennes dans le but de recueillir des renseignements et de manipuler ces causes pour exercer une pression sur l’Iran.
Les questions environnementales sont politisées par un large éventail d’acteurs iraniens, y compris des militants professionnels de l’environnement, des groupes d’opposition et même certaines franges du gouvernement iranien
Le film Argo dépeint le parfait sens artistique de la Central Intelligence Agency à son sommet. Basé sur une histoire vraie, le film suit un spécialiste de l’exfiltration de la CIA alors qu’il planifie l’évasion de six membres du personnel de l’ambassade américaine qui ont trouvé refuge chez l’ambassadeur canadien à Téhéran. Pour accomplir son plan audacieux, l’agent de la CIA concocte un projet de film en collaboration avec un producteur hollywoodien.
Bien que la CIA ait une histoire mouvementée dans l’Iran post-révolutionnaire – le réseau de l’agence a été démantelé par le contre-espionnage iranien à la fin des années 1980 – Argo parle de son ingéniosité et de sa débrouillardise.
Malgré l’énorme recul dans les années 1980, la CIA n’a jamais cessé de viser l’Iran de manière agressive et innovante. Un article récent du Guardian détaille comment la CIA cible et recrute des scientifiques iraniens en marge de conférences académiques réelles et factices.
Pénétrer les secteurs critiques
Ce ciblage agressif fait partie du plan plus large de la CIA visant à pénétrer, manipuler et même saboter les segments critiques de la communauté scientifique iranienne qui interagissent avec l’industrie militaire et nucléaire du pays.
Par exemple, le virus Stuxnet, qui ciblait les centrifugeuses iraniennes utilisées pour l’enrichissement d’uranium, a été développé conjointement par le Mossad israélien et la CIA après un ciblage exhaustif des zones clés de la communauté scientifique iranienne.
Par ailleurs, la campagne visant à assassiner des scientifiques iraniens spécialistes du nucléaire – largement considérée comme menée par le Mossad avec l’aide possible de la CIA – impliquait, dans sa première phase, le recrutement de scientifiques et d’universitaires iraniens.
Alors, quelle crédibilité accorder aux affirmations iraniennes selon lesquelles une partie de la communauté pour la protection de l’environnement du pays a été pénétrée par les services de renseignement occidentaux ? La presse radicale de Téhéran met volontiers en avant un lien fort, ne serait-ce que pour donner du crédit aux actions de la section des renseignements du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) et du pouvoir judiciaire.
Le rédacteur en chef du quotidien Kayhan, Hossein Shariatmadari, a pris la main en plaidant pour un lien direct entre l’activisme en faveur de l’environnement et l’espionnage, dans un éditorial incendiaire intitulé « Panthère iranienne ou espion américain ? ».
Le titre se rapporte à une campagne largement médiatisée pour sauver la panthère de Perse, en voie de disparition. Shariatmadari affirme que la campagne a été pénétrée par les services de renseignements occidentaux, qui l’ont utilisée comme couverture pour recueillir des informations sur l’armée iranienne, notamment sur le très sensible programme de missiles balistiques.
Accusations d’espionnage
L’intrigue s’épaissit avec l’homme au centre de l’affaire d’espionnage, Seyed-Emami, qui selon la plupart des récits crédibles, était une sorte d’énigme. Seyed-Emami, qui avait la double nationalité irano-canadienne, était un sociologue bien établi qui semble avoir passé la plus grande partie de son temps libre à militer pour des causes environnementales.
Le plus intrigant est qu’il était affilié à l’Université Imam Sadiq (ISU), une institution prestigieuse et sensible connue pour former les élites politiques et diplomatiques iraniennes.
Si les accusations d’espionnage contre Seyed-Emami avaient une quelconque validité, elles reposaient probablement, au moins en partie, sur son affiliation à l’ISU, ce qui lui aurait donné un accès facile et rapide à la crème de la crème des communautés politiques et diplomatiques de la République islamique.
Il y a lieu de faire preuve d’un certain scepticisme à l’égard des accusations portées contre Seyed-Emami et les autres militants écologistes. Pour commencer, ils auraient tous été arrêtés par la section des renseignements du CGRI et non par le ministère des Renseignements et de la Sécurité nationale (VEVAK).
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La distinction est importante, car le VEVAK est la seule agence ayant le mandat et l’expertise pour enquêter sur les cas présumés d’espionnage par des puissances étrangères. Cependant, dans la pratique, les branches du renseignement du CGRI sont parfois impliquées dans des opérations de contre-espionnage, généralement à la demande du VEVAK et non en concurrence avec lui, comme on l’assume souvent à tort en Occident.
Le rôle principal du CGRI dans cette affaire est inhabituel et il témoigne de la complexité de l’affaire et de son interaction potentielle avec des considérations politiques ou autres inconnues. Bref, à première vue au moins, il y a assez de particularités pour soupçonner qu’il ne s’agit pas d’une simple question de renseignements.
Politisation rapide
Les questions environnementales sont politisées par un large éventail d’acteurs iraniens, y compris des militants professionnels de l’environnement, des groupes d’opposition et même certaines franges du gouvernement iranien. Il convient de noter que les questions environnementales sont souvent considérées comme l’une des causes des manifestations qui ont secoué le pays au début de la nouvelle année.
La sensibilité découlant de cette politisation rapide a inévitablement attiré l’attention des sections du renseignement du CGRI, qui craignent que même des questions relativement « secondaires » telles que l’environnement et la protection de la faune puissent être utilisées comme des armes contre la République islamique.
Politique mise à part, il serait stupide de rejeter par réflexe les dimensions potentielles des renseignements dans cette affaire. Selon tous les témoignages crédibles, le département iranien de la CIA, dirigé par un « ayatollah Mike », est soumis à des instructions strictes visant à cibler agressivement la République islamique en vue de fomenter l’incertitude et la déstabilisation.
Compte tenu du contexte géopolitique qui prévaut – et des priorités opérationnelles élargies de la CIA – il serait très surprenant que le secteur dynamique de la protection de l’environnement en Iran ait complètement échappé à l’attention des services secrets américains.
- Mahan Abedin est un analyste spécialiste de la politique iranienne. Il dirige le groupe de recherche Dysart Consulting.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Panorama montrant un voile de smog alors que la pollution hivernale atteint de nouveaux sommets à Téhéran, le 19 décembre 2017 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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